Incident de frontière – Chapitre 10

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Résumé des 9 chapitres précédents :
Nous sommes à la fin du long weekend de mai 1970 de nos neuf voyageurs. Voici quelle est la situation :
Les deux breaks Peugeot 207 ont été bloquées au poste frontière d’Addabousiyah, et deux de leurs occupantes, des jeunes femmes américaines, soupçonnées d’espionnage pour avoir photographié le poste frontière et une jeep de l’armée, ont passé plus d’une heure prisonnières des soldats syriens. Elles viennent d’être libérées, mais on ne sait pas ce qui a bien pu se passer dans le poste militaire. On craint le pire.

Chapitre 10

La nuit était tombée. Les occupants de la première voiture mouraient d’impatience de savoir ce qui s’était passé, car Anne et Patricia étaient montées précipitamment dans celle de Christian sans avoir le temps de rien expliquer. Tout en conduisant, Jean-Pierre pensait qu’il n’aurait pas été prudent de s’arrêter en rase campagne pour discuter de tout ça. Ce n’est pas que la campagne libanaise ne soit pas sure, mais avec ce qu’ils avaient appris par Radio Hamra, il valait mieux mettre quelques kilomètres de plus entre eux et la frontière syrienne. Ils avaient eu assez d’ennuis comme ça. Le mieux serait de s’arrêter dans un des cafés de bord de mer à Tripoli. Ils y seraient plus en sécurité. Il accéléra et tenta de se concentrer sur la conduite.

C’est Bill qui parla le premier. Il se pencha entre les deux sièges avant et toucha légèrement l’épaule du conducteur.

– Que pensez-vous qu’ils ont fait à elles ? dit-il en français.

Comme tous les autres, Jean-Pierre ne pensait qu’au pire, à ça, au viol, mais il n’était pas question de l’avouer.

– Sais pas, répondit Jean-Pierre, crispé.

– Elles n’avaient pas l’air mal en point, dit Françoise qui cherchait autant à se rassurer elle-même qu’à rassurer les autres.

– Avec ces sauvages, on ne sait jamais ! Mon dieu, quel pays ! Et il parait qu’en Arabie Saoudite, c’est encore pire. Je ne pourrai jamais emmener Tavia dans ce genre d’endroit. Bandes de salopards …

C’était John qui avait parlé. Il commençait à s’angoisser pour sa prochaine situation à Djeddah. Il craignait d’avoir à choisir entre Tavia et son avenir à la First National.

– Ecoute, John, dit Jean-Pierre, on ne sait pas ce qui s’est passé. Encore vingt ou trente kilomètres et on sera à Tripoli. Là, on pourra voir les filles. Elles nous diront. Alors, d’ici, là, tu ne mets pas la panique dans la voiture et tu te calmes, d’accord ?

-Ne vous fâchez pas, Jean-Pierre, intervint Bill. Nous sommes tous inquiets pour nos amies. Anne à l’air d’une fille solide, mais Patricia est tellement fragile, innocente…

-Marrant…, dit Jean-Pierre d’un air entendu.

-Qu’est-ce que c’est, « marrant » ? Pourquoi vous dites « marrant » ?

-Je dis « marrant » parce que c’est marrant que ça soit vous qui disiez que Patricia est si fragile, si innocente ! Alors que vous avez …

Françoise posa doucement sa main sur celle de son mari :

-Jean-Pierre, s’il te plait …

Conciliant, Jean-Pierre s’interrompit et se contenta de répéter :

-Marrant !

-Dites Jean-Pierre ! La nature de mes relations, s’il y en a, avec Patricia, c’est pas votre business. Par-dessus, elles n’ont rien à voir avec ce qui s’est passé. Par contre, si nous en sommes là, c’est un peu de votre faute.

Jean-Pierre appuya brutalement sur le frein qu’il relâcha aussitôt, évitant ainsi à la voiture de Christian qui le suivait de près de le tamponner par l’arrière.

-Qu’est-ce que vous dites ?

– Doucement, Jean-Pierre, ne t’énerve pas, dit Françoise en posant à nouveau sa main sur la sienne.

Jean-Pierre se dégagea vivement, et se retournant à moitié vers Bill :

– De ma faute, de ma faute ! Non, mais vous dites n’importe quoi, mon pauvre vieux.

– Il faut quand même bien reconnaître que vous étiez le chef de cette expédition. Ce sont bien vos voitures, vos choix, vos itinéraires, vos horaires, vos décisions qui nous ont amenés là.

– Voilà que vous parlez comme Christian, vous ! Vous oubliez que nous ne sommes ici que des touristes, que mes bureaux sont fermés le dimanche et que je ne suis plus chef de rien du tout pendant les week-ends… Vous étiez bien contents qu’on vous emmène. Sans moi, sans nous, vous auriez passé votre week-end tout seul au bord de la piscine du Phœnicia à picoler avec des diplomates et des banquiers américains. Pas très professionnel pour un soi-disant archéologue, non ?

-Jean-Pierre ! Je t’en prie, arrête ! dit Françoise à mi-voix.

Mais Jean-Pierre n’en pouvait plus. Il en avait marre de ces Américains, marre de leurs bermudas, marre de leur inconscience, de leur assurance, de leur ignorance. Malgré lui, il ressentait une sorte de culpabilité. Le stress, l’impuissance, l’anxiété, la pression accumulée depuis des heures, tout ça devait exploser. Ça explosa.

– Mais qu’est-ce que vous croyez, vous, le Californien ? Vous croyez que vous êtes partout chez vous, vous croyez que tout le monde vous aime ? Vous croyez que vous pouvez vous balader en culottes courtes sur les Champs-Elysées ou dans la mosquée des Omeyyades sans choquer personne ? Vous croyez que vous pouvez faire n’importe quoi n’importe où ? C’est aux autres de s’adapter, c’est ça, hein ? Vous n’êtes pas fichus de comprendre que ces gens, ces arabes, sont ici chez eux, qu’il y a un minimum de respect à avoir, que ce pays se considère comme en guerre et qu’ils vous considèrent, vous, comme le meilleur allié de leur ennemi juré, qu’ils sont persuadés d’avoir raison, d’être dans leur droit et d’avoir Dieu avec eux… tout comme vous, finalement…

– Écoutez, Jean-Pierre… risqua Bill

-Non, c’est vous qui écoutez ! Je ne sais pas ce que ces « sauvages » ont pu faire à vos amies et, comme vous, je crains le pire. Mais ne me dites pas que je suis responsable en quoi que ce soit de ce qui leur est peut-être arrivé. Ce sont quand même vos chères compatriotes qui ont excité ces pauvres gamins d’Alep, à se balader devant eux en jeans moulants et T-shirt à manches courtes comme si elles étaient à Santa Monica. Ce sont bien elles qui ont failli déclencher une émeute dans un marché aux chameaux. Ce sont bien elles qui ont photographié le poste frontière d’un pays en guerre. Alors, ne dites pas que je suis responsable, fermez votre gueule et priez pour elles ! Non mais, sans blague…

Bill lâcha le dossier du siège de Françoise qu’il tenait d’une main depuis qu’il avait posé sa malencontreuse question et se rencogna contre la portière. John regardait fixement l’obscurité qui régnait à l’extérieur en se demandant comment faire pour paraitre ne pas avoir entendu la diatribe du conducteur. Françoise comprenait la colère de son mari. Elle se disait aussi qu’il n’avait pas tort, mais qu’elle aurait préféré qu’il garde tout ça pour lui.

Quant à Jean-Pierre, il reprenait lentement son calme et commençait déjà à regretter son éclat.

A SUIVRE…dimanche prochain

 

Une réflexion sur « Incident de frontière – Chapitre 10 »

  1. Les problèmes majeurs ne sont ni les murs ni les barbelés ni les postes douaniers mais ces frontières que l’on garde toujours présentes à l’esprit et qui surgissent dans nos conversations quotidiennes. Elles font que nous sommes tous étrangers les uns aux autres… et parfois à nous-mêmes!

    Pour les vacances, je rêve du triangle des Bermudes et du string des danseuses du Lido des Champs Élysées!

    Un Américain qui n’est plus à Paris

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