Qu’est-ce que t’as fait à la guerre, Papa? (1-La débâcle)

Journal du sergent Daniel Coutheillas, juin 1940
2 juillet 1940
Je suis prisonnier, échoué le long de ces grilles que gardent des soldats allemands!
Depuis un mois, nous sommes sans nouvelles. Où êtes-vous Denise, Marie-Claire, ma mère?

La débâcle
10 juin 1940
Le 10 juin, nous avons quitté Beuvillers où la vie s’écoulait près du front avec des alternatives de calme et de bombardements. La relève ne venait pas. A Beuvillers, notre équipe du Génie faisait sauter les ponts et les carrefours. Nous étions en train d’isoler la ligne Maginot. Je n’y comprenais rien.
Nous reculons par étapes de nuit, longues et pénibles. D’abord vers Eton où nous devions passer la nuit…et puis départ subit pour Warcq…et puis de Warcq aux Eparges, et puis dans les bois près de Dommartin, et puis par la Tranchée de Calonne. Prunet n’arrête pas de jurer contre les moustiques
Au fur et à mesure de cette retraite, nous sommes maintenant des milliers à venir de Longuyon, d’Audun, de Metz sur cette route étroite où des réfugiés, des voitures à chevaux, des camions, des fantassins remontent sans ordre. Les hommes sont exténués. On barbote des vélos, des voitures. J’ai vu un Dragon dormir attaché sur sa moto pour éviter qu’on la lui vole.

Peu d’entre nous ont combattu. A chaque contact avec l’ennemi, l’ordre de repli arrivait immédiatement.

Depuis le 10 juin,  le courrier n’arrive plus. Nous comprenons que nous sommes encerclés dans un vaste cercle infranchissable, coupés de toute retraite. Nous ne recevons plus ni pain ni ravitaillement.
Pendant toute une journée, les avions allemands et italiens ont semé des bombes et de la mitraille sur la route encombrée de milliers d’hommes.
Guerriol « Bichette » et moi, nous devons nous réfugier plus de dix fois dans les fossés. Guerriol tire sur les avions qui passent à cinq cents mètres. Ils s’en foutent!
A Vigneulles, des stukas, des bombes. La maison entre Guerriol et moi est volatilisée. Grosse secousse, rien d’abimé. Les docks commencent à brûler. On ramasse un peu de sauvetage pour déjeuner et diner.

Une moto arrive, pneu arrière crevé. Le lieutenant qui était dans le side-car est tué net. Le conducteur n’en revient pas. Il roule fou.
Sur la route, des hardes abandonnées, des chevaux tués, des réfugiés raidis encombrent les passages.
La Tranchée de Calonne, Hallonchatel. Des Nord Africains étendus, tués par les avions. Des ruines, des morts. Nous sommes exténués, Bichette et moi. Nous tombons sur les camarades, Prunet, les autres… Tout joyeux de nous retrouver vivants.Nous n’irons plus au courrier. Inutile.

Nous sommes repassés devant Lucey, une débâcle. Nous n’osons pas nous y arrêter.
Les officiers sont sans autorité. Ils se débrouillent pour eux-mêmes.
A Toul, quartier St-Evre, nous devons stopper pour laisser passer les colonnes et maintenir les positions. Pendant ce temps, le gros de l’armée devrait tenter de se frayer un passage.
Les Allemands sont à Dijon, à Moulins, partout…Le cercle s’est refermé depuis longtemps autour de nous. Tout a été incendié, brûlé, grillé, saboté avant notre passage. Les intendances ont brûlé il y a déjà plusieurs jours. Les intendants devaient être pressés de partir.
Nous mangeons des conserves et petits beurres fauchés au hasard des passages. Avec Léger, nous ravitaillons des gosses enfouis dans les caves de Toul avec du lait condensé barboté dans une épicerie,

Des bruits d’armistice circulent.
Nos camarades se battent dans Toul. Nous tournons à l’intérieur du cercle de plus en plus petit où nous sommes enfermés. Avec Prunet, nous voyons sur la route des automitrailleuses filer dans les deux directions !

Le commandant m’engueule parce que je ne lui présente pas des sapeurs égarés au garde à vous ! Et pourquoi pas en tenue n°1 ?…
Il y a un sacré camion de torpilles qui se balade avec nous depuis des kilomètres et deux gars sont assis dessus, fumant doucement la pipe…Pourvu qu’un obus ne tombe pas dessus.
Georg est tué sur sa voiture attelée. Doussaint, tué lui aussi par un obus. Guerriol est blessé au pied et à la jambe. Il est transporté à l’Hôpital Gamma de Toul. Je ne le reverrai plus. Je râle après lui. S’il était resté avec moi !…Avec Boyer, on ne rigole plus du tout. L’Auton a disparu, Hellbrun est perdu on ne sait où.

Un dernier soir dans un bois près de Bicqueley, nous sommes tous regroupés, ou à peu près. Le canon s’en donne à plein tube. Les départs d’obus font gonfler nos chemises. Les munitions terminées, on fait sauter la culasse de chaque pièce. Bon Dieu, quel raffut !

Chazeau supplie qu’on l’emmène au G.S.D. (Groupe de Santé Divisionnaire). Il dit qu’il va mourir. On l’envoie balader. Prunet, Clermont, Lapoule, Mas et moi, on dort.

21 juin 1940.
Réveil dans le calme, sans bruit. Plus rien. Nos officiers sont silencieux. On brûle toutes nos paperasses. Il y en a ! Je mets le feu à ce qui reste de courrier de la compagnie.
Pas un mot de nos corniauds de capitaines ou lieutenants pour nous dire ce qui se passe.
On dépose nos armes. Mon Colt y passe. Celui de Prunet aussi. On ira les rechercher tout à l’heure. On les enterrera.
Les Allemands arrivent. C’est parait-il l’armistice. Nous sommes prisonniers d’honneur… ?
A suivre
Prochaine édition le 2 juillet

Sergent vaguemestre Coutheillas Daniel
58ème Division d’Infanterie, 1er Compagnie du Génie,S.P.241

sergentDaniel Coutheillas et Eugène Prunet, mai 1940

 

2 réflexions sur « Qu’est-ce que t’as fait à la guerre, Papa? (1-La débâcle) »

  1. Eh oui! Nos pères ont connu ça. Nos grands pères celle d’avant, celle que Brassens préférait en chanson. Nous, nous avons échappé de peu à celle d’Algerie (rien à voir avec la Grande et celle de 40). Depuis, plus rien pour les conscrits. Nous vivons la guerre par procuration, par médias interposés dont CNN s’est fait une spécialité hollywoodienne. Ça fait bizarre!

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