La Grande Illusion

Le salut, pour l’auteur sincère, comme pour l’acteur sincère, consiste à présenter une façade tellement acceptable de tous que l’essentiel demeurera caché et ne sera découvert que par les spectateurs particulièrement futés. Souvent l’auteur lui-même ignore le sens profond de son oeuvre. Un exemple de ce phénomène devait être « La Grande Illusion » qui fut chaleureusement acceptée des commerçants et du public, convaincus qu’il s’agissait d’un film d’évasion. Plus tard, le véritable sujet du film, la question des relations humaines, fut accepté à son tour. Mais la route du succès était ouverte et les déclarations les moins orthodoxes dont j’avais parsemé le film étaient applaudies des spectateurs les plus imperméables. C’est de l’hypocrisie, je l’avoue, mais si on veut réussir à faire avaler certaines vérités, il faut les envelopper d’oripeaux familiers. Il en est de même de certains gâteaux indiens dont les première bouchées sont d’une douceur délectable. On mord un peu plus avant et on tombe sur un piment qui vous fait sauter en l’air.
Jean Renoir – Ma vie et mes films

Une réflexion sur « La Grande Illusion »

  1. Toujours et encore, ces auteurs qui croient avoir fait le tour des capacités d’interprétation de leurs publics!

    Quelques penseurs dits « post Coloniaux » (peut après Hannah Arendt, Albert Memmi, Samir Amin, Frantz Fanon, etc.) ont soutenu l’idée que, finalement, les colonialistes étaient peut être mentalement plus malheureux que les colonisés.

    Les premiers sont plus enfermés dans leur système de croyance (plus pensés par leur culture dirait A. Finkielkraut, in ‘La défaite de la pensée’) que les colonisés qui le subissent tout en rêvant à leur émancipation (après avoir lu La Boetie).

    Je crains qu’il en soit de même dans le rapport que d’autres que moi (G. Debord, A. Mattelart, etc.) qualifient de ‘colonisation des esprits des destinataires par les ‘industriels’ du spectacle.’

    Que ce soient Jean Renoir (pour le cinéma) ou Umberto Eco (pour la littérature), les personnes dont l’activité se situe du côté de la conception – production – diffusion – stockage des œuvres artistiques et/ou produits communicationnels (de masse ou de réseaux sociaux) s’imaginent qu’elles peuvent guider, voir imposer par quelques trucs ou astuces (de rhétorique ou de montage) la signification, l’importance et la pertinence que les différentes couches ou catégories de public ‘découvriront’ (et non: mettront ou projetteront) dans (et non: sur) ce qu’elles (les personnes dites ‘communiquantes’) leur proposent.

    C’est là s’imaginer que les gens du spectacle prolongent les mécanismes à l’œuvre dans l’éducation des enfants.

    C’est par le bourrage de crâne, à l’école + à la maison, (quand tout va bien, cf Bourdieu), au sein de réseaux de pédophilie intellectuelle (ou d’enculturation) que le sens de ce qui est enseigné est amplement médié (véhiculé avec effet vaseline) par des jeux de coerséduction (« qu’il est doué notre petit! » en le caressant dans le sens du poil!) auxquels les enfants à l’esprit malléable sont conviés.’

    Arrivé à l’âge adulte, selon nos lois, l’homme cesse d’être enfant et acquiert son fameux « libre arbitre. » Il est responsable du sens de ce qu’il perçoit (dans toutes les situations de communication possible à l’exception du lavage de cerveau dont un modèle est bien décrit dans ‘Les oranges mécaniques).

    Le récepteur adulte est responsable des gestes qu’il a posés en fonction du sens qu’il a donné aux signaux des autres qu’il a captés et interprétés.

    Avec des adultes, pour en arriver là où il vent en venir, le communiquant (tous ceux qui se trouvent du côté de la production) ne doit-il pas (volontairement ou inconsciemment) s’inscrire, se lover dans la culture (au sens artistique comme anthropologique), l’univers mental, la vision du monde, la ‘weltanschaaung,’ bref, la carte écran radar collective des différentes strates de son public cible (différents niveaux d’éducation et de sensibilité/émotivité)?

    le communiquant, peut-il organiser les pérégrinations de ‘l’intelligence et de l’émotion’ (weltanschaaung) de son public, comme l’ingénieur urbaniste dessine l’itinéraire que le citadin doit suivre dans la ville qu’il dessine? (comparaison empruntée à Michel de Certeau).

    J’en doute, comme il y a des élèves qui développent leurs programmes buissonniers et des citadins qui s’inventent des itinéraires ou décident de retourner à la campagne, il y a des spectateurs et des lecteurs qui conçoivent des significations auxquelles les communiquants n’ont jamais pensées.

    Le rêve est dans le camp du spectateur en quête d’évasion. L’œuvre de l’auteur est finie. Il s’y enferme en cultivant les détours et les recoins du labyrinthe qu’il croit avoir façonné! Si le lecteur ou le spectateur ne peut le contourner, il le survole ou passe dessous, comme Belmondo et Bourvil vont et viennent sous les murs de la prison de Poissy, au tout début du ‘Cerveau’ (The Brain!)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *