Le conte ou le conteur ? La forme ou le fond ?

Une œuvre d’art n’est digne de ce nom que si elle donne au public l’occasion de rejoindre l’auteur. Regarder le « Radeau de la Méduse » équivaut à une conversation avec Géricault. Le reste, notamment le compte rendu de la situation n’est que littérature. Il en est de l’art comme de la vie. On aime une histoire parce qu’on aime le conteur. La même histoire, contée par un autre, n’offre aucun intérêt. André Gide résume cet état de choses en deux mots : « En art, seule la forme compte. »

Jean Renoir-Ma vie et mes films

Je vous l’ai dit cent fois : l’histoire, on s’en fout, c’est le style qui compte !

 

6 réflexions sur « Le conte ou le conteur ? La forme ou le fond ? »

  1. Le style serait-il donc « l’habitus » de Bourdieu?
    Il me semble que la définition qu’en donne Philippe se rapproche beaucoup de celle de l’éminent sociologue français!
    Dans ce cas, on se rejoindrait, n’ayant donné – plus haut ou plus bas – qu’un aperçu partiel de ce que d’autres ont pu projeter sur ce concept! (faute de temps et d’espace!)

    Par contre, je doute que les Identités (qui, on s’entend là dessus, ne sauraient être définies par les langues, – tous les Francophones, ne voient pas le monde de la même façon -), soient délimitées par la cartographie géo-politique.

    Je comprend mal ce grégarisme limité et exclusif (pas Julia Kristeva ni Boris Cyrulnick), comme ce désir de faire troupeau avec Braque, Modigliani, Picasso, ou Renoir, Gide, Chandler, Robbe-Grillet, Pagnol, Vialatte, etc.

    Je doute fort que les membres du trio Paddy, Bufon, Philippe partagent la même vision du monde.

    À chaque être humain, son style (son habitus) qui est amplement façonné par son histoire, sa trajectoire, ses pérégrinations. D’autres y ajouteront les gènes qui me gênent! (le corps médical, psychanalyse incluse, me semble avoir une emprise indue sur nos sociétés trop obsédées par le corps, le physique)!

    S’il n’y a pas de liens entre l’histoire et le style… ce dernier serait-il génétique?

    En tout cas, mes modestes observations des politiciens, qu’ils soient Québécois, Canadiens, Américains ou Français (liste non exhaustive) me démontrent (il est vrai que j’y projette mon obsession de l’incommunicabilité) qu’aucun ne partagent le même style et ne croient dans les mêmes histoires.
    Il ne me semble pas que leur identité nationale permette de les regrouper!
    Il y a plus de points communs entre Trump et Lepen ou entre Sanders et Mélanchan ou encore entre Jupé et Clinton qu’entre deux politiciens d’une même nation.

    Quant à moi, je suis certain que les Québécois et mes collègues n’accepteraient pas que je les représente, ni bien sûr, les collègues français qu’il m’est arrivé de côtoyer, je doute encore plus des Américains… C’est pour cela que je suis internationaliste et que j’adore les écrits disparus des Sophistes!

    Please, Don’t pigeonhole me!

    Je n’ai pas choisi … de naître en France… ni d’aller au Canada… par contre j’ai choisi de m’initier à l’anglais, ce qui me permet d’avoir accès (reach) à Tout ce qui se dit et s’écrit dans cette langue élue comme dans ma langue natale subie.

    Évidemment, je n’ai saisi (grasp) qu’une infime partie de ce à quoi ces deux langues me permettent d’accéder (et cette infime partie a été informée et donc déformée par mon système perceptif) mais je sais avec certitude que l’univers ne se limite pas à ce qui a été fait dans le style qu’a consacré mon éducation primaire et secondaire parisienne! (Éducation que j’ai d’ailleurs très mal reçue, ce qui explique plus de choses que ma soi disante, québécitude!)

  2. Les Britanniques disent aux Américains du Nord que l’anglais est la langue qu’ils ont en commun et qui les sépare.
    Eh bien, la langue française que nous pensions avoir en commun avec le Québec, ou avec l’Université ou avec René-Jean joue le même rôle : elle nous sépare.
    Quand il s’agit de littérature et que Paddy, Buffon et moi parlons de style, nous faisons référence à cet ensemble de procédés, d’habitudes, de points de vue et de formes qui caractérisent la façon d’écrire d’un auteur.
    Quand René-Jean parle de style, et il le dit très clairement, il parle de la façon de se comporter, de parler, de s’habiller d’un homme, nécessairement présumé germanopratin, snob et vain.
    Le problème, c’est que ce n’est pas de ça que je parle. Je dis seulement qu’une histoire de petite bourgeoise de province qui s’ennuie à la maison et qui trompe son médecin de mari, ça peut donner un épisode de Amour, Gloire et Beauté comme ça peut donner Madame Bovary. C’est une affaire de style.
    Donc, l’histoire de la petite emmerdeuse de Normandie, on s’en fout, c’est le style de Flaubert qui compte.
    Idem pour les pommes que peint Braque, le nu que peint Modigliani, ou les Mousquetaires que dessine Picasso. Les pommes, la fille, les moustachus, on s’en fout. C’est même pas ressemblant. C’est la façon dont Braque, Modigliani et Picasso nous les montre qui compte.
    Et surement pas la façon dont ils se comportaient ou s’habillaient.

  3. Comme toujours ou presque, nous ne partageons pas les mêmes significations ou acceptions des mots ou concepts que nous utilisons. Ce dont la théorie de l’incommunicabilité humaine rend parfaitement compte!

    Par ‘histoire,’ j’entends ici ce que les Anglais appellent « the narrative » ce que les journalistes anglo-saxons qualifient de ‘story’. L’histoire que je visais ici était la formule: « l’histoire on s’en fout, c’est le style qui compte! » Je prétendais que ce n’était pas parce qu’on la répète cent ou mille fois qu’elle devient plus valide ou plus proche de la réalité. À moins qu’elle ne prenne la forme de prophétie auto-réalisatrice chez celles et ceux qui y croient! Ce qui est très fréquent, hélas!

    Puisque l’être humain (condamné à l’incommunicabilité par sa condition) ne peut accéder au réel, il ne peut que se raconter des histoires qui vont de ton affirmation au mythe d’œdipe ou aux saintes écritures… voire encore les constitutions des Démocraties… ou les conjecture scientifiques! Cela inclut, effectivement, la trame de romans ou de scénarios qui ont le mérite de souligner la dimension fictive des histoires racontées!

    Dans tous les cas, ce ne sont que des histoires qui connectent leurs croyants entre-eux mais les gardent loin du réel qui leur échappera toujours… donc, tu as raison, en devrait s’en foutre!

    Quant au style c’est le comportement corporel ou verbal de la classe, caste ou secte à laquelle on appartient ou souhaite appartenir… « Il a de la classe! » « Quel style! Quelle élégance! » « Quel Panache! »

    Ceux qui se racontent certaines histoires et y croient, constituent une classe qui a le style qui lui correspond! Et si l’on n’est pas de cette classe, ça nous en touche une mais pas l’autre! On s’en fout itou!

    Avec les bons souvenirs de la Belle Province!

  4. « Ce n’est pas parce que l’on répète cent fois la même histoire qu’elle devient réalité! »
    Vraiment ?
    Chacun ses références. J’ai avec moi Renoir, Gide, Chandler, Robbe-Grillet, Pagnol, et probablement aussi Vialatte, les Hussards, et autres Morand.
    Contre moi, j’ai John Ford, qui disait que 3 choses sont nécessaires pour faire un bon film : une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire, mais Ford avait un style et pour lui l’histoire n’était je crois qu’un prétexte. Par ailleurs, il adorait se moquer des journalistes à leur insu. J’ai aussi Julia Kristeva dont j’ignore tout y compris le sens qu’elle a donné à sa reprise de l’aphorisme de Rimbaud.

  5. Ce n’est pas parce que l’on répète cent fois la même histoire qu’elle devient réalité!

    C’était là la formule des alchimistes que Gœbels comme Trump (et beaucoup d’autres farceurs sinistres) ont fait leur!

    Il me semble – je dis bien ‘semble’ (aucune certitude sur ce qui compte ou pas!) que le cinéaste, Jean Renoir parle de « rejoindre l’auteur, » l’être humain authentique. Il ne parle pas de la personne ou du masque (étymologie latine) que le connaisseur décrypte (par projection) au travers d’un style pratiqué dans sa famille ou chez ses meilleurs camarades (et professeurs/préfets) d’école par où il est passé durant son enfance.

    L’art c’est l’aptitude de reconnaître (identifier et apprécier) l’esprit de l’autre en nous, (nous explique Julia Kristeva – pas Rambow – dans ‘Étrangers à nous-mêmes’!) stimulé par la forme et le style que nous projetons sur ses gestes et propos.

  6. Ce qui me permet d’ajouter une fois de plus: « le style c’est l’homme même », formule célèbre de Buffon à propos de laquelle j’eus à disserter en première. Et justement, je dirai aujourd’hui que si le style est bien l’auteur, càd l’homme de l’art, l’histoire elle, càd la matière, on ne peut pas s’en foutre, c’est le bœuf du hamburger.

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