Un moment d’égarement

Marie-Claire                                                            

Le couvert était mis : deux assiettes, les serviettes blanches bien pliées, en triangle, comme Elise les aimait. Les couverts d’argent luisaient doucement, les verres étincelaient. Elle ajouta quelques fleurs au centre de la table, s’assit, lissa sa jupe, arrangea ses cheveux, posa ses mains sur ses genoux et attendit.

A l’autre bout de la ville, le commissaire tendit la feuille au jeune homme pâle qui lui faisait face et lui demanda de relire et de signer. Le jeune homme pâle obtempéra.

La nuit était tombée, déjà neuf heures. Elise pensait à son rôti qui serait trop cuit. Elle se leva pour éteindre le four et en profita pour ranger la cuisine : l’ordre, en général, calmait ses inquiétudes.
Mais pourquoi était-il en retard ? Et s’il n’allait pas venir ? Elle l’avait invité bien qu’elle le connaisse très peu, elle ressentait un tel besoin d’une présence masculine. Il y en avait eu si peu dans sa vie…
Elle continuait à nettoyer, ranger, faire reluire ce qui était déjà propre. Tout était vraiment prêt. Une bonne odeur de cuisine se répandait, le vin était débouché.
Marc n’arrivait toujours pas. Elle revint près de la table, redressa une fleur qui troublait l’harmonie du bouquet puis se mit à la fenêtre. Elle regarda les voitures glisser sur les pavés luisants qui reflétaient les lumières dorées de la ville.
Personne en vue. Alors, elle pleura.

Au poste de police, Marc se décomposait. Pourquoi fallait qu’il se soit fait pincer, juste ce soir, alors qu’il était sur un si joli coup ! Mais ils n’avaient pas grand-chose contre lui et il ne parlerait pas, ils ne l’auraient pas !
On lui avait permis de donner un coup de téléphone, un seul. Qui pouvait-il appeler ? Il ne connaissait pas d’avocat, ses parents ne voulaient plus entendre parler de lui et des amis, en avait-il ? Des complices, oui, mais des amis ?
Alors, il appela Elise.

Elle vint le chercher le lendemain matin. Après une nuit de garde à vue, on le laissait partir : on ne pouvait rien retenir de concret contre lui, à part de mauvaises fréquentations ! Les policiers se demandaient s’il était très malin ou simplement innocent. Ils ne pouvaient rien prouver, ils le relâchèrent.

Donc tôt le matin, Elise fût autorisée à l’emmener. Ils sortirent du commissariat en se tenant par la main. Chacun, à sa façon, avait passé une nuit affreuse. Ils aspirèrent avec soulagement l’air frais de la rue et montèrent dans la voiture d’Elise. Elle conduisait adroitement dans les embouteillages et il ne put s’empêcher d’admirer ses mains fines tenant fermement le volant. Evidemment, il remarqua aussi le gros diamant qu’elle portait à la main droite. Un diamant qu’il connaissait déjà, il l’avait tout de suite vu lorsqu’ils s’étaient rencontrés…

Un diamant de cette taille, ça donne des idées !

Rentrée chez elle, Elise l’installa dans la chambre d’amis, une chambre qui ne servait pas souvent…

Joli endroit, se dit-il, en passant la main sur le couvre-lit de velours qu’elle enleva d’un geste rapide et plia soigneusement.

-Vous êtes sûrement très fatigué. Reposez-vous un peu. Mais avant, prenez donc un bain, ça vous fera du bien.

Elle lui montra la salle de bain et sortit. Il se livra alors aux délices d’une eau parfumée et à la douceur des serviettes mousseuses.

Il s’allongea ensuite sur le confortable lit et s’endormit jusqu’à ce qu’Elise l’appelle, il était temps de déjeuner.

Elle l’attendait près de la table qu’elle avait préparée la veille, ils reprenaient tout à zéro : foie gras, rôti, dessert, vin à profusion. Il ronronnait, ses joues devenaient rouges, il était visiblement de plus en plus à l’aise. Il ne parlait pas, tout occupé qu’il était à savourer ce qu’on lui offrait si gentiment.

Elise, elle, buvait très peu. Elle se posait des questions, de plus en plus de questions : que voulait vraiment ce jeune et beau garçon en traînant dans ce bal du dimanche où elle l’avait rencontré ? Quelle idée avait-il derrière la tête, aventure ou profit ?
Elle, elle cherchait à tromper sa solitude, mais lui, qui cherchait-il à tromper ? Il avait l’air si content, si épanoui dans ce confort, était-ce ça qu’il voulait ? Un peu de chaleur ? Ou bien plus ? Un petit serpent froid se glissait dans sa poitrine, une inquiétude sournoise.

—Marc, comment gagnez-vous votre vie ? A supposer qu’il la gagne se disait-elle. Mais après tout quelle importance… Au diable les soupçons !

—Je travaille aux puces de Saint Ouen. Chez un broc… un antiquaire, quoi. Il a un stand.

—Et vous y faites ?

—Je cherche des meubles, des objets, je vais chez les gens, je leur propose des affaires…

Il ne voulait pas trop en dire, avouer qu’il repérait ce qu’on cambriolerait quelques jours plus tard.

C’est peut-être vrai se disait Elise et puis, à quoi bon. Ce moment devait être le plus agréable possible. Elle regardait son invité : il avait un beau visage étrange, des yeux verts très écartés, une large bouche gourmande, des cheveux très noirs, ébouriffés, qui enlevaient un peu de son air inquiétant. Elle détaillait pourquoi il lui avait plu tout de suite.
Après tout, qu’avait-elle à faire de la vérité, elle non plus n’était pas très nette dans cette histoire. Elle leva ses défenses.

Le vin aidant, Marc flottait. Il s’installa sur le canapé, elle vint le rejoindre. Il se fit tendre, elle le fût aussi. Ils se retrouvèrent dans la chambre et ne virent plus passer le temps.
Les rideaux de velours laissaient filtrer un dernier rayon de soleil, le jour baissait. Marc regardait Elise dormir. La demi obscurité faisait d’elle une autre femme, abandonnée dans ses cheveux dénoués. Sur la table de nuit, dans un cendrier en argent, le diamant le narguait. Il pensa bien à se lever discrètement, à attraper son jean et son pull et à fuir en l’emportant. Mais il la vit, si douce, si fragile, un peu fanée peut-être, mais juste assez pour l’émouvoir. Le confort qui l’entourait, il ne l’avait jamais connu. C’était si bien, si rassurant après ces années de galère… un peu de calme, plus d’aventure, au moins pour quelque temps… Il sentait cette femme là, celle qui dormait tranquille à ses côtés, il la sentait prête à lui donner beaucoup, à lui donner enfin ce qu’il cherchait sans le savoir depuis longtemps un port d’attache. Alors, il reposa sa tête sur l’oreiller.

Brusquement elle a sauté du lit d’un bond, remis le diamant à son doigt, secoué ses longs cheveux. Puis elle a dit :

—Debout mon petit Marc ! Je suis en retard. Il faut que tu t’habilles et que tu files ! C’était très agréable mais je dois remettre de l’ordre, dépêche-toi, j’attends mes parents pour le dîner.

Alors il est parti.

2 réflexions sur « Un moment d’égarement »

  1. Beau style! Prenant… si le lecteur est disponible… Belle histoire aussi!

    Moralité: ne jamais s’attendrir surtout dans la douceur des serviettes mousseuses…

    Take the diamond… and run!

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