Qu’est-ce que t’as fait à la guerre, Papa? (2-La longue marche)

Journal du sergent Daniel Coutheillas 2-3 juillet 1940

La longue marche

2 juillet 1940
Je suis prisonnier, comme échoué le long de ces grilles que gardent des soldats allemands!
Depuis un mois, nous sommes sans nouvelles. Où êtes-vous Denise, Marie-Claire, ma mère?

3 juillet 1940
C’est pas marrant d’être prisonnier !
Après notre reddition d’honneur (?), nos adversaires ont été charmants. Je retrouvais l’amabilité qui m’avait plu quand j’étais allé en Allemagne.
Mais, le lendemain tout changeait. Ils ont

pris ma voiture, mes affaires et ne m’ont laissé que mon portefeuille et une trousse de toilette. Une première nuit dans une usine, sur le ciment, rien à manger, rien à boire. Au matin, départ pour St-Mihiel en passant par Commercy. Près de soixante kilomètres sans manger, naturellement. Des mitraillettes sont braquées sur nous, immense colonne, milliers d’hommes.
Parfois nos gardiens, jeunes et arrogants, tirent en l’air afin de faire lever les trainards. Une sale gueule de feldwebel me crie dans la figure: « Vous avez déclaré la guerre. C’est ça la guerre ! » Ne rien répondre.
Impossible de dire ce voyage, aggravé de deux orages qui nous détrempent. Sans couverture, sans capote, sans toile de tente.
Je suis mort. Je m’évanouis à l’arrivée. Mas me jette une couverture dessus. Nous dormons côte à côte dans l’eau. Au réveil, je claque des dents. Prunet cherche un docteur. Je me lève. Dumousseau et Lauriol ont construit une tente. Je m’y réfugie. Prunet est crevé, méconnaissable. Toujours rien à manger.
Deux jours plus tard, départ pour Verdun. Je traverse St-Mihiel avec Boyer, Prunet, Dumousseau etc…, la bonne équipe. Le pont a sauté. Il était tout neuf. Il est ratatiné à zéro. On passe un par un. Des prisonniers ont des voitures à bras. C’est tout un boulot pour passer. Nous avons perdu la guerre. Les dotations en  voitures d’enfant sont nettement insuffisantes dans l’infanterie.
Le voyage devient plus facile. 38 kilomètres, vieux gardiens. Des gens partout sur notre passage, pleins de sollicitude, à boire, quelque fois un bout de pain.

Le camp
Je suis maintenant à la caserne Niel à Verdun. Peu nourris les premiers jours. La vie s’organise doucement. Je connais la faim. Ça me manquait ! C’est supportable quand on ne bouge pas et nous limitons nos efforts au strict minimum! Prunet a acheté une boule allemande 25 francs. Il la partage généreusement.
Je couche avec lui et Dumousseau sur un même lit de paille étalé sur le ciment. Nous sommes cinquante dans une pièce construite au maximum pour vingt. Pas d’eau, pas d’hygiène, même élémentaire.
Dans cette crasse, nous sommes environ vingt mille ! Il fait chaud, je ne souffre pas. Je ne suis même plus inquiet sur le sort des miens. Je suis concentré sur moi-même. Je m’animalise !
Dans cette foule, le moindre espoir nait, s’amplifie, circule à toute vitesse. Il parvient aux oreilles de chacun et chacun croit à tout.
Espoirs…La Paix est signée, dit-on, libération demain, dit-on…
Espoirs qui tombent…
En vérité, nous ne savons rien…Rien.
Les Allemands nous mentent tant et plus. Ils ne doivent rien savoir non plus. Ils sont humains. Ce sont de vieux Autrichiens, aussi pressés que nous de voir finir ce cauchemar. Derrière eux marchent de jeunes SS, 18–20 ans, orgueilleux, odieux, infects.

Sur Verdun, je vois flotter le drapeau à croix gammée. J’en pleure de honte.
Pauvre pays. Triste armée mal équipée. Nos mousquetons à un coup contre leurs mitraillettes. Nos fantassins arrivant en ligne écrasés de fatigue après des étapes à pied crevantes avec leur barda. Et l’ennemi, arrivant en camions,   à peu de distance du front, légers, sans équipement !
Pauvres fantassins, tués à moitié endormis de fatigue.
Ignorance totale des officiers. Inaptes à faire la vraie guerre. Préoccupés de leurs privilèges. Incapables de faire respecter une discipline indispensable. Des villes, Longwy, Toul,  pillées lamentablement. Hommes saouls !

Nos gardiens sont humains. Ils satisfont  nos besoins dans la mesure du possible. Nous sommes si nombreux !
Notre chambrée est surpeuplée.
Il y a Mas qui travaille chaque jour pour améliorer son ordinaire. Il nous rapporte et partage ce qu’il récolte. Charmant, calme et souriant, il n’a pas changé.
Chazeau habite là également. Il est devenu antipathique. Sous les bombardements des derniers jours, il était planqué dans un trou, vert de peur, claquant des dents. Maintenant, il a retrouvé sans discrétion toute sa superbe. Il se révèle égoïste et intransigeant.
Prunet couche à côté de moi. C’est toujours le même bonhomme, moral truculent, franchise et verdeur d’expression. Il refuse de travailler pour les Allemands. Il sommeille toute la journée sur notre grabat et sort parfois pour se dégourdir.
Dumousseau est bien. Il a fait preuve d’un patriotisme ardent, d’un grand sang-froid. Il a combattu à armes inégales. Il a tenu son poste et ramené ses hommes sans aucune perte. Il pleurait le soir de la reddition. Maintenant, il joue aux cartes, discute avec tous, parle savamment de tout. Il a un cœur d’or et un fouillis d’affaires qu’il laisse trainer partout.
Beal use du langage imagé d’un vieux titi parisien. Il attend patiemment la fin de tout ça en usant de trucs, de ficelles et de débrouillardises.
Lamiral avait reçu la croix de guerre le matin de la reddition de Bicqueley. Sa valeur et son sang-froid sont remarquables. Il est dans une chambre proche. Sympathique !
Il y a Boyer, inénarrable, gouailleur, gai, plein d’entrain. C’est un plaisir de le voir. Quel Monsieur ! Un vrai gosse, sa compagnie me plait bien que nos idées soient différentes et qu’il se cantonne dans un sectarisme de syndicat qui me ferait bondir, Prunet aussi, si ce n’était pas lui. Il a des conceptions culinaires à lui. Vin rouge dans le bouillon. Il se réjouit à notre retour de captivité d’aller faire ce mélange chez Dumousseau et Prunet, qui hurlent.

A suivre
Prochaine édition le 4 juillet

Sergent vaguemestre Coutheillas Daniel
58ème Division d’Infanterie, 1er Compagnie du Génie, S.P.241

 sergentDaniel Coutheillas et Eugène Prunet, mai 1940

3 réflexions sur « Qu’est-ce que t’as fait à la guerre, Papa? (2-La longue marche) »

  1. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de « girafe avec son cache col » ?

  2. Eugène est devenu le meilleur ami de pon père. Il était entrepreneur de peinture rue de la Glacière. Je l’ai très bien connu. Quand j’étais petit, il me faisait peur, car il était très gros et très peu patient avec les enfants. Par la suite, il m’a fait beaucoup moins peur, et j’ai souvent chassé avec lui.

  3. C’est dans l adversité que l on découvre la personnalité d un individu. Confucius penseur préfère de patsue . Voir la girafe avec son cache col
    Le récit de Daniel est très instructif. Bien écrit plein de détails intéressants . pourquoi toutes ces générations d anciens combattants n ont pas raconte leurs histoires. Pudeur. Oublier le passé douloureux. ?.
    Philippe as tu connu brunet ou d autres camarades de ton père. ? On attend la suite, !

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