Incident de frontière – Chapitre 11

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Nous sommes à la fin du long weekend de nos neuf voyageurs. Voici quelle est la situation : Dimanche 24 mai 1970 en fin d’après midi. Les deux breaks Peugeot 207 ont été bloqués au poste frontière d’Addabousiyah, et deux de leurs occupantes, des jeunes femmes américaines, ont passé plus d’une heure prisonnières des soldats syriens. Elles viennent d’être libérées, mais dans la voiture de Jean-Pierre, on ne sait pas ce qui a bien pu arriver aux filles dans le poste militaire. On craint le pire. La tension a inévitablement éclaté en une engueulade de Bill par Jean-Pierre. Mais un petit retour en arrière va nous apprendre ce qui s’est réellement passé.

Chapitre 11

-Laissez-les ! Vous n’avez pas le droit, a crié Christian.

Patricia s’est retournée. Sans comprendre pourquoi, elle voit Christian s’effondrer au milieu de la route. Elle veut se dégager pour aller l’aider, mais elle est entraînée par les deux soldats qui la tiennent fermement par les bras, fortement serrés juste au-dessus du coude. Devant elle, Anne se retourne vers les voitures. Son regard éperdu affole Patricia qui commence à réaliser la situation.

-Ce n’est pas possible, se dit-elle. Ce qui arrive n’est pas possible. Bill, Christian, John, Jean-Pierre sont là. Ils vont faire quelque chose. Ils ne vont pas nous laisser emmener comme ça !

Les jambes de la jeune américaine faiblissent, elle a froid, elle trébuche, elle refuse de continuer à avancer vers cette casemate. Mais elle est trop faible, trop fatiguée, la lumière est trop éblouissante. Anne semble avoir disparu. Alors elle se résigne et se laisse entraîner sans résistance.

Quand elle arrive devant la porte ouverte du poste frontière, elle ne peut rien voir de l’intérieur de la pièce vers lequel les deux soldats la poussent doucement. Elle fait un pas dans l’obscurité et ses yeux commencent à s’habituer à la pénombre. Bientôt, elle distingue la silhouette d’Anne et des deux soldats qui la maintenaient. Sur le côté gauche elle peut voir une table en bois devant une chaise d’écolier. Sur la table, un vieux téléphone, une pile de papiers et un présentoir à tampons. A côté du présentoir, leurs appareils photo dont elle ne se souvient même plus qu’on les leur ait enlevés. Derrière la table, une armoire à portes grillagées contient quelques fusils, une mitraillette et une trousse de secours marquée d’un croissant rouge.  A droite, il y a un vieux lit dont les montants métalliques portent des boules dorées, comme dans les petits hôtels de province qu’elle a fréquentés en Europe. Elle remarque qu’il manque une des quatre boules et que le matelas posé sur le lit est sale. En face, une porte close. Patricia vient se placer à côté d’Anne et lui prend la main. Une longue minute se passe dans un silence complet. Elle entend seulement les battements de son cœur et la respiration d’Anne, bien trop rapide.

La porte s’ouvre sur une silhouette et Patricia croit reconnaître l’officier qui avait ordonné leur arrestation.

L’homme dit sèchement quelques mots en arabe aux deux gardiens qui sortent mollement de la pièce. Patricia croit même voir une sorte de grimace sur le visage de l’un des soldats au moment où il tourne le dos à son officier pour sortir du poste. La peur l’envahit de plus en plus et elle n’ose plus lever les yeux du sol de ciment poussiéreux.

Anne a peur, elle aussi. Mais elle regarde droit devant elle. Elle se refuse à se laisser envahir par l’angoisse. Elle se prépare à affronter elle ne sait pas encore quoi. Maintenant, elle regarde ouvertement l’officier. Contrairement aux soldats qui étaient en tenue de combat, il porte une sorte de culotte de cheval écrue et une vareuse vert foncé boutonnée du haut en bas. Pas de cravate, mais quelques décorations sur la poche de poitrine. Il a ôté le képi qu’il portait tout à l’heure. Anne s’étonne de voir que l’homme est presque roux et de teint très clair. Elle pense d’ailleurs qu’il est plutôt joli garçon, à peine plus petit qu’elle et pas mal balancé.

– Bonsoir Mesdames, dit l’officier. Je suis le lieutenant Farés el-Saleh, commandant du poste frontière d’Addabousiyah.

Il a parlé dans un anglais presque parfait avec une agréable trace d’accent britannique.

– Laissez-moi m’excuser pour ce contrôle d’identité un peu plus brutal que je n’aurais voulu, mais mes hommes sont des paysans et j’ai parfois du mal à les contrôler. Veuillez leur pardonner, je vous prie. Voulez-vous quelque chose à boire ?

Les deux jeunes femmes le regardent sans répondre, étonnées.

-Je peux vous offrir du thé ou de la limonade. Je vous préviens, la limonade est tiède. Par contre, je fais du très bon thé. Alors, du thé ?

-S’il vous plaît… Oui, du thé, dit Anne, encore hésitante.

-Et vous, Madame ? dit-il en souriant à Patricia.

-Euh…Moi aussi, du thé… oui…  merci…

-Je vous prépare ça. En attendant, pourriez-vous me remettre vos passeports pour quelques instants, s’il vous plaît. Ce n’est qu’un contrôle de routine comme on dit chez vous. Ah ! J’oubliais : veuillez-vous assoir, bien sûr, dit-il en désignant les deux chaises qui se trouvent devant son bureau.

Il leur tourne le dos pour remplir d’un thé très sombre trois verres épais qu’il pose sur un petit plateau en bois damasquiné. Il présente le plateau aux deux américaines. En prenant sa tasse, Anne esquisse un sourire :

-Merci, dit-elle timidement.

Le lieutenant s’est assis d’une fesse sur son bureau. Il a pris les passeports en main et les feuillette.

-Patricia Gallaghan….Gallaghan… c’est un nom irlandais, non ?

-Oui. Mon grand-père était né à Cork, en Irlande.

-Et vous, Anne ! Bronsky, c’est polonais, ça. Un peu juif, peut-être ? dit-il en souriant.

Puis il ajoute tout de suite :

-Soyez tranquille ! Je n’ai rien contre les juifs. Ma famille est chrétienne et, en Syrie, nous acceptons toutes les religions.

– C’est bien, je vous félicite, réponds Anne plus sèchement qu’elle ne le voudrait vraiment. Mais je vous rassure, je suis catholique, pas juive. J’ai été baptisée à Londres en 1940. Mes parents eux étaient juifs. Ils avaient fui la Pologne juste avant la déclaration de guerre. De là, ils sont partis à New-York. Après la guerre, mon père a été naturalisé américain. Il a travaillé dix-huit ans comme simple policier dans un commissariat du Queens. C’est un quartier de New-York, plutôt populaire…

-Je sais, dit le lieutenant el-Saleh, tout heureux d’avoir pu engager le dialogue. J’ai de la famille là-bas.

Les deux américaines n’en reviennent  pas.

-Vous avez de la famille à New-York ?

-Mon cousin Elie…Il est parti de Wadi al-Nasara en 1965. Il y a un an, il a ouvert un restaurant syrien à New York, dans le quartier de Hell’s Kitchen, à côté de la gare routière. Il parait que c’est très bien comme quartier. Vous connaissez ?

Anne ne lui dit pas que c’est l’un des pires de Manhattan.

-Vous savez, je ne suis pas allée à New York depuis des années et puis les choses vont tellement vite là-bas …

Le militaire a parfaitement compris la finesse de l’américaine. Il semble un peu déçu, mais il continue :

-Mon cousin m’a écrit le mois dernier que son restaurant commence à bien marcher. Il l’a appelé Heaven’s Kitchen, c’est amusant, non ? En tout cas, il m’a demandé de venir l’aider. Je crois que je vais y aller. Dans deux ans et trois mois, j’aurai terminé mon service militaire et je partirai. Si Dieu le veut, dans moins de trois ans, vous pourrez venir déjeuner au Heaven’s Kitchen. Vous serez mes invités. Vous verrez une bonne partie de ma famille.

Farés a tellement de charme, il a l’air tellement sincère et heureux de partir un jour aux USA que les deux américaines se sentent maintenant presque en confiance. Elles sourient :

-Oui, bien sûr, on viendra vous voir, se lance Patricia. J’habite Washington DC, mais ce n’est pas très loin de New York. N’est-pas, Anne, qu’on viendra ?

Farés est aux anges.

-Quel pays extraordinaire que les États Unis d’Amérique ! Une Irlandaise de Washington, une Juive polonaise et un chrétien de Syrie qui vont se retrouver bientôt dans la plus grande ville du monde ! C’est pour ça que je veux partir là-bas. Parce que tout est possible ! Ici, tout est bloqué, fichu, fini.

L’ambiance est maintenant totalement détendue. Ils parlent de New York, de Times Square, de Steve McQueen, de Chicago et de San Francisco.

Anne est complétement rassurée. Elle demande :

-Mais pourquoi nous avez-vous arrêtées ?

-C’est vis-à-vis des hommes. Je ne pouvais pas faire autrement. On leur dit depuis leur naissance que les américains sont les ennemis des arabes, que les américaines sont des prostituées, que les étrangers sont des espions. Alors ils le croient.  Je sais que ce n’était pas votre intention, mais vous avez photographié le poste militaire. C’est grave. Il fallait que je réagisse, ils n’auraient pas compris. Ils m’auraient peut-être même dénoncé au général commandant la région.

-Je comprends, dit Anne. Mais est-ce que c’était vraiment nécessaire qu’ils soient aussi violents avec notre ami ? Un Français en plus !

-C’est dans leur nature, ce sont des paysans, ils sont brutaux. Je regrette pour votre ami, mais je ne peux rien faire. Bon, maintenant, il va falloir que vous partiez. Il y a des évènements en cours qui pourraient encore vous compliquer les choses. Vous voyez cette enveloppe brune, là, sur mon bureau ? Elle est arrivée du commandement il y a moins d’une heure. C’est l’ordre de fermer la frontière. Mais je ne le sais pas, car je n’ai pas encore ouvert l’enveloppe. Il y a aussi probablement l’ordre de retenir prisonniers tous les étrangers qui voudraient passer au Liban. Mais je ne le sais pas non plus car je n’ai pas encore ouvert l’enveloppe. Alors, vous allez partir, maintenant. Quand vous sortirez de cette pièce, ne parlez pas, ne souriez pas, ne me regardez pas. Prenez un air contrit, coupable même. N’ayez pas peur d’en rajouter. Moi, je vous parlerai sévèrement en montrant les appareils photo que je garderai. Je ne peux pas faire autrement, pour la vraisemblance. Il y a deux ou trois de mes hommes qui comprennent quelques mots d’anglais. Et puis ça me fera un souvenir de notre rencontre. N’oubliez pas : Farés el-Saleh, de Wadi al-Nasara, futur associé du célèbre restaurant Heaven’s Kitchen à Hell’s Kitchen, un jour à New York ! Que Dieu le veuille !

Il a copié le nom et l’adresse des deux jeunes femmes sur un carnet, puis il leur a tendu leur passeport. Il a ouvert la porte et crié quelque chose en arabe. Trois soldats sont entrés dans le poste. Devant eux, l’officier a saisi les caméras sur la table en disant d’une voix forte :

-Vous avez de la chance que je ne vous retienne pas pour espionnage ! Et maintenant partez ! J’ai d’autres choses à faire plus importantes. Il faut que je lise ces nouveaux ordres que je viens de recevoir.  Partez et ne revenez jamais plus en République Arabe syrienne !

Anne trouva que c’était vraiment très théâtral, mais Farés savait sans doute ce qu’il faisait.

Alors, têtes baissées, les deux Américaines, ont marché côte à côte vers les deux petites voitures blanches qui les attendaient dans le soleil couchant.

LA SUITE….DIMANCHE PROCHAIN

 

16 réflexions sur « Incident de frontière – Chapitre 11 »

  1. Oups! Mon message a disparu. Je rendais les armes. Tant pis! Le modérateur en a marre, et moi aussi. Je sors

  2. Cher Jim

    Il me faut te faire part d’un constat que j’ai fait tout au longe me vie de communicologue (et non de communiCATHOlogue, ce champ d’études doit plus au Protestantisme qu’au Catholicisme qui, lui inspire, sans doute par proximité avec le Vatican, les propos du célèbre sémiologue ultramontain Umberto Eco)…

    Ce constat est que, même les gens qui considèrent cette discipline comme « hyper spécialisée, usant d’un incompréhensible jargon, » savent en quoi consistent ses principales trouvailles! Tout le monde croit connaître d’instinct « les principales théories modernes de la communication inspirées des propos de Kundera… » et tout le mode sait qu’il n’y a pas de communication si émetteur et récepteur ne sont point en phase!

    Comme la communication est la clef de tout ce que les humains se font (à part baiser et se taper sur la gueule = coerséduction) peut être serait-il temps que l’être humain comprenne ce phénomène et ne se contente pas de deviner (outguess/guesstimate) les trouvailles de celles et ceux qui prétendent l’étudier en profondeur au delà de ce qu’on en dit (ou pas) dans les classes terminales.

  3. Bon, je vous laisse les clefs. Que le dernier à sortir veuille bien éteindre la lumière.

  4. Cher Jim

    je suis à nouveau déphasé! I just don’t get it!

    Est-ce un exemple de redondance et de bonne compréhension d’une ‘fake news’ catastrophique?

  5. Eh oui, dans l’urgence, les mots et leur compréhension sont essentiels. Je n’apprendrais rien René-Jean, éminent communicatologue, qu’une communication nécessite un émetteur et un récepteur en phase. Voici un autre exemple d’une communication tragique, vécue, entre une tour de contrôle paniquée et un pilote pas à l’aise non plus lors d’un décollage par temps sans visibilité avec mauvaises transmissions radio:
    – tour de contrôle: … Obstacle close… Turn RIGHT NOW, I repeat, RIGHT NOW (immédiatement).
    – le pilote vire immédiatement à droite (right) et c’est le crash dans la montagne qui se trouvait bien là à droite.
    Beaucoup de morts. Quelques survivants, j’en étais!
    PS: Mais non René-Jean, c’est un mensonge!

  6. Jim

    tu as tout à fait raison et C parce que je lis rapidement que je fais souvent les mêmes contre sens que celui que tu as fait.

    Quant aux redondances je reconnais qu’elles sont très utiles surtout dans les communications entre pilotes et tours de contrôles… de graves accidents se sont produits dus à l’usage de l,anglais par des pilotes texans et allemands…

    Le texan avalant tout dit: I’ll tell ya w’n I’m clear of the way

    L’allemand très précis sur-entendit (overheard): I tell You I am clear of the way… et mis les gaz… résultat 800 morts à Teneriffe!

    l’élégance et la simplicité tuent!

  7. Dont acte, René-Jean. Y avait pas de qu’. Je réalise que la situation m’oblige à battre ma coulpe et je le fait avec un immense plaisir. Mais tu admettras peut-être que, habitués que nous sommes à la lecture rapide, il est préférable d’écrire pleinement les négations. Concrètement, NE…PAS est plus explicite que NE tout court, par exemple « ne peut PAS s’appliquer » s’expose à moins de risque d’incompréhension que « ne peut s’appliquer », qu’on soit de droite ou de gauche d’ailleurs.

  8. Cher Jim… la miss communication dans l’évidence qui crève les yeux (qui, de ce fait, s’aveuglent) est un fait courant de l’existence… On lit ce que l’on croit voir et non ce qui est écrit!

    tu écris:

    « Mais je ne suis pas d’accord avec toi quand tu écris que réaliser, dans le sens concrétiser, ne peut s’appliquer qu’à ce qui est déjà là, bien concret. Je citerai cette fois Oscar Wilde pour illustrer mon propos. Cette citation est très connue: « le progrès c’est la concrètisation de l’utopie ». Ce qui est utopiste n’existe pas, non? Mais le progrès se mesure bien, c’est bien du réalisé, du concret, non? »

    De mon côté, J’avais pourtant écrit, juste en dessous:

    « Réaliser, dans le sens ‘concrétiser’ ne peut s’appliquer ( Y PAS DE QU’ ou CUL LÀ) à ce qui est déjà là, bien concret, avant que l’enfant (qui va éventuellement en prendre conscience)paraisse. » Ma phrase est et se voulait négative!

    (Voulant dire par là que l’héroïne de l’histoire de Philippe ne pouvait pas réaliser ou concrétiser une situation qui était déjà là! Elle ne pouvait qu’en prendre conscience et non la concrétiser! d’où ma critique…)

    Il me semble qu’à force de draguer des nanas en Ferrari tu vois des « qu' » partout même quand il n’y en a pas…

    À force de vouloir penser positif, (avec quelques politiciens de droite) tu fais passer le négatif cul par dessus tête!

    En fait, sans cette addition de CE que tu as derrière la tête ou, probablement, beaucoup plus bas, et dont tu n’as pas pris conscience, bien qu’il ne soit absolument pas sous tes yeux (ce cul), on serait tous les deux tout à fait d’accord avec Oscar le sauvage contre baby Bush le cow boy!

  9. Cher René-Jean, la citation d’Anouilh, auteur vénérable et utopiste, mise là histoire de paraître cultivé, surtout après avoir fait appel à Victor Hugo, j’y vois deux interprétations possibles en fonction du sens à donner au verbe réaliser. Démonstration par l’exemple. Je suis un menteur invétéré. Toutes les occasions sont bonnes. Parfois en me couchant le soir, je me dis, Jim, là tu as un peu exagéré aujourd’hui en disant à une vieille dame respectable veuve d’un officier de marine que tu étais toi-même un marin sous-marinier à quatre galons pour t’attribuer les bonnes grâces de cette vieille dame. Je réalise alors que c’est pas bien, que c’est même un gros mensonge malhonnête, j’en prend conscience et je me dis qu’il faudra que je confesse cette malhonnêteté. D’autres fois, j’invente un gros mensonge, histoire de draguer une belle fille par exemple, moins crédule qu’une vieille dame et plus bling-bling, et je dis dans le feu de la drague que je possède une Ferrari, et ça marche. Quel plaisir je vais alors avoir de réaliser mon mensonge, de le concrétiser sans mauvaise conscience cette fois, en louant tout simplement une Ferrari. Mais je ne suis pas d’accord avec toi quand tu écris que réaliser, dans le sens concrétiser, ne peut s’appliquer qu’à ce qui est déjà là, bien concret. Je citerai cette fois Oscar Wilde pour illustrer mon propos. Cette citation est très connue: « le progrès c’est la concrètisation de l’utopie ». Ce qui est utopiste n’existe pas, non? Mais le progrès se mesure bien, c’est bien du réalisé, du concret, non?
    PS: j’ai très légèrement menti encore une fois, Dieu me pardonne, car la citation exacte est: « le progrès n’est que l’accomplissement de l’utopie ». Accomplissement, concrétisation, réalisation, c’est un peu synonyme, non?

  10. Cher Jim,

    tu me fais revenir sur un terrain que j’avais pourtant concédé à la logique terminale (…des premiers de classes terminales… mais les pérégrinations de la réflexion ne devraient pas s’arrêter là… à moins que l’on y ait été si bien que l’on en fasse un cul de sac où l’on aime se lover!)

    La nuance entre « réaliser ses mensonges » qui équivaut effectivement à « concrétiser, faire exister, un mensonge » ou rêve alternatif à ce qui est (si tant est que quelqu’un d’humain puisse savoir ce qui est) en en faisant CE qui est, et « réaliser une situation » est énorme, car la situation, elle est déjà là (même si nul ne peut la décrire adéquatement). Réaliser, dans le sens ‘concrétiser’ ne peut s’appliquer à ce qui est déjà là, bien concret, avant que l’enfant (qui va éventuellement en prendre conscience)paraisse.

    La nuance me parait importante sur le plan historique (peu importe ce qu’ont écrit les romanciers du programme du bac) car un jour, George W. Bush, honorable prophète de Trump, a répondu à des journalistes qui questionnaient son appréhension de la situation en Iraq avant qu’il n’y intervienne: « Vous, vous êtes payés pour faire prendre conscience à vos lecteurs de ce à quoi ressemble la situation, moi, Président de la plus grande puissance militaire du monde, je la fais, la situation (I do realize it)! » Lui, G.W. Bush 43rd, le grand chef déplumé des Gringos, réalise (fabrique) la situation par la bouche de ses canons! Honni soit qui mal y pense! » Je crois qu’à un tournant de l’histoire ou Trump possède déjà (il souhaite l’amplifier considérablement) un arsenal auquel Hitler n’a même pas rêvé au plus profonde de ses délires, il est préférable que Trump prenne conscience de la conjoncture mondiale (bien qu’il en soit intellectuellement incapable) plutôt qu’il « la réalise » (car il en est militairement et mentalement capable)!

  11. Eh ben, ça alors, quel festin autour d’un mot!
    Bon appétit Messieurs,
    Ô Québécois intègres! Germanoprates vertueux!
    Je n’avais jamais réaliser que le verbe réaliser que j’emploie probablement plusieurs fois par jour sans me poser de questions sur sa véritable composition nutritive pouvait prêter à une discussion aussi gastronomique. Là on est plus dans le regîme vegan insipide. On est dans la vraie cuisine du terroir, riche, grasse, goûteuse, le cassoulet et la tête de veau vinaigrette. En voilà une de question qui va maintenant alimenter ma réflexion pour la journée: qu’à voulu dire Jean Anouilh en écrivant « Quel immense plaisir de réaliser ses mensonges ». La repentance ou l’opportunisme? A-t-il voulu dire « prendre conscience de ses mensonges », ou bien « concrétiser ses mensonges »? La moralité ou l’immoralité? Cette question va me hanter toute la journée. Sacré Anouilh! je sais bien que tu rigoles là haut.

  12. Parfait, alors dansons en rond avec julie Larousse et les princes des classes terminales!
    Terminé!

  13. Moi aussi, je suis allé chercher dans le dictionnaire et j’ai réalisé que j’avais, pour l’utilisation de ce verbe au sens figuré, le soutien sans faille de Gide, Bazin, Mauriac, et Claudel.
    Par ailleurs, j’ai retrouvé un passage de « A la recherche du temps perdu »:
    Lorsque nous arrivâmes aux Champs Elysées, je réalisai que, pas une seule fois de la soirée, M. de Charlus ne m’avait parlé de Morel, ce qui était très inhabituel chez le Baron, lui qui d’ordinaire ne manquait pas d’amener la conversation, adroitement croyait-il, sur le violoniste juste pour le plaisir de prononcer le nom du jeune prodige et de l’entendre prononcer par d’autres que lui.
    (Sodome et Gomorrhe)
    Alors, les critiques du petit Robert et du grand René-Jean, vous pensez si je m’en fous !

  14. Cher Philippe,

    Dans mon village québécois (dont la langue est insensé à tes oreilles de Germanoprate) on résiste encore aux anglicismes…

    Larousse a cédé… Quand? j’aimerais le savoir!

    Le Petit Robert, mon pote en marcel, me dit que l’emploi que tu as fait de cette expression est CRITIQUÉ! (par qui? This is the question!)

    Fidèle à moi-même comme à Castro, je critique!

    C’est ma raison d’être et c’est pourquoi certains, qui n’ont pas encore réalisé (in Fr: pris conscience) que les Anglais les rejetaient, (pour parler dans leur langue) reconnaîtront mes nombreuses et immenses (« plenty and huge » dirait Trump) qualités une fois que je serai décédé!

  15. Dictionnaire Larousse
    Réaliser:
    ♣ Faire passer à l’état de réalité concrète ce qui n’était que virtualité : Des désirs difficiles à réaliser.
    ♣ Concrétiser quelque chose : Cette maison réalise son rêve.
    ♣ Exécuter quelque chose, en être l’auteur, le maître d’œuvre : Réaliser un exploit.
    ♣ Convertir un bien en argent liquide : Réaliser son capital pour acheter de l’or.
    ♣ Avoir, prendre une conscience nette de la réalité d’un fait, se le représenter clairement dans tous ses détails (par l’anglais to realize) : Il n’avait pas réalisé la gravité de la situation.

  16. Si mes souvenirs pré-bacs sont bons… (ce dont je doute toujours…) il me semble que l’on réalise un projet mais pas une situation!

    Le projet, on le fait ainsi passer de l’imaginaire au concret mais la situation, elle, est déjà réelle malgré nous.

    Éventuellement, on peut en prendre conscience!

    La réaliser serait démiurgique!

    Il est vrai que notre romancier partage ce pouvoir avec Mitterand, ressuscité sous les traits de son grand et éloquent ami, Macron!

    Je m’arrête de peur que le courroux et les foudres de Dieu zigzaguent l’Atlantique!

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