Maintenant, écoutez-moi bien, vous tous !

Ecoutez-moi bien, parce que je ne vais pas le dire deux fois !

J’en ai marre !

Oui, j’en ai marre.

Marre de vous, là, Françoise, vous à qui chaque matin je dis gentiment « Bonjour Françoise, comment ça va ce matin, vous pouvez me faire un café ? », et qui me répondez chaque matin en me racontant votre dernier malheur, votre derrière vexation, votre dernière ampoule au pied

J’en ai marre !

Marre de vous, oui vous, là, Robert, marre que vous veniez poser votre fesse droite sur mon bureau, marre que vous me demandiez ce que je pense de la façon de s’habiller de la nouvelle secrétaire de Grougnard, marre de vous entendre raconter comment vous avez sauté la documentaliste dans la salle de photocopie,

J’en ai marre !

Oui, j’en ai marre, marre de vous aussi, Patron, marre de vos discours sur la grande famille que nous formons tous, du haut en bas, du PDG à la standardiste, marre de vos façons amicales, de vos objectifs inatteignables, marre de vos chaussures de chez John Lobb, de votre montre de chez Breitling et de votre voiture de chez BMW,

J’en ai marre !

Marre de vous, Monsieur Trucmuche, et de vous aussi Monsieur Machin, sans vous oublier Monsieur Duchnock, vous les clients, vous qui ne savez pas ce que vous voulez, mais qui le voulez tout de suite, ou alors plutôt en vert… si vous saviez ce que j’en ai marre de vous entendre me raconter vos vacances à Montalivet-les-Bains ou le mariage de votre beau-frère à Guéret dans la Creuse,

J’en ai marre !

Bon sang, ce que j’en ai marre !

Ah, et puis j’en ai vraiment marre aussi de toi, Marcel, toi le garçon du Balto, toi qui chaque jour me place à la plus mauvaise table du bistrot, entre la porte des toilettes et celle de la cuisine,

Marre !

J’en ai marre de toi, Jean-Claude, mon voisin, toi qui prends toujours ma place de stationnement dans la rue, toi qui va faire construire une piscine dans ton jardin, toi qui réussis si bien dans la vente des outils de bricolage et toi dont le fils vient d’entrer en prépa, marre, j’en ai marre, je te dis,

J’en ai marre de vous, mes enfants, de toi Julie et de tes jeans déchirés, et de toi Jacques et de tes cheveux trop longs, j’en ai marre de vos silences, de vos airs accablés, de votre musique, de votre façon de parler, de marcher, de manger, j’en ai marre

Et puis j’en ai marre aussi de toi, ma femme, toi qui dors encore quand je pars le matin, et toi qui me raconte le soir combien ta journée a été difficile, toi qui me parles de la nouvelle femme de ménage qui ne sait pas travailler, de la fuite de la chasse d’eau, des enfants qui ne foutent rien, de ton amie Michèle qui est trompée par son mari, et même du chien qui a mangé tes chaussures toutes neuves,

J’en ai marre, marre, plus que marre !

Alors vous tous, écoutez-moi bien, hein ! Vous avez intérêt à changer, et vite fait !

Parce que, si ça continue, hein, vous allez voir, moi, un jour, je vous le dirai tout net, que j’en ai marre.