Adelante !

Elle s’appelait Soledad, ses parents l’avaient conçue au cours d’un voyage en Espagne. Mais elle était née à Paris-à Belleville, exactement.
Belleville, c’est pas le Pérou, ça grouille, ça piaille, ça n’a pas le sou ! Elle eut tout de même une enfance tranquille, fille unique d’ouvriers heureux.
Son prénom la faisait rêver. Dès l’enfance, elle se sentit d’ailleurs. Les hivers gris, les pavés froids, les nez qui coulent, ça n’était pas pour elle, elle n’était pas faite pour eux. Elle disait non à tout cela, secouant sa tête brune, faisant tinter les anneaux qu’elle portait aux oreilles et tournoyer ses jupes bariolées.

Le jour même de ses dix-huit ans, elle s’empara des économies familiales, du bas de laine durement gagné, et s’enfuit.
Elle prit le train pour Barcelone, elle y arpenta les Ramblas, resta honnête tant qu’elle le put, c’est-à-dire quelques jours, puis trouva gîte et couvert chez un peintre qui la prit pour modèle.
De cette vie-là, elle ne dit pas grand-chose, sinon que cela ne dura pas longtemps.

Un jour, elle prit le chemin de Madrid. Elle y logea non loin de la plaza Mayor, chez une vieille dame dont elle promenait les trois chiens. Ca n’eut qu’un temps, ces balades canines, elle en eut vite assez.
On la vit à Séville habiter un grenier près du Guadalquivir. Elle lavait les assiettes au fond d’un bouge affreux. Les clients l’importunaient, elle ne voyait jamais le ciel, le soleil, elle partit.
Arènes de Séville
Sur une route d’Estrémadure, elle rencontra Sébastien. Il venait de Puteaux et parcourait l’Espagne au volant de sa petite voiture. A la vue du pouce levé de Soledad et de sa jolie silhouette, il s’arrêta et chargea notre voyageuse.
Au fil des kilomètres, ils se racontèrent leur vie, s’attachèrent l’un à l’autre, devinrent amants.
Insensiblement, ils prirent la route du nord, passèrent la frontière, presque sans y penser. Il ramenait la fugitive.

A Paris, il l’installa chez lui, lui fit reprendre ses habitudes françaises, le cinéma le samedi soir, le gigot du dimanche chez les parents, le camping au mois d’août.
Elle coupa ses boucles brunes, mit des perles à ses oreilles, se fondit dans le paysage.
Un an passa. Ils envisagèrent d’avoir un enfant et obtinrent un crédit pour acheter une maison en banlieue.
A l’automne, celle-ci fut prête et ils s’y installèrent. Noël passa, l’enfant ne s’annonçait pas. Soledad devenait pensive, elle s’ennuyait. Assise devant la fenêtre, elle semblait attendre…

En janvier, il s’en inquiéta puis il sut qu’il allait la perdre : la maison s’emplissait de guitares, de castagnettes et d’éventails.

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