Incident de frontière – Chapitre 8

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Mais vous pouvez toujours lire leur résumé :
Un dimanche après-midi, à Addabousiyah en Syrie. Trois Français, Pierre, Françoise et Christian, deux Américains, Bill et John, trois Américaines, Tavia, Patricia et Anne et une Australienne, Jenelle, voyagent dans deux petites voitures blanches. Après un long weekend, ils ont entrepris leur retour vers Beyrouth. Non contente d’avoir provoqué un incident dans un marché aux chameaux, voilà que Patricia prend des photographies du poste frontière d’Addabousiyah, alors que la tension monte entre le Liban et la Syrie. Elle est aussitôt arrêtée par les soldats syriens, en même temps qu’Anne qui se trouvait à côté d’elle. Dans l’affaire, Christian a pris un bon coup de crosse sur la cuisse. Il parait que ça fait très mal.

Chapitre 8

Trois soldats étaient restés plantés entre les voitures et la jeep qui barrait le passage.

Ils avaient fait signe à Jenelle et Tavia se rentrer dans la voiture de Christian.

Celui-ci demeurait prostré dans la poussière là où il était tombé. Jenelle, livide, figée sur son siège regardait droit devant elle. Tavia s’était mise à pleurer doucement.

A bord de la première voiture, l’angoisse régnait. Jean-Pierre tentait de se rassurer et de rassurer les autres en disant :

– Non, non, ils vont juste contrôler leur passeport et voiler les pellicules… Au pire, ils garderont les appareils…

Mais il n’y croyait pas lui-même. C’était la deuxième fois qu’il avait des ennuis en Syrie à cause de photographies prises imprudemment. La première fois, c’était à Palmyre. Il était parti là-bas le mois précédent pour un long week-end avec sa femme et ses enfants. Alors qu’il faisait une série de photos du gigantesque temple de Baal, il avait été soudain entouré de quatre ou cinq soldats qui lui avaient arraché son appareil photo des mains en criant très fort. L’un d’entre eux qui parlait bien le français lui avait expliqué qu’il était très grave de photographier les camions militaires qui gardaient les ruines de Palmyre et qu’ils allaient emmener tout de suite tout le monde en prison. Jean-Pierre avait rapidement réalisé que les soldats avaient une grande habitude de cette comédie et qu’ils devaient la jouer souvent devant les touristes pour obtenir un bakchich. Cette fois-là, Jean Pierre s’en était sorti pour une somme raisonnable, mais aujourd’hui, il ne pensait pas pouvoir s’en tirer de la même manière : les filles avaient photographié un poste frontière de la République Arabe Syrienne. Même dans un pays moins paranoïaque que la Syrie d’Hafez el-Assad, la chose aurait été grave. Mais le fait que les photos aient été prises justement par deux Américaines à un moment où la présence d’un important convoi militaire montrait qu’il se passait quelque chose aggravait considérablement la situation.

Il se sentait totalement impuissant et s’efforçait de ne pas imaginer le pire.

Les voitures fournies par la Banque Mondiale n’étaient pas équipées d’autoradios, mais Jean-Pierre avait emporté de Beyrouth un gros poste à transistor. Il l’alluma et commença à chercher une station en anglais ou en français moins pour tenter d’apprendre quelque chose que pour se donner une contenance.

Pendant ce temps, Breed avait entrepris de sortir de la voiture. À moitié courbé en avant, les bras levés, il fixait le soldat le plus proche en avançant lentement vers lui.

-Je vais à mon ami, disait-il en articulant exagérément et en désignant Christian du menton. Je vais voir mon ami… pour secourir, OK ? Je peux aider mon ami ? OK ?

Il avait choisi de parler en français, pensant que le soldat était plus à même de comprendre cette langue que l’américain de Californie.

Le soldat ne bougeait pas. Il observait l’homme en bermuda avec indifférence. Bill continuait d’avancer vers Christian en souriant et en répétant : « J’aide mon ami, OK ? OK ? »

Lorsqu’il atteignit Christian, le soldat n’avait toujours pas bougé. Bill se mit à genoux à côté du français :

-Ça va, mon vieux ? Quelque chose est cassé ?

-Non, je ne crois pas. Ça va mieux, mais ce salaud m’a fait sacrément mal. Ça a dû me couper la circulation. J’ai bien failli tomber dans les pommes. Mais ça va mieux.

Il se releva péniblement en s’appuyant sur Bill et se mit à boiter vers la voiture de Jean-Pierre.

-Où sont Patricia et Anne ? demanda-t-il.

-On ne sait pas vraiment. Dans le poste, j’imagine, répondit Jean Pierre.

-On ne peut pas les laisser comme ça. Il faut faire quelque chose !

-Et qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

-Je ne sais pas moi, Bon Dieu, c’est toi le chef de mission !

-Ecoute ! M’emmerde pas, Christian ! Avec tes conneries, tu as bien failli te faire descendre ! Alors ne m’emmerde pas ! Aujourd’hui, c’est Dimanche, y a pas de mission, y a pas de chef. Mais si tu as une idée, on t’écoute !

-Chut ! Silence ! Taisez-vous !

C’était Françoise qui tournait fébrilement les boutons du transistor depuis quelques minutes et qui venait de trouver une station en français.

-C’est Radio Hamra. Ils parlent d’un incident de frontière. Écoutez !

« … très tôt dans les environs de Hasbaya. Alors que l’entreprise Nasnas de Saida procédait à des travaux d’adduction d’eau entre les villages de Rashaya et de Hasbaya, un véhicule de commandement et deux automitrailleuses syriennes ont pénétré sur le territoire libanais pour arrêter les travaux. Le matériel a été saisi et les employés expulsés sans explication. Ils ont pu rejoindre Hasbaya d’où ils ont …

-Ca y est, ça recommence ! dit Jean-Pierre.

-Qu’est-ce qui recommence ? demanda Bill

-Les Syriens créent régulièrement des incidents de frontière. C’est la deuxième fois cette année. Avec leur puissance militaire face à la petite armée libanaise, ils se créent des moyens de pression pour obtenir des concessions de la part du…

-Chut ! Ecoutez-donc, bon sang de bonsoir !

…de 10h07 ce matin que Damas a fait savoir que les forces armées syriennes avaient dû pénétrer en territoire libanais pour mettre fin à une opération de détournement des eaux de la rivière Nahr el-Maalech au détriment de la République Arabe Syrienne sur le territoire de laquelle la rivière prend sa source. Le communiqué précisait que les forces syriennes resteraient sur place tant que le Liban n’aurait pas mis un terme et renoncé définitivement aux travaux en cours…

C’est bien ça : un prétexte totalement bidon et ils occupent un bout de Liban…

– …de la République a aussitôt réuni le Conseil des Ministres pour examiner la situation. Selon des sources bien informées, Messieurs Charles Hélou et Rachid Karamé se seraient vivement opposés sur la réponse à donner à l’agression syrienne, pour finalement parvenir à un accord sur la rédaction d’un communiqué conciliant.

-ça, c’est Karamé …

-…plus tard, la Présidence décidait de convoquer l’ambassadeur syrien et de mettre l’armée en état d’alerte…

-Et ça, c’est Hélou !

-…de l’après-midi, de nombreux observateurs signalent des mouvements de troupe tout au long de la frontière. Nous ferons un point complet de la situation dans notre prochain bulletin. En attendant, nous retournons au Casino du Liban pour reprendre la transmission en direct du récital de Narciso Yepes. Ici les studios de Radio Hamra à Beyrouth, à vous Dédé Taieb…

-Vous croyez que c’est la guerre, maintenant ? demanda Bill.

-Pensez-vous ! Ils vont s’arranger, répondit Jean Pierre. Comme d’habitude… Dans deux jours tout sera fini. Mais pour le moment, c’est pas bon pour nous, ni surtout pour les deux filles !

– Qu’est-ce qu’on peut faire ?

– Rien, je pense… Attendre…

A dimanche prochain…

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