Le Misanthrope (Critique aisée 91)

Qui a dit que le théâtre, c’était cher, inconfortable et ennuyeux ?
Moi ? J’ai dit ça, moi ?
Ah bon, peut-être.
Aussi, admettez que c’est souvent cher, inconfortable et ennuyeux.

Mais , non.

Mais c’est quoi, ce là, là ? Eh bien, c’est la projection en salle de cinéma de la version du Misanthrope que la Comédie Française a donnée dans la salle Richelieu du Palais Royal en fin 2016.

Vous avez pris vos billets sur internet (2×18,50 = 37€), vous avez pris un Uber pour la porte des Lilas (22,50€ ; ah oui ! quand même !) ; vous êtes entrés dans un multisalles, vous vous êtes assis confortablement dans deux des vastes fauteuils de la salle n°6, vous avez compté les 128 sièges, vous avez compté les 9 spectateurs ; à un moment, il a été 14 heures, la lumière s’est éteinte et vous avez vu Le Misanthrope ; trois heures plus tard, vous êtes ressortis de la salle obscure éblouis, pas par le soleil, non, il pleuvait, mais par le spectacle.

Le Misanthrope…

Mais dites-moi, Marquis ? De quoi s’agit-il ?
Eh bien voilà :
Alceste aime beaucoup Célimène qui aime un peu Alceste, mais Alceste est un enquiquineur de première, et Célimène, une coquette. Alceste n’aime pas le monde, enfin pas beaucoup de monde, et Célimène adore avoir du monde, du beau monde, autour d’elle. Alors Alceste fait des scènes à tout le monde et à Célimène. L’ami d’Alceste, Philinte, a beau lui conseiller de faire des concessions au monde, de ne pas nécessairement dire ce qu’il pense de tout le monde à tout le monde, Alceste fait des efforts mais échoue lamentablement, son autisme naturel revenant au galop. A force, il se met tout le monde à dos et ça ne finit pas très bien pour lui : il se retire du monde ; pour Célimène non plus d’ailleurs : le grand monde lui tourne le dos.

Bon, ce n’est certainement pas la pièce la plus drôle de Molière, mais c’est vraiment la plus belle. Et la façon dont elle a été présentée cette année au Palais Royal est vraiment excellente.

Le décor est plutôt triste : une antichambre d’un hôtel particulier qui aurait besoin d’un petit coup de peinture. Il met tout de suite dans l’ambiance : ce n’est pas le côté comédie du Misanthrope que l’on va privilégier.

La mise en scène (Clément Hervieu-Léger), est sévère, peut-être un peu trop : parfois de longs silences entre alexandrins, ou de grands cris de colère, ou des gestes très dramatiques peuvent donner l’impression d’un théâtre plus récent et plus ennuyeux que celui de Molière. Mais à part le long, trop long silence qui dure avant la première réplique, on s’y fait très bien, de même qu’aux costumes, modernes, et une fois la surprise passée, on se met à comprendre et, de là, à admirer. Quoi ? La langue de Molière, bien sûr, mais l’esprit de Molière, sa finesse, sa profondeur, sa vision pessimiste et tolérante du monde.

Mais pourquoi comprend-on si bien tout ça ? Parce que la diction est claire, que les alexandrins sont respectés, mais avec ce qu’il faut de discrétion et de liberté ; parce que les comédiens sont merveilleux, fins et émouvants pour Alceste (Loïc Corbery) et Célimène (Adeline d’Hermy), solides et convaincants pour Philinte (Eric Génovèse) et Oronte (Serge Bagdassarian), beaux et arrogants pour les petits marquis Acaste (Christophe Montenez) et Clitandre (Pierre Hancisse), sans parler d’Arsinoé (Florence Viala), grandiose. Parce que leur direction est impeccable : la scène des portraits est tellement 17ème qu’elle en est contemporaine .

Parmi ces acteurs, j’ai eu un faible pour Adeline d’Hermy, qui joue une Célimène beaucoup plus amoureuse légère que méchante coquette, qui a des airs de Romy Schneider dans sa douceur et son chagrin, et pour Christophe Montenez, merveilleux d’arrogance dans son personnage de dandy nonchalant avec ses airs de Maurice Ronet.

Si vous voulez voir Le Misanthrope dans ces conditions, ça se jouera du 27/02 au 30/06 dans certains cinémas Gaumont-Pathé. Quels cinémas ? Quand ? Google vous le dira peut-être, moi je n’en sais rien. Essayez donc de CLIQUER ICI

Ne vous privez pas de ça… plutôt que d’aller voir La La Land …

Note de la rédaction à l’auteur :
Tu vois que tu y arrives ! C’est pas si difficile d’écrire une bonne critique !

6 réflexions sur « Le Misanthrope (Critique aisée 91) »

  1. Merci Monsieur le Professeur…

    Ta clémence envers mon inaptitude à décrypter le ‘bon sens’ me manquait!

    C’est une manie, chez moi, dès que je vois un panneau sens interdit, je tombe dedans!

    C’est mon côté Taureau… cet animal idiot qui ne broute pas toujours à Wall Street!

  2. Immodeste pour l’auteur, flagorneur, dithyrambe pour le commentateur, comme tu y vas !
    Entre écrire une bonne critique (critique favorable) et une bonne critique (critique bien faite), il y a une grande différence, et comme cela arrive de temps en temps, tu n’as pas vu le bon sens des mots, bon ayant ici les deux sens possibles : exact et généreux. Dans l’absolu, mais dans l’absolu seulement, cela pouvait prêter à confusion. J’aurais dû mettre de gros points sur les « i ». Mais dans « bon » comme dans « favorable », il n’y a pas de « i ».
    Je me suis expliqué souvent sur ma préférence pour le cinéma par rapport au théâtre.
    Je reconnais qu’il y a certains moments de théâtre très forts, (Shakespeare, Racine, Feydeau, Giraudoux, Albee, Tennessee Williams, …), mais très rares. Les moments forts au cinéma sont innombrables.
    Louis Jouvet, de l’autre côté de la rampe-caméra, faisait les deux, théâtre et cinéma. Il avait cette formule:
    « Au théâtre, on joue. Au cinéma, on a joué. »

  3. Pas besoin de féliciter l’auteur de la critique, c’est fait! Pour l’immodestie, ce n’est pas encore du Trump tout craché mais un petit effort et ça ne saurait tarder!

    l’avantage pour le commentateur du critique (who can get his own satisfaction) est de ne pas avoir à jouer à l’âne de Buridan, pris entre flagornerie et di(r)thyrambie!

    Théâtre ou Cinéma? That’s the question!

    Si le spectateur est mal assis au théâtre, c’est pour éviter qu’il s’endorme et ronfle…
    ce qui affecterait négativement la performance des acteurs… et si c’est cher, c’est pour être certain que le cochon de payeur ne parte pas avant la fin… puisqu’il en veut pour tout son argent! Qui dit cochon, dit tirelire et qui dit tirelire, dit radin. (À propos j’ai L’avare en DVD, Harpagon incarné par le Louis de Funes d’Arpajon, ce n’est pas si le fun, je me suis fait avoir, il y a deux trous dans ma cassette VHS!)

    l’avantage et l’inconvénient du théâtre est l’interaction acteur/public! (Oui, je sais mon expertise est l’interactionnisme de Palo Alto! je le vois partout)

    Au cinéma qu’il y ait du monde ou pas dans la salle, les acteurs n’en ont que faire… le film est déjà tourné, la plupart des acteurs est déjà payée! C’est le réalisateur qui les mouille ou salive!

    Un autre avantage du film est qu’il voyage plus aisément qu’une troupe de théâtre et peut être pourrais-je un jour le voir avant de mourir en exil sur mes quelques arpents de neige et de crottes de canard!

    Un parisien nostalgique des taxis G 7, pré-Ubériens!

  4. Bon, je recommence mon message dont la première rédaction s’est subitement envolée. Je disais donc que j’étais bien d’accord pour reconnaître que les places de théâtre sont souvent l’endurance d’une torture. La solution retenue par « nous » (je n’y vais pas seul) est de choisir la pièce bien sûr (je veux dire sur la base de l’envie et pas sur celle de la mode à laquelle tout bon parisien se doit de succomber, sous peine sinon de n’avoir aucune conversation digne d’aller dans le Monde), de n’aller que dans des théâtres qui ont des places à peu près confortables et de payer le prix de ce confort. La salle Richelieu (y étions dernièrement pour Cyrano, Marivaux, etc) ou L’Odéon (dernièrement L’Hôtel Feydeau) offrent des places confortables à des prix abordables, et bien sûr des bonnes pièces. Il y en a d’autres. Mon seul regret est de ne pas y aller plus souvent, au théâtre.

  5. Pour moi qui suis fait de chair et d’os, comme les acteurs que tu voudrais pouvoir sentir de près, ce sont justement ma chair et mes os qui souffrent quand je vais au théâtre. Je crois qu’ il vaut mieux voir Molière dans ces conditions de salle de cinéma que de ne pas le voir du tout. Ici, pas de mouvement de camera, que des plans fixes dont la plupart montrent la scène dans sa totalité, toujours sous le même angle.
    Le nombre d’expériences pénibles que j’ai vécues au théâtre, que ce soit à cause de la salle ou de la pièce, et souvent à cause des deux, m’encouragent à aller voir le prochain spectacle de la Comédie Française au cinéma : Cyrano de Bergerac, à partir de juillet prochain.

  6. Pas de doute! C’est bien une bonne critique. J’aurais aimé pouvoir dire « c’est pas pour moi, une pièce de théâtre ne peut se voir que dans une vraie salle de théâtre avec des acteurs en chair et en os et avec l’ambiance de la salle », mais je ne le peux pas, à moins d’être un parfait hypocrite, puisque je me rends régulièrement dans les cinémas Gaumont pour « aller à l’opéra ». J’ai chaque fois une vague impression de trahison de cet art lyrique. Mais c’est aussi une façon facile d’aller au Met pour 32 € sans aller á New York. Décidément non! À la réflexion, rien ne vaut le vrai. Autant rester chez soi et regarder à la télé les pièces de théâtre avec Jacqueline Maillan ou bien écouter un CD de La Callas, sans honte!

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