Archives par mot-clé : Alexandre Vialatte

Voter selon sa conscience

Morceau choisi

Le prix Goncourt sera décerné dans quelques jours. Voyons ce qu’écrivait Alexandre Vialatte à son propos  :

« Il y a des moments où il faut voter selon sa conscience. » C’est une maxime que j’ai trouvée tout récemment dans un journal. Un grand journal. Du 9 octobre. Aux grands journaux les grandes maximes. Celle-ci est parmi les plus belles. Le jury des Goncourt l’applique une fois par an. Chacun y vote selon sa conscience. Du moins au premier tour. Quand arrive le cinquième, comme il faut bien qu’on en finisse, car le prix doit être attribué, on vote selon la conscience des autres. Sans quoi il n’y aurait pas de Goncourt. Comment en serait-il autrement ? Et après tout, la conscience du voisin ne vaut-elle pas celle qu’on a soi-même ? De toute façon les saisons Continuer la lecture de Voter selon sa conscience

Qu’est-ce qu’Alexandre Vialatte ?

Si l’art, comme il l’affirme dans une formule célèbre, « est le folklore d’un pays qui n’existe pas », le génie de Vialatte s’etend bel et bien dans un paysage littéraire qui va de Kafka à Jean Dutourd et de Nietzsche à Pierre Desproges. Quand ce dernier déclarait que l’auteur des « Fruits du Congo » était l’un des plus grands écrivains du demi-siècle, il n’exagérait pas. Car les admirateurs de Vialatte ne sont pas des lecteurs ordinaires. Ils forment une secte d’initiés et de jaloux, adeptes d’un culte rendu à un poète-philosophe parfaitement méconnu de son vivant. Il n’est pas un chagrin de la vie qui puisse résister à la lecture d’une page de ce prince de l’humour « plus tendre et désespéré – c’est encore Desproges qui parle – qu’un la mineur final dans un rondo de Satie ».

Auteur anonyme – 4ème de couverture des Chroniques des grands micmacs

 

On ne peut pas lire que du Barbara Cartland

2 minutes

Avez-vous lu les « Chroniques du grand micmac » d’Alexandre Vialatte ? Non ? Faudrait vous décider !
Dans l’une d’entre elle qui s’intitule histoires noires et histoires blanches, Alexandre veut nous inciter à lire le dernier recueil de nouvelles de Jacques Sternberg. Jacques Sternberg fut un auteur belge qui eut son heure de gloire dans la deuxième moitié de ce siècle bizarre que fut le XXème, période où les nouvelles se vendaient encore. Les siennes se situaient dans le domaine de l’humour noir, de la science-fiction, pour tout dire, du bizarre. Aujourd’hui, Sternberg est totalement oublié., Mais si vous tombez un jour sur un de ses recueils, plongez-vous y (plonjévouzi ?) pour y passer un moment agréable, rigolo ou effrayant.
En attendant cet événement improbable, veuillez lire le début de cette chronique d’Alexandre Vialatte qui nous apprend que parfois, il faut abandonner Barbara Cartland.

« On ne peut pas toujours lire l’histoire de Monsieur Dupont qui épousera Mademoiselle Durand à la page 240 après mille péripéties qui ont bien failli nous faire croire le contraire. (Dieu ! Que j’ai frémi pour leur bonheur !) On sait bien qu’elle est fille d’officier supérieur, qu’elle fut chargée de diplômes comme un âne de reliques dans les couvents les plus distingués, qu’elle connaît Continuer la lecture de On ne peut pas lire que du Barbara Cartland

Chronique des retours amoindris

Morceau choisi

Les parisiens reviennent de vacances. Suivi de leurs chiens et de leurs enfants. Les vieillards poussent l’automobile. Les époux portent le transistor. Il étonna la vache au sommet du Mont-Blanc et la sardine au fond de la baie des Trépassés ; il fit danser sur un air de cha-cha-cha la vague noire de la pointe du Raz. De longues files se sont formées aux portes de la capitale. Grandes migrations, poussières, sueurs, matelas pliants. Chacun, en ville, attends sur le pas de la porte un être cher avec des boissons réconfortantes. Mais comment reconnaître son monde ? Les vacances ont tout transformé. La tante Josiane, qui était une magnifique personne, une blonde abondante et laiteuse, une vraie réclame pour les vins et fromages, est revenue comme un hareng saur. Il a fallu bronzer, il a fallu Continuer la lecture de Chronique des retours amoindris

La Lune

Morceau choisi

La Lune remonte à la plus haute Antiquité. Elle change de forme tous les jours. De couleur aussi. Elle est tantôt rouge, tantôt verdâtre, tantôt énorme et orangée. Parfois elle a l’air d’un coquillage. Un coquillage nacré, tout usé sur les bords. Il y a deux ou trois jours, elle était transparente. On pouvait voir le ciel à travers. Tantôt elle est grosse comme un petit pois, tantôt comme un ballon de football, tantôt comme une pièce de cinquante centimes. Certains matins d’épais brouillard on prend le soleil pour la lune. C’est ce qui fait dire à ma femme de ménage : « C’est surnaturel, la Nature ! » (Elle n’aime vraiment, à part la Lune, que l’opéra et les temples romains, ce qu’elle doit à Continuer la lecture de La Lune

L’Homme

L’homme date des temps les plus anciens.
Les manuscrits du Moyen Age mentionnent déjà son existence. Sur des images à fond doré. Ils le représentent chassant le loup, le canard, ou même la sarcelle, en culotte rouge et en petit chapeau vert décoré d’une plume de poulet. Ou alors entouré de licornes. Et aussi mangé par des lions. Ou pliant le genou devant une dame. Ou attaquant des châteaux forts sur des lacs suisses, avec une petite culotte bouffante, des manches gigots, des piques très compliquées, des pertuisanes dont le fer a l’air d’une lettre arabe, des canons, des boulets en pierre, sur des radeaux que les assiégés repoussent du pied en brandissant des couteaux de cuisine.

Allez ! Je vous laisse deviner, ou trouver, de quel traité d’histoire j’ai tiré cet extrait.

Chronique du temps perdu

Après Marcel Proust, voici Alexandre Vialatte qui reconnait l’importance du temps perdu.

Le temps perdu se retrouve toujours. On dit qu’il ne se rattrape jamais. C’est bien possible. Un grand professeur de Normale disait à ses élèves : « Lisez, mais au hasard. Lisez sans nul programme. C’est le seul moyen de féconder l’esprit. » On ne peut savoir qu’après coup si le temps est perdu ou non. Sans le temps perdu, qu’est-ce qui existerait ? La pomme de Newton est fille du temps perdu. C’est le temps qui invente, qui crée,  et il y a deux littératures, celle du temps perdu, qui a donné Don Quichotte, et celle du temps utilisé, qui a donné les feuilletonistes. Celle du temps perdu est la bonne. Le temps perdu se retrouve toujours, cent ans après.

On croit que l’intérêt mène les hommes. Ce n’est pas vrai. Ce sont les passions, et la passion, c’est le rêve et le rêve c’est le temps perdu. Le temps perdu mène le monde. L’homme l’a si bien senti qu’il s’en est fait un but. Le progrès industriel vise à faire de sa vie une période de loisir sans fin et c’est là qu’il se trompe : le temps perdu exprès cesse d’être fécond.

Alexandre Vialatte – Chronique du temps qu’on dit perdu – 2 juillet 1957

Un peu de Vialatte, ça peut pas faire de mal – Critique aisée 111

Critique aisée 110

Dans son émission du 9 décembre dernier, Guillaume Gallienne a rendu hommage à Alexandre Vialatte. Il était temps. Depuis bientôt huit ans que « Un peu de lecture, ça peut pas faire de mal » existe, pas une citation, pas une mention, pas une référence à cet écrivain majeur, « notoirement méconnu » comme il le disait lui-même.

J’ai déjà beaucoup écrit ici-même sur Vialatte, je l’ai beaucoup cité et parfois même pas mal imité mais, disons-le tout net, je n’ai jamais espéré convaincre beaucoup de monde de se lancer à sa découverte. Mais voilà que Gallienne s’y met. Tous les espoirs sont permis. C’est le moment d’acheter. Commandez sur Amazon tous les volumes restants des Chroniques de La Montagne et revendez-les la semaine prochaine au marché noir.

L’émission de Gallienne s’est ouverte sur une interview, malheureusement posthume, de Pierre Desproges. Il y racontait qu’il avait découvert Vialatte, alors qu’il était bidasse en partance pour l’Algérie, en lisant sa chronique qui commence par « Le loup est appelé ainsi à cause de ses grandes dents« . Il disait que cet aphorisme, presque aussi impressionnant que « L’éléphant est irréfutable » qui me sert de devise Continuer la lecture de Un peu de Vialatte, ça peut pas faire de mal – Critique aisée 111

Le Vialatte est-il inné ou acquis ?

Ce texte, vous l’avez déjà lu. Il date de mai 2014. Mais il a perdu si peu de son actualité que, pour le mettre à jour, je n’aurais eu qu’à remplacer  mes références au Scooter du Pingouin ( que personne n’oubliera) et au Dictaphone de Monsieur Buisson (que tout le monde a oublié) par le transfert d’un footballeur hispano-brésilien dans un club quatari et les pistes cyclables de la rue de Rivoli. Mais, par respect pour Catherine T. à qui il avait été dédié,  j’ai préféré laisser intact ce texte désormais historique. Le voici :

à Catherine T.

L’autre soir à diner, ma charmante voisine de table me disait qu’elle aimait bien lire de temps en temps les petites histoires que je publie dans le Journal de Coutheillas. Laissant les autres dîneurs discuter de problèmes ardus de mécanique présidentielle, à savoir du scooter de Monsieur Hollande et du dictaphone de Monsieur Buisson, nous avons parlé longtemps de la forme et du contenu du JdC. C’est dire si, pour moi, ce fut une bonne soirée.
Mon enthousiaste convive émit cependant une interrogation sur le sens, et peut-être même un doute sur l’opportunité de l’exergue permanent qui figure sous le titre du Journal: « L’éléphant est irréfutable« .
Dans l’instant et les brumes du Haut-Médoc, je n’ai pas su lui donner de réponse satisfaisante, ou plutôt de réponse qui me satisfasse.
Mais à présent, muni de mon meilleur esprit d’escalier, je vais lui en donner, moi, des explications.

L’éléphant est irréfutable
Ces quelques mots constituent le plus bel aphorisme que je connaisse. Mais ce n’est pas que cela : ils forment à eux quatre toute une philosophie, une ligne Continuer la lecture de Le Vialatte est-il inné ou acquis ?