¿ TAVUSSA ? (15) – Une vue de l’Amérique

Je suis un enfant de la guerre.

Et nous autres, enfants de la guerre, nous avons été nourris, au propre comme au figuré, au lait concentré sucré de l’Amérique. Nous avons grandi en force et raison grâce aux Candy Bars Hershey’s pour la bonne énergie, au chewing-gums Wrigley’s pour la mâchoire carrée et au Coca Cola pour la soif d’aujourd’hui. Mais aussi grâce à John Steinbeck et à Franck Capra pour la justice sociale, à Gary Cooper et John Ford pour le courage, à Howard Hawks et John Wayne pour le patriotisme, Fred Astair et Ginger Rogers pour l’élégance, Stanley Donen et Katharine Hepburn pour la sophistication… Nous avons grandi en regardant l’Amérique.

Et puis, il y a eu Kennedy à Dallas, Johnson à Washington, les boys au Viêt-Nam, Nixon au Watergate… Mais c’était des accidents, des erreurs, des enchainements, des fatalités. Rien de cela ne changeait l’Amérique, qui survivait, se redressait, faisait justice. Il y aurait toujours un James Stewart pour convaincre un Sénat, un Robert Redford pour faire éclater une vérité, un Steve McQueen pour sauver un enfant de l’incendie. Il y aurait d’autres Sidney Lumet pour exposer, de nouveaux Oliver Stone pour dénoncer et d’éternels Woody Allen pour s’en moquer. L’Amérique resterait l’Amérique.

Bien sûr, il y a eu le 11 septembre, et puis Georges Bush Junior, et puis les armes introuvables de destruction massive, et puis, et puis… mais l’Amérique est revenue, une fois de plus, conforme à ce qu’on attendait, un dessin de Norman Rockwell…

Et puis il y a eu le Donald, et le Donald a dit tout ce que nous ne voulions pas savoir de l’Amérique : la brutalité, le cynisme, la violence, la bêtise, la vulgarité, l’égoïsme, l’amoralité, l’immoralité, le mépris, la peur, l’ignorance… tout ce que nous ne voulions pas entendre mais que nous avons entendu.

Alors, nous nous sommes dits que le Donald était un clown mal coiffé, vulgaire et pathétique dans sa naïveté de nouveau riche auto-ébloui, dans son costume d’oncle Picsou rancunier et vaniteux, qu’il n’irait pas bien loin, englué qu’il serait de ridicule sous les parodies des comédiens satisfaits d’Hollywood et des chroniqueurs malins de Broadway, moralement détruit par les belles envolées des discours de Monsieur et de Madame Obama, annihilé, explosé et piétiné par tout ce qui sait lire et écrire dans les cinquante états. Nous étions confiants, l’Amérique ne ferait pas ça.

Et puis l’Amérique l’a fait ! De manière confuse, contestable, contestée, mais elle l’a fait.

L’Amérique n’est-elle plus l’Amérique ?

Is this really happening ?
Où êtes-vous, James Stewart et Robert Redford ?
Qu’est-ce que vous fichez, Gary Cooper, John Wayne et Steve McQueen ?
Qu’est-ce que vous attendez, le Vème de cavalerie ?

J’ai peur.

3 réflexions sur « ¿ TAVUSSA ? (15) – Une vue de l’Amérique »

  1. J’ai trouvé cette conversation à trois tout à fait passionnante .
    Félicitations
    Gilbert

  2. L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir…

    Je ne l’ai pas eu et ce n’est pas demain la veille!

    Mon roman perso sur l’Amérique est très proche de ceux de Philippe et de Jim.

    Comme eux, je suis un enfant de la guerre! J’ai un vague souvenir d’un soldat américain me donnant un chewing-gum alors que nous traversions la Seine dans sa ‘landing barge’ le long du pont de Poissy, détruit aux 3/4. Je me souviens aussi que mes parents, à la Libération, avaient invité à dîner, à Andrésy, des officiers américains, canadiens et anglais qui venaient de récupérer le QG allemand du hameau de Denouval, jouxtant au sud, notre village.

    En grandissant, j’ai vu, souvent avec Philippe, les films américains qu’il évoque avec talent et précision. À Andrésy, avec les copains du coin, nous avons joué aux Cowboys et aux Indiens. Ma crinière Trumpezienne me mettait dans le camp des visages pâles alors que mes copains vénéraient, en bons écologistes à venir, le Grand Manitou des Prairies. Nous avons joué aussi à la petite guerre avec des carabines à plomb ainsi que des bazookas lance-fusées de feux d’artifice et des mortiers dont de gros pétards projetaient à haute altitude des boites de conserves vides… Heureusement, pas de morts ni de blessés graves, mais nous nous prenions pour Audy Murphy (le Blanc, pas le Noir). Déjà avancés dans l’adolescence, nous nous sommes fondus parmi les GIs débarquant à Obama Beach (je sais c’est Omaha dans l’Utah, mais je n’ai pu résister) dans « The Longest Day » et, partant du premier rang de la salle des Champs Élysées, nous escaladions au grand dam de leurs ‘occupants,’ les rangées de chaises sensées ralentir notre progression libératrice vers la lumière des projecteurs!

    Après, cinq années de bonheur passées autour de la Sorbonne et de Science-Po, au cours des quelles je voyais fréquemment Philippe alors en train de fonder sa première famille. Durant ces années (62-67) la grandeur de l’Amérique et de ses idées libérales m’était doctement et magistralement enseignée par Raymond Aron. C’était alors à moi de faire la part des choses entre ce dernier dont j’aimais avant tout la modération et l’empirisme et les sociologues anarcho-socialistes, descendants du Jeune Marx, de Proudhon et de Jaurès (idéologies récemment réactivées par Michel Onfray) parmi lesquels, Bourdieu, (alors paradoxalement assistant d’Aron) et, à Sciences PO. Gérard Vincent, mon maître de conférence avec lequel, je suis devenu ami durant une ‘permission.’ Je l’ai retrouvé alors que les évènements de mai 68 m’avaient accidentellement ramené dans le hall de cette institution contestable (je n’en ai fait que la première année, mais y avoir connu Vincent valait bien le diplôme!).

    Toutefois, c’est au moment d’accomplir mon service militaire que l’Amérique est devenue pour moi, un possible supplément de formation en ‘stratégie publicitaire.’ En plus de Sc.-Po et de la Sorbonne, j’avais fréquenté à Neuilly, ‘L’institut des Hautes Études Publicitaires’ qui offrait une perspective de carrière où j’aurais pu exploiter ma formation en psycho-sociologie américaine que la Sorbonne (dite de Gauche) m’avait si magnanimement donnée!

    Mon, père, ce publicitaire au sourire bienveillant, m’avait convaincu, – en parcourant régulièrement des magazines hebdomadaires américains dont il ignorait le texte mais en savourait les photos et les dessins -, que l’Amérique était la mère de la publicité. Plus tard, partant de l’observation du comportement de mon père complétée par de nombreuses lectures, j’ai acquis la quasi conviction que l’Amérique est aussi la mère de l’étude et de la pratique de la communication transculturelle; les habitants des vieux continents étant coincés dans leur culture socio-ethno-religio-régionale.

    C’est donc en fonction de ce qu’il y avait déjà sur ma carte écran radar et que, par intuition, j’envisageais ce qu’il pourrait y avoir que, lorsque l’on me demanda dans quelle pays j’aimerais faire ma coopération ‘universitaire’ (on disait alors ‘culturelle’), je choisis en priorité le Canada où De Gaulle couvait alors quelques ambitions. Vu de France, l’Université de Moncton au Nouveau-Brunswick ne me paraissait pas très éloignée de New York. Et à New York, le directeur de Synergie, – agence publicitaire avec laquelle mon père travaillait pour Solex -, pouvait me placer comme stagiaire (pendant une permission estivale d’un mois) chez D’Arcy, agence prestigieuse, sur Park Avenue!

    C’est donc là, l’histoire qui m’amena au Canada, en vue de l’Amérique!

    Durant ma permission d’Août 68, je fis bien mon stage chez D’Arcy. J’y ai passé le mois à éplucher et à analyser les rapports de recherche faites pour plusieurs de leurs grands annonceurs (Lufthansa, Gerber baby Food, etc.). Rien de mieux pour connaître les cordes sensibles des consommateurs américains.

    Au lieu de revenir en France comme je l’avais planifié après mes deux années d’enseignement dans la coopération, mes employeurs acadiens, séduits par ma connaissance de la psycho-sociologie américaine, m’ont offert de me garder à condition que je fasse un doctorat dans une université anglophone et surtout dans une discipline autre que la sociologie (ils avaient guère apprécié le jeune Marx, Jaurès et Bourdieu durant notre 68 local).

    Me souvenant que l’étude et la pratique de la communication étaient les domaines dans lequel excellaient les Américains, j’ai posé ma candidature dans toutes les universités de leur pays qui offraient un doctorat en communication de masse.

    L’université d’Iowa à Iowa City fut l’une des premières à me répondre favorablement malgré mon score limite au TOEFL (Test of English as a Foreign Language). J’ai évidemment sauté sur l’occasion et j’ai profondément adoré les deux années que j’ai passé dans le Midwest. Du coup, les spéculations des universitaires m’ont semblé plus excitantes que les plans sur la comète des Marketers.

    Il est vrai que ma scolarité de doctorat fut agréablement interrompue par un séjour de six mois en France au cours duquel mon directeur de thèse d’alors, Lee Thayer, me demanda de l’accompagner comme traducteur tandis qu’il était invité par l’Institut de l’Environnement de Paris qui ferma ses portes après notre passage!

    Bien que d’autres portes se soient entrouvertes pour une carrière de prof. à l’Université d’Iowa, j’ai préféré retourner à Moncton qui m’avait offert mes études à condition que j’y revienne. De plus, je n’étais pas certain de maîtriser suffisamment l’anglais pour enseigner et travailler exclusivement en cette langue. Je l’avais sérieusement apprise sur le tard, convaincu qu’elle recélait des trésors inconnus en Francophonie, notamment en ce qui concerne la compréhension du fonctionnement de la communication humaine. De surcroît, l’idée de m’informer en anglais et de former mes étudiants en français me séduisait beaucoup. Il y avait là un petit aspect James Bond (Feu De gaulle m’aurait fusillé pour trahison) qui m’excitait et me stimule encore.

    Ce vécu heureux s’ajoute donc aux bonnes raisons qu’évoquent Philippe et Jim d’aimer l’Amérique. J’ai monté des cours de maîtrise où j’ai amplement documenté – surtout sur les pans historique, politique, sociologique, psychologique et philosophique – la thèse que la communication, voir la communication mondiale, était essentiellement une idée émanant de l’épistémè américaine.

    Toutefois, j’ai toujours gardé à l’esprit mon dilemme sorbonnard opposant Aron aux penseurs anarcho-socialistes.

    Il est convenu de considérer que l’Amérique est devenue la patrie du Capital.

    Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi. ‘The Reds’ ont été très influents, au début du XXe Siècle, dans les luttes syndicales au sein des États de la ‘Rustbelt.’ Je me souviens avoir lu des textes et entendu des cours soulignant le fait que le philosophe John Dewey, fondateur de la Première École de Chicago, avait poussé le Président des États Unis à entrer dans la Première Guerre Mondiale dans l’espoir que les conscrits américains reviennent d’Europe avec les idées des Bolchevicks parmi leurs trophées.

    Hélas, en dépit des nombreux Westerns où le héro solitaire se bat victorieusement contre le grand capitaliste du village qui possède tous les commerces et licencie quiconque rechigne, la plupart des Américains considèrent le succès en affaire comme l’ultime manifestation de l’intelligence, de l’audace et de l’élection divine!

    Si le milliardaire Soros (que Trump déteste) est effectivement un génie; – j’ai lu dans son magnifique ouvrage, ‘The Bubble of American Supremacy’ qu’il partageait la conception de la communication que j’ai acquise aux États-Unis -, Trump est un piètre héritier qui malgré ses simagrées n’a pas un chouya du talent parabolique de son père.

    Le culte inconsidéré du capitalisme sauvage, en dépit du respect qu’enseignaient jadis, sur ce territoire, les ventriloques du Grand Manitou pour la nature et ses créatures, est ce qui est en train de perdre à jamais l’Amérique que je ne cherche plus à avoir! Joe Dassin et son chat sont morts! (‘Mon chat est mort’ = expression québécoise voulant dire que notre projet n’a plus la moindre chance de se réaliser!)

    Seul espoir… que Trump se casse la gueule (sans faire péter la planète) ce qui démontrera que l’on peut exceller en affaires (ce qui est d’ailleurs encore incertain: il n’a toujours pas divulgué ses rapports d’impôts récents) et être le dernier des cons! Ou encore, le borgne parmi les aveugles!

    J’arrête là, il faut que je devance Philippe à la frontière: roman/essai!

  3. Comment pourrais-je ne pas approuver cette « Vue de l’Amérique » remarquablement évoquée par Philippe, moi qui a vécu les mêmes moments et expériences, parfois partagés avec lui, qui a même complété sa vie avec une troisième moitié « Illinoise » et qui continue à rouler en Jeep Wills MB, la première auto qui l’ait fasciné quand elle est entrée dans le jardin d’une maison dans la Sarthe avec trois individus casqués venus chercher là une interprète anglaise (ma mère), enfin, qui s’est vu accordé une bourse d’étude Fulbright à l’Uof I. En grandissant, l’Amérique, son histoire, sa culture, m’ont fasciné, m’ont aussi questionné parfois (pourquoi tous ces « US Go Home » peinturlurés sur les murs?). Avec le temps, l’âge adulte, ma fascination ne s’est pas démentie, mais j’ai aussi compris les paradoxes de ce pays et même la violence inhérente à sa société. J’ai eu l’occasion déjà d’écrire ici qu’il m’était encore difficile de définir clairement ce qu’est mon Amérique à moi, celle bâtie à partir de mes observations, de mes lectures et de mes expériences. Une idée personnelle que j’ai finie par me faire et que je tenterai de résumer ici (exercice difficile sans partir dans de longs développement historiques et politiques dont je n’ai pas le talent d’exposition) est celle-ci. Dés son origine (1776, date de la déclaration de son indépendance, mot qui explique tout), les occupants du territoire (de tous les territoires, divers et variés), devaient intégrer un projet commun, celui de la construction d’un « avenir » en renonçant à leur passé. Malheureusement, avec l’arrivée massive de migrants de toutes origines, cultures et confessions, etc, y compris ceux amenés là malgré eux (esclaves ce couleur noir), mais aussi la double nationalité adoptée sur place (être à la fois citoyen des Etats-Unis et d’un État fédéré), l’identité américaine commune à tous n’est pas absolument établie alors que justement l’Etat américain prône un individualisme forcené, et ce n’est pas le patriotisme affiché ostensiblement (réel et indiscutable) et la présence de drapeaux americains à toutes les portes qui peut faire oublier cet individualisme. Oui, l’Amérique a toujours été capable du meilleur: première démocratie au monde, établie par ses fondateurs (les Thomas Jefferson, Benjamin Franklin, etc, inspirés par les philosophes européens tels que John Locke et Montesquieu); l’equilibre des pouvoirs avec le rejet de la concentration du pouvoir entre une ou quelques mains; une quête permanente d’avenir, les « new frontiers »; et capable du pire: la violence exacerbée par l’individualisme, le mépris de l’autre et le racisme sous-jacent, l’appât et la protection de la richesse, la détention des armes, etc, etc; on connaît la lithanie! Il faut admettre que l’exercice même de la démocratie exprime inévitablement ce meilleur et ce pire. Depuis avant hier et la confirmation de l’élection de Trump, nous pensons que le pire a pris le dessus sur le meilleur. Cette élection est indiscutablement consternante, inquiétante, illisible.
    Mais, personnellement, je n’ai pas peur comme Philippe l’a conclu (comme d’habitude, au 2ème degré, je pense) dans son excellent article, je le répète. Le navire mondial va certainement tangué fortement dans les mois et années à venir. Une chose survivra, j’en suis sûr, c’est le principe démocratique américain. Ce principe continuera à faire rêver les enfants d’après toutes les guerres et dictatures. L’Amérique sera conduite à redéfinir son rôle dans le monde, à faire preuve de plus d’humilité et de pragmatisme dans sa diplomatie. Au risque de paraître naïf ou adepte de la méthode coué, j’ai bon espoir.

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