La panne

Vous l’avez peut-être constaté vous-même : ces derniers temps, dans le Journal des Coutheillas, les photos deviennent plus nombreuses, les chroniques politiques plus présentes, les citations plus fréquentes, avec même une tendance à grossir en prenant la tournure d’extraits de textes ou de morceaux choisis, et les textes, les vrais, deviennent plus rares. Il y a même des recyclages de parutions anciennes et des appels à des confrères ou consœurs écrivants (ne cherchez pas ce mot dans votre Larousse habituel : il n’existe pas, c’est un vilain néologisme. Inventé sans doute par Roland Barthes pour faire le malin, ce participe présent devenu substantif est censé désigner quelqu’un qui écrit sans pour autant être écrivain, ce qui me permet de faire référence à mon activité d’écriture en toute fausse modestie).

Bref, vous ne vous y êtes pas trompé, tous les signes sont là : ceux de la panne, toute proche, la panne de l’écrivant.  D’ailleurs, le fait de tirer à la ligne de cette manière hypocrite et laborieuse n’en est qu’un de plus.

Depuis bientôt quatre ans, l’éditeur que je suis vivait dans un confort moral assuré par un programme de publication rempli à ras-bord pour les trois ou quatre mois à venir. Ce programme, dont vous avez admiré la régularité, prévoyait à peu près un collage, deux photos, deux citations et deux textes par semaine. C’est ainsi que près de cinq cents textes courts ou chapitres de textes longs (ça fait à peu près quatre cent mille mots, soit trois fois plus que n’en compte l’Iliade !) ont été publiés, provoquant l’admiration, l’étonnement et/ou/puis la lassitude de plus d’un. Mais comment fait-il, se demandait-on ici et ailleurs, mais quel est son secret pour produire autant, et avec une telle régularité ? Un secret, moi ? Mais je n’ai pas de secret ! Et de toute façon, la question ne se pose plus, puisque c’est la panne. A part quelques méchants propos (je précise : méchant, au sens désuet de « sans importance ») sur les fantômes d’Ismaël ou sur ceux de Macron, je n’ai rien écrit depuis deux mois et je vais bientôt toucher le fond de mon stock de textes originaux.

Bon ! Je viens de tirer près de quatre cents mots, c’est déjà ça, juste pour vous annoncer qu’il faut vous attendre dans les semaines qui viennent à quelques rediffusions de titres déjà publiés.

Lorsque ce sera le cas, je ne crois pas que je vous le spécifierai : comme ça, on verra si vous êtes attentifs.

7 réflexions sur « La panne »

  1. Rosette de Lyon au complet ou en fines tranches émincées?

    Il y a, au moins, deux niveaux importants auxquels cette question peut être abordée!

    A: Le niveau ‘média’ et B: le niveau ‘philo.’

    A: Sur le plan média, dans notre enfance (celle de Philippe et la mienne qui se sont parfois jouxtées), il était possible de lire dans les journaux quotidiens et d’écouter à la radio des morceaux de romans, des feuilletons, découpés et calibrés par les chefs de pupitre ou les responsables de programmation; parfois encore, par les auteurs eux-mêmes qui calibraient leur discours en fonction de l’espace ou de la durée que le média leur offrait! Le lecteur consommait ces mini portions quotidiennement ou hebdomadairement ou mensuellement (dans les 2 derniers cas, il fallait compter sur une bonne mémoire du lecteur/auditeur pour faire la jonction).

    Mais on pouvait aussi trouver, dans les familles où on investissait dans le capital ‘culture,’ des ouvrages… que l’on pouvait ingurgiter d’un trait, en une seule nuit et d’une seule main comme ‘Histoire d’O’ qu’à dix huit ans j’avais découvert dans la bibliothèque familiale de je ne vous dirai pas qui! La lectrice ou le lecteur pouvait les saucissonner à loisir, comme Philippe a lu Proust en se réjouissant des plaisirs à venir lors du constat qu’il lui restait encore des centaines de pages à lire chaque fois qu’il stoppait sa lecture pour vaquer à ses activités ordinaires.

    Certains maisons d’édition de luxe, offraient au lecteur un coupe papier d’ivoire pour ouvrir les pages pliées en huit pour plaire aux lectrices ainsi qu’un ruban doré ou de couleur pourpre (attaché en haut de la reliure) pour marquer les pages d’arrêt temporaire de la lecture. C’était donc, dans ce noble cas, au lecteur de saucissonner l’œuvre à son gré ou à ses besoins. Il n’avait pas besoin d’un tuteur pour le faire à sa place!

    La question qui se pose dans notre modeste débat est, pour le lecteur/surfeur du net, de savoir retrouver où il s’est arrêté dans la lecture d’un long ouvrage sur écran.

    B: Sur le plan philo., les difficultés ne sont pas que matérielles comme elles le sont au niveau de l’utilisation des médias. Il y a là une question de fond (dans les deux sens usuels du terme: 1) profondeur de la pensée et 2) fond (background de l’œuvre et de l’imaginaire du lecteur) d’où ce dernier distingue et extrait CE sur quoi il projette ses fantasmes.

    – Soit l’auteur inscrit ses propos dans l’idéologie dominante (« the dominant narrative ») en général celle que l’on enseigne dans les écoles nationales (France) ou provinciales (Canada) ou étatiques (USA) ou des Landers (Allemagne) jusqu’aux classes terminales qui, pour beaucoup de Français sont le terminus et le summum de la réflexion.
    – Soit l’auteur s’inscrit dans une utopie qui lui est idiosyncratique (et qui est encouragée au niveau cosmopolitique et critique de l’Univers-citée post-terminale!).

    -Dans le premier cas: faire des tranches dans le paradigme dominant, le saucissonnage est aisé puisque l’auteur et la lectrice partagent le même univers de décryptage, le même habitus dirait P. Bourdieu!
    – Dans le second, pour être compris, l’auteur qui souhaite nous emmener dans son utopie, son habitus idiosyncratique, qui, par définition, ressemble à une île située au milieu de nulle part (Thomas More), se doit de construire tout un continent… L’utopiste est heureux quand il réussit à façonner un univers fascinant tout aussi cohérent que celui que propose l’idéologie dominante et que ses ventriloques (encore eux) appellent maintenant ‘réalité ou raison ou science’ comme ils l’appelaient hier: ‘œuvre de ou des Dieux!

    L’utopiste, pour que sa chimère idiosyncratique devienne aussi crédible que l’hallucination institutionnalisée qu’est « la réalité, » promue par les ventriloques de la modernité, doit donc pondre à son tour tout un épistémè, (tout ce qui constitue une civilisation) un sacré saucisson ou jambon qu’il ne peut livrer en fines tranches…
    Si jamais il commet l’erreur de se livrer à cet exercice stupide, elles seront rattachées par les lecteurs à leur propre système de décryptage comme l’a bien vu et dit Thomas d’Aquin: « Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur….Ce qui est reçu l’est à la façon du récepteur. » (variante de la loi de variété requise d’Ashby: « un récepteur de TV noir et blanc ne peut ré-émettre en couleur les signaux qu’il reçoit pourtant à ce niveau de complexité ou variété). (sous entendu un lecteur bien ancré dans l’idéologie dominante est con comme un récepteur de TV noir et blanc face aux signaux colorés!)

    Ainsi décryptées à partir d’une complexité ou variété insuffisante ou d’un code non pertinent, les lecteurs jugeront ces tranches: « incompréhensibles! » Projetant ainsi leur incompétence (due au fait qu’ils ne sont pas « Well Traveled » de l’idéologie dominante à l’utopie qu’ils condamnent ainsi à rester en l’état chimérique alors que s’ils avaient ingurgité tout le saucisson ou le jambon ou la cuisse d’agneau méchoui) cette utopie rentrerait, chez eux, dans le domaine du possible et donc du réalisable!

    En d’autres termes, le conservateur est à l’aise dans les tranches fines! Et l’utopiste ne sera heureux que si l’on rentre sans modération dans son intime continent !

    Si vous n’avez rien compris… CQFD! ou plutôt CQVECDPD (C’est que Vous êtes Coincés Dans le Paradigme Dominant!)

  2. Hé bé! Vous ne risquez pas la panne sèche d’encre vous autres dans vos échanges épistolaires! Évidemment aujourd’hui on écrit plus sur du papier avec une plume ou un stylo à encre (dont le joli nom en anglais est ‘fountain pen’), alors pourquoi économiser les mots, ou plutôt les caractères?

  3. ben voila…

    il suffit de servir un petit apéro facile à digérer par réduction…

    pour que notre rédacteur en chef au réfrigérateur dégarni se remette à table!

  4. Si l’on a comme but de sauver le monde, on peut, si l’on veut, considérer les textes publiés dans son blog comme des médicaments à prendre d’urgence et en quantité massive. Mais pour que le malade soit sauvé, encore faut-il, d’une part, qu’il soit conscient de sa maladie (L’homme bien portant est un malade qui s’ignore, dit le Docteur Knock au Docteur Parpalaid ») et, d’autre part, qu’il accepte de prendre la potion. Pour cela, à moins d’utiliser de force l’intraveineuse, il vaudra mieux que la pilule ne soit pas trop grosse à avaler, qu’elle soit comprimée en quelque sorte.

    Je n’ai pas l’intention (on pourra dire « pas l’envie ») de sauver le monde avec mes petites histoires et j’ai tendance à les considérer comme des amuse-gueules, ces petits machins plus ou moins bons, plus ou moins salés ou épicés, parfois sucrés que l’on sert avant de diner. Demandez à quelqu’un de bouffer d’un seul coup tout un saucisson d’Auvergne de huit cents grammes, comme ça, tout de suite, et il est vraisemblable qu’il refusera ou qu’il renoncera dès le premier quart. Présentez-lui le même saucisson de temps en temps, sous forme de petites rondelles, et il est vraisemblable qu’il le mangera en entier. Peut-être même qu’il en redemandera. C’est tout un art, de saucissonner.

  5. « ça fait à peu près quatre cent mille mots, soit trois fois plus que n’en compte l’Iliade ! » qui dit entre ()!

    On me reproche de vouloir écrire au moins mille pages (je compte en francs ou pages et non en euros ou signes) [qui seront, de ce fait, « indiffusables » sur le net!] pour expliquer comment l’adoption d’une conception ‘cosmopolitique’ (U. Beck) de la communication [spéculant sur le rôle d’une carte écran radar humaniste et cosmopolite à partir de laquelle s’effectuerait la sélection et le décryptage (ou l’interprétation/évaluation) des signes émis par les autres et/ou ‘données sensorielles’ accessibles à nos sens] permettrait de transformer l’utopie CHIMÉRIQUE de ‘la Terre-Patrie’ (E. Morin) en utopie POSSIBLE (P. Ricœur) et donc ‘réalisable.’

    Le secret d’un ‘blog’ exemplaire par la régularité de son débit, comme celui de Philippe (qui a bien sûr une infinité d’autres qualités plus admirables les unes que les autres!), résiderait donc dans l’art du saucissonnage! (calibrage de portions congrues et donc digestibles par ses lecteurs/patients…)!

    Le dosage quotidien des pilules à avaler doit-il être effectué par le pharmacien chez qui il faudrait se rendre matin et soir pour les obtenir en petites doses ou par le patient/lecteur qui aurait la capacité de décrypter correctement l’ordonnance du médecin et d’avoir, dans sa propre pharmacie, un stock renouvelable mensuellement des médicaments à prendre quotidiennement?

    Si le patient perd son sang rapidement… doit-on ne lui faire qu’une transfusion de quelques gouttes par jour?

    Le Diafoirusse du blog! (non rémunéré par le club des hackers du Krémelin!)

  6. Il y a des pannes comme ça où l’on serait bien content de pouvoir avoir recours à une rediffusion. Et puis il y a panne et panne. Les bateaux à moteur tombent parfois en panne, c’est embêtant, surtout en mer si elle est démontée et pourtant bien là, le mien est à voile et quand il y a une panne de vent (absolument rien à y faire, mais dans ce cas la mer n’est pas démontée et pourtant bien là aussi) c’est embêtant aussi mais quand il y a du vent il faut que je le mette en panne pour l’arrêter. Restons optimistes et voyons les bons côtés de la panne. Comme le disait aussi un autre Philippe, Geluck celui-là (auteur belge des propos philosophiques tenus par Le Chat) « Il y a malgré tout un avantage à tomber an panne séche c’est que c’est moins lourd à pousser que si le réservoir était plein. »

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