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La pénitence est douce

Morceau choisi

Rosette, agenouillée au confessionnal,
Murmure : « Mon bon père, à vous, je m’en accuse :
J’ai trompé mon mari – Ma fille c’est très mal,
Dit le prêtre… Et… combien de fois ? » Rose, confuse,

Se trouble, balbutie, hésite… enfin répond :
Neuf fois ! – Hum ! Depuis quand ? » fait le prêtre.
Alors Rose : »Depuis hier soir ! » Et, sous le nuage blond
De ses cheveux d’or fin, Rose devient plus rose.

« Neuf fois depuis hier ! répond le bon curé…
Je ne puis, d’un pêché de pareille importance,
Vous absoudre aujourd’hui, sans avoir référé
A l’évêché qui fixera la pénitence !

Revenez dans huit jours. » L’évêché décréta
Qu’ayant fauté neuf fois, Rose, aurait, pour sa peine,
A dire cinq Ave. Rose s’en acquitta
Et fut absoute… Mais au bout d’une semaine,

Au sacré tribunal, avec un air marri,
La voici qui revient s’accuser d’inconstance,
DIsant : « Sept fois, encor, j’ai trompé mon mari :
Mon père, indiquez-moi quelle est ma pénitence »,

Et lui, sur le tarif de l’absolution
Dernière, s’efforçant de se baser, calcule :
« Pour neuf fois, cinq Ave… D’une proportion,
Je dois donc, pour sept fois, établir la formule :

Cinq est à neuf comme X à sept… d’où je conclus
Qu’il faut… Ah ! C’est vraiment trop compliqué, ma chère…
Faites votre mari cocu deux fois de plus.
Et dites cinq  Ave comme la fois dernière.

Léon Vilbert

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400.000 secondes (Critique aisée 56)

Janvier 2015

Cent onze heures, près de quatre cent mille secondes, c’est le temps qu’il faut pour lire la Recherche du Temps Perdu du début jusqu’à la fin, de l’incipit « Longtemps, je me suis couché de bonne heure.« , que tout le monde connait, jusqu’à l’excipit que tout le monde ignore.
Cent onze disques d’une heure, cent onze heures, quatre cent mille secondes d’enregistrement, voilà ce que, il y a vingt-sept mois, quelques amis et parents, réunis en tontine, m’ont offert pour un anniversaire qu’il est inutile de nommer plus précisément.
Vingt-sept mois, huit cent vingt trois jours, voilà ce qu’il m’a fallu pour écouter cent onze disques, quatre cent mille secondes de la Recherche du Temps Perdu.
En réalité, ces quatre cent mille secondes sont plus probablement cinq cent mille, car il m’est arrivé souvent d’écouter certains passages plusieurs fois, comme on relit une page ou un paragraphe d’un roman.

C’est ce matin, dimanche 25 janvier 2015, dans les bois de Fausses-Reposes que j’ai écouté les dernières mille huit-cents secondes de la Recherche. J’avais enfoncé les écouteurs dans mes oreilles et les mains dans mes poches, et je marchais derrière la croupe ondulante de mon chien, quand j’ai entendu André Dussolier prononcer :

« Si du moins il m’était laissé assez de temps pour accomplir mon œuvre, je ne manquerais pas de la marquer au sceau de ce Temps dont l’idée s’imposait à moi avec tant de force aujourd’hui, et j’y décrirais les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes – entre lesquelles tant de jours sont venus se placer – dans le Temps.« 

Puis il a laissé passer un petit temps et il a dit doucement :

 » Fin « 

Ça m’a fait tout drôle. Deux ans derrière Sari sur les chemins de Champ de Faye ou dans les allées du Parc de Saint-Cloud, deux ans le soir, dans mon lit, lumière éteinte, deux ans dans mon bureau entre les écritures de deux petites histoires, deux ans à écouter Dussolier, Podalydes, Wilson, Renucci, Gallienne, Lonsdale, deux ans à suivre Swann, Charlus, Albertine, deux années d’analyses de caractères, de peintures de paysages, de traits d’esprit, de méchancetés, de troubles, de regrets, de jalousie, deux années venaient de se terminer brutalement, comme ça, dans les bois.

Bien sûr, je n’avais pas passé deux ans à ne faire que ça, à ne lire que ça. Mais -je l’avais annoncé dans un papier dont le titre clamait : « Ne lisez jamais Proust« – après ça, il est difficile de passer à autre chose. Bien sûr, il y a Houellebecq, mais quand même.

Alors, j’ai réalisé que la Recherche, c’est (aussi) l’histoire d’un homme qui raconte ce qu’il a perçu des choses et des gens au cours de sa vie, tout en doutant continuellement qu’il puisse jamais être un écrivain, désolé par la paresse qui l’empêche d’écrire son œuvre. Et puis, à la fin du dernier volume, grâce à sa découverte et sa compréhension soudaine de ce qu’est la mémoire, il réalise qu’il est maintenant prêt à écrire son livre. Le seul doute qui demeure alors en lui est « En aurai-je le temps ? » Eh bien, le temps, il l’a eu, tout juste, mais il l’a eu. Et il termine son récit en annonçant qu’il va enfin commencer à écrire. Et la boucle est bouclée, et la belle histoire reprend à la première page du premier tome avec « Longtemps, je me suis couché de bonne heure.« 

Demain, je reprends la première heure des cent onze qui suivront. Alors, merci à la tontine pour ce cadeau, deux fois plus beau qu’on ne le pensait.

Et, bonjour, Monsieur Dussolier : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure… »