A la campagne entre amis

Morceau choisi

C’est pourquoi aussi le monde que satirise Proust est loin d’être suranné. Aujourd’hui certes, il n’y a plus guère de salons : ils ont été remplacés par les maisons de campagne ; et les « matinées » ont fait place aux week-ends. Mais sous le pull-over à col roulé comme jadis sous l’habit, c’est le même « cœur révélateur » qui bat. Sous le toit tourangeau ou normand la même conversation se poursuit, les mêmes lieux communs déguisés en paradoxes ; la même affectation de naturel et d’innocence couvre des gestes et les intonations également mécaniques, et c’est la même certitude sous-entendue d’être l’unité d’étalonnage de l’art de vivre, le centre des choses à partir duquel s’échelonne et décroît en s’éloignant la valeur du reste des humains, mesurée à sa ressemblance plus ou moins fidèle avec la petite assemblée qui regarde, ce soir, le feu de bois si discrètement fier d’être si elle-même. Enfin, c’est aussi la même précipitation de prévenance militante dans les détails, superposée à l’incivilité foncière, c’est l’invasion des gentillesses minuscules, des petits cadeaux stupides, des téléphonages superflus côtoyant la sécheresse et l’égoïsme.

J-F Revel « Sur Proust » -1960

 

11 réflexions sur « A la campagne entre amis »

  1. Un dernier mot tout de même, car ça fait du bien des fois d’être une teigne (c’est aussi un papillon). Trêve de subtilités et, allons, disons les choses carrément. Ce qui m’offusque en réalité ne sont pas les mots lancinant et exaspérant utilisés pour qualifier le Boléro de Ravel. Lancinant il peut l’être en effet, tout dépend de ce ce que l’on juge et dans quelles conditions, de même qu’on pourrait juger la peinture de Picasso saugrenue ou absurde. La création artistique a bon dos et peut servir à tout, surtout par comparaison. Et justement, ce qui m’offusque c’est l’utilisation de ces mots qui viennent perfidement, par une technique d’illustration inappropriée, à l’appui du dénigrement des thèses que l’on approuve pas. Je vois bien ce que celles de J-F Revel, comme celles d’autres intellectuels qui lui sont contemporains, Raymond Aron par exemple, répétées régulièrement dans des livres et des chroniques après une reconversion politique que moi j’approuve, peuvent, de façon lancinante, exaspérer les nostalgiques, ou plutôt les archaïques, d’un militantisme de gauche complètement suranné. Bon! Sans rancune!

  2. et un battement d’ailes de papillon dans la baie de New York… un typhon sur Nagasaki!

  3. Je ne reproche pas René-Jean ta perception du boléro de Ravel. Tu le trouves lancinant, redondant (ennuyeux?). Cette perception m’offusque car le boléro est à mon sens une œuvre extraordinairement artistique, une création géniale avec ce pouvoir de suggestion magistral qui est le propre des grandes œuvres artistiques. Ravel répondait à une commande pour un ballet, càd par une musique à entendre et voir en harmonie. Je ne suis pas musicologue et ne sais pas expliquer le génie de cette composition mais je peux dire que la repetitivité du thème allant crescendo avec l’entrée successive des divers instruments de l’orchestre crée chez moi une émotion, mieux, une tension, un suspense même, fait pour communier avec la danse. Lancinant Le boléro? Non! Envoûtant!

  4. Comme quoi un seul petit éternuement peut déclencher une avalanche.

  5. Comme nous l’ont fait remarquer, du temps de la Démocratie Athénienne, les Sophistes Gorgias et Protagoras, « que l’on parle de la vie et de l’œuvre de jean-François Revel ou du Boléro de Ravel, c’est toujours une être humain qui en parle! »

    Philippe allait dire quand je l’ai écrit que « pour appréhender la ‘réalité objective’ ou ‘vraie’ il fallait bien un être humain pour ‘la percevoir’ ! Il n’y a pas que la politique qui relève de la perception mais tout ce dont on parle!

    Saint Augustin, après les Sophistes grecs mais avant les Gestaltistes teutons, nous a bien assuré que « pour voir, il fallait croire » et pourtant la maudite grammmaire française, avec son verbe ‘être’ nous laisse croire que l’on est en mesure de décrire les choses telles qu’elles sont et non telles que nous les construisons (en les percevant et les décryptant) à partir de notre « carte écran radar » (Weltanschauung pour les Gestaltistes) bourrée de croyances, d’idéologies ou d’histoires à dormir debout (ou ‘narratives’ chez les Saxons anglais) que l’on nous a racontées à l’écore et/ou dans nos chômières’ respectives à défaut d’être respectables!

    Alors pourquoi me reprocher d’avoir telle perception ou telle autre sur Ravel et son Boléro ou sur Rével et son œuvre ou sa vie. Il en va de même du socialisme de Jean Jaurès et de la seconde internationale socialiste, comme de l’idéologie du néo libéralsime ou du capitalisme sauvage.

    Comme l’a bien vu Edgar Morin, les ‘descriptions scientifiques’ comme les littéraires ne relèvent pas de la nature de ce qui est décrit mais du regard (issu de perceptions mémorisées) que lui porte le savant (dont le nom est associé à la découverte/invention) ou l’homme de lettres, Rével n’est pas Proust!

    Les choses iraient mieux si le locuteur admettait que ce dont il nous parle n’est que sa vision, fondée sur ses croyances! Et que tout cela n’est qu’une affaire de spécificité des pérégrinations humaines! NON?

    Si dans mes détours, je ne suis pas passé par la case Béjart, je ne vois et n’entend que le Boléro de Ravel dans ‘Ten’ (avec le beau derrière de Bo Derek) ou dans ‘Les uns et les autres’ (de C. Lelouche) dont le chef d’orchestre avait joué pour Adolphe!

    Ceci dit, je regrette la dimension douloureuse à laquelle beaucoup de Français font référence lorsqu’ils emploient l’adjectif ‘lancinant’… je souhaitais rapidement mettre l’accent sur le côté répétitf de ce morceau de l’œuvre du compositeur du temps de nos parents que je trouve par ailleurs et personnellement magnifique…

    Il m’arrive d’écrire des textes où les phrases redondent avec, à chaque tour du disque, un adjectif ou un argument supplémentaire… et là, mes lecteurs trouvent cela lancinant!

  6. Merde alors! J’ai écrit Serge Lifar alors que je voulais écrire Maurice Béjart. Impardonnable! Je répète, Maurice Béjart, scrogneugneu!

  7. Un mot encore car moi aussi j’étais un admirateur de J-F Revel. Sa vie elle-même a un côté romanesque, comme son entourage familiale fait de personnalités non moins intéressantes, comme son fils du premier mariage, Mathieu Ricard, scientifique d’abord puis moine boudhiste et délégué du Dalaï Lama en France avec qui il co-écrira l’un de ses derniers livres d’importance, « Le moine et le philosophe ». (D’accord avec Philippe à propos de sa deuxième épouse tout juste bonne à figurer dans les émissions de Ruquier). Il rompra avec le socialisme au début des années 1970 en comprenant bien avant l’heure que cette idéologie n’avait aucun avenir pour l’amélioration de la condition humaine en rejetant l’économie libérale (d’où ses deux livres majeurs cités précédemment). Mais en plus, J-F Revel était un bon vivant et un gastronome réputé. C’était un habitué du Grand Véfour et de la Brasserie de l’Ile Saint-Louis dont son appartement parisien se situait quelques étages au-dessus et où on pouvait souvent le voir dejeuner avec bon appétit. D’ailleurs, ses dernières chroniques et son dernier ouvrage étaient consacrées à la gastronomie.
    PS: Lancinant le Boléro de Ravel? Je conseille à René-Jean de le « voir » avec les yeux et les oreilles dans la chorégraphie exceptionnelle de Serge Lifar pour changer de qualificatif. Attention, pas sur YouTube, mais en représentation reeelle. Moi j’aurais écrit « sublime ».

  8. Que JFR ne soit pas ta tasse de thé ne me surprend pas plus que ça. Tu as sans doute raté « La tentation totalitaire » et « Pour l’Italie », textes pour lesquels je le remercie encore, sans oublier ses chroniques. A l’époque, les années soixante + ou – epsilone, une pensée originale qui nous reposait de Sartre et autres chantres du communisme bienfaiteur de l’humanité et de l’URSS bienfaitrice de l’Humanité. le seul défaut que je lui connaisse est d’avoir épousé Claude Sarraute, fille de Nathalie, une snob, sans le savoir, gourde et sympathique (Claude, pas Nathalie).

  9. JF Revel dont j’ai lu quelques bouquins dont ‘Ni Marx ni Jésus’ ne m’a rien révélé, je préfère le lancinant boléro de Ravel ou l’exaspérant bordel de Ravo!

  10. A peu près d’accord : le texte n’est pas très léger, et JFR s’essaie visiblement à proustifier. Mais la déclinaison des « Sous le…, c’est le même… » n’est pas proustienne du tout. Elle est même très cliché, très scolaire. Par contre, le mot « téléphonage » que je n’ai vu utiliser que par le petit Marcel, me réjouit beaucoup. Ce qui est vraiment proustique, c’est tout ce qui parle d’affectation de naturel, donc de snobisme selon Proust. La phrase la plus digne de Proust est pour moi la suivante : « le centre des choses à partir duquel s’échelonne et décroît en s’éloignant la valeur du reste des humains, mesurée à sa ressemblance plus ou moins fidèle avec la petite assemblée qui regarde, ce soir, le feu de bois si discrètement fier d’être si elle-même. »
    En dehors du style, il y a le sujet. Cinquante ans après, il ne semble plus beaucoup d’actualité. Les gens ont-ils encore le temps de ces raffinements intellectuels, considérés à présent comme inutiles ? Seules certaines sous-régions comme le Lubéron réunissent encore quelques hommes et femmes du monde parisien d’aujourd’hui : la presse, la politique, la haute administration qui ont remplacé la superbe, l’égoïsme et l’intellectualisme artificiel des Guermantes et la fortune et l’entre-soi des Verdurin.

  11. Pas très clair tout ça! Revel en 1960 s’essayait-il à faire du Proust? Son style, me semble-t-il, est heureusement devenu beaucoup plus clair par la suite (Ni Marx ni Jesus, La Tentation Totalitaire, etc). Ses sujets s’y prêtaient peut-être mieux.

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