Critique aisée n°107
Recommandé en fin d’une émission du Masque et la Plume, j’avais acheté et lu ce livre il y a presque trois mois. J’en avais fait aussitôt la critique mais, pressé par une actualité brulante génératrice d’urgences éditoriales, je n’avais prévu sa programmation que pour le 24 novembre prochain. Et voilà que l’Académie Goncourt m’impose à son tour un changement de programmation, car elle vient de lui décerner son prix pour 2017.
Voici donc ma critique, telle qu’écrite il y a deux mois.
L’ordre du jour
Eric Vuillard – Acte Sud – 2017
150 pages – 16€ttc
Un petit livre hargneux, désagréable, plein de tics, de clins d’œil au lecteur, de listes exhaustives, de commentaires sagaces, de remplissages inutiles, mais un petit livre passionnant.
« Récit » dit-on sur la page de garde. Récit ? Peut-être.
Un récit déstructuré autour de la décision par Hitler d’envahir l’Autriche (mars 1938).
Le récit démonstratif d’une réunion de levée de fonds entre Hitler et le grand patronat allemand (février 1933), le passionnant récit de l’extraordinaire entrevue entre le Chancelier d’Autriche Schuschnigg et Hitler à Berchtesgaden (février 1938), le récit rigolo du dernier diner de Ribbentrop avec Chamberlain et Churchill au 10 Downing Street (mars 1938), le récit incroyable de la panne générale de l’armée envahisseuse à peine entrée en Autriche (mars 1938), le triste récit de l’accueil enthousiaste réservé le même jour au Führer par les foules autrichiennes, l’épouvantable et court récit du bon usage des prisonniers des camps dans la grande industrie allemande, et puis quelques récits individuels, quelques digressions, du remplissage.
Je vous l’ai dit : désagréable, mais passionnant.
ET DEMAIN, UNE CHRONIQUE DU 8 NOVEMBRE, LE 8 NOVEMBRE 1914
All the world’s a stage,
And all the men and women merely players.
Proposition de traduction pour les barbares d’outre manche :
Le monde entier est un théâtre
Et tous les hommes et les femmes en sont tout juste les acteurs
A ce propos, ne manquez pas vendredi prochain le compte rendu de la rencontre entre William Shakespeare, dramaturge en panne d’inspiration, et Walrus Carpenter, marchand de ceintures de flanelle.
L’Histoire est un spectacle, c’est en tout cas ce qu’il en ressort des interprétations populaires, hollywoodiennes entre autres, une idée très bien développée dans le court chapitre de ‘L’ordre du jour’ (que j’ai lu moi aussi) intitulé ‘Le magasin des accessoires’. Et cette idée me renvoie aux premiers vers de la célèbre tirade de Shakespeare:
All the world’s a stage,
And all the men and women merely players.
J’ai acheté « L’ordre du jour », en partie motivé par la critique ci-dessus, et j’ai avalé d’un coup ses 150 demi-pages qui ont reçues le prix Goncourt cette année. 16€ payé ça fait quand même cher la page! Rien à voir avec le roman d’environ 1000 pages à 25€ de Jonathan Littell « Les bienveillantes » qui avaient reçu le prix Goncourt en 2006. Je ne partage pas totalement la critique qu’en fait le JDC: passionnant, oui, absolument, mais désagréable, non. Au début, j’ai pensé qu’on était loin d’un prix Goncourt potentiel. Mais rapidement, au fil des courts chapitres qui retracent de façon discontinue , il est vrai, cet Anschluss germano-autrichien de sinistre mémoire, j’ai rencontré dans un style personnel et remarquablement adapté, souvent avec dérision, des grands thèmes qui caractérisent l’attitude des hommes qui font l’Histoire avec un grand H: l’irrésolution, la velléité, la lâcheté, et toutes autres bassesses. Si après avoir lu ce petit récit, vous êtes tenté d’acheter une Mercedes Benz, ou une BMW ou une machine à coudre Siemens, c’est que vous pardonnez facilement et n’êtes pas rancunier, et c’est bien. Comme Eric Vuillard l’écrit page 122: « L’Histoire est un spectacle ».