La suite de Balbec – Chapitre 1

En cinq épisodes qui paraitront chaque jour à partir d’aujourd’hui mercredi 9 janvier et  jusqu’à dimanche prochain, voici le texte intégral de cet essai sur Marcel Proust en vacances que vous avez pu lire ici il y a un peu plus de deux ans. Cette édition a bénéficié de la correction de quelques erreurs typographiques et orthographiques récalcitrantes ainsi que de quelques rectifications stylistiques. À propos, ne me demandez pas quand le « début de Balbec » a été publié. Il y a un piège.

La suite de Balbec

Essai

1-A la recherche de Marcel Proust

Tout le budget va y passer! Faut dire ! Quelle idée de m’installer au Grand Hôtel ! Je croyais que le cadre, le luxe, la vue, tout ça, ça me donnerait des idées. Mais, rien. Depuis quatre jours que je suis installé dans cette chambre, je passe pratiquement tout mon temps assis à cette petite table devant l’écran de mon ordinateur. Et rien ! Je regarde les nuages, les vagues et les mouettes par la fenêtre ouverte. Je n’ai pas écrit une seule ligne valable.

Quand j’avais fait ma réservation, le prix annoncé pour la chambre et la pension complète m’avait fait frémir. Il dépassait de loin ce que j’avais imaginé. Il restait cependant dans les limites de ce que m’avait accordé Cottard, mon éditeur, pour lui livrer sous un mois un essai de 25.000 mots sur Proust. Le sujet précis, le point de vue, l’angle d’attaque, tout ça, il s’en fichait. Cottard m’avait dit :

— Coco, tu fais ce que tu veux du moment que tu parles de Proust. Proust, ça se vend en ce moment. Alors, vas-y! Mais, attention Coco, il y a urgence ! Télérama, Elle et les Inrocks sortent chacun un numéro spécial sur Proust pratiquement le même jour, dans six semaines, Il faut que ton truc sorte en même temps. Ça lui fera une promo terrible. Un mois, Proust, 25.000 mots et 4.000 € d’avance, ça devrait coller Coco, non ?

J’essayai de discuter, de dire que je serais certainement meilleur sur Tom Clancy, Marc Lévy ou à la rigueur sur Paolo Coehlo, mais Cottard n’en démordait pas. Du Proust, il voulait du Proust. Et puis, les 4.000€, j’en avais vraiment besoin. Mon roman érotico-médieval était en panne depuis des semaines et, à part une fausse anecdote de voyage à Rio, où je n’avais jamais mis les pieds mais que j’avais pu placer au Magazine Air France, je n’avais rien vendu depuis plus de six mois. Mon éditeur voulait du Proust. Il allait falloir que je lui en donne.

Je ne sais pas si vous avez remarqué mais, dans une conversation un tant soit peu branchée, quand quelqu’un se met à parler de Proust, personne ne dit qu’il a lu Proust, mais tout le monde dit qu’il le relit. « Ah! Proust ! Je me suis mis à le relire, quelle merveille… » Et de citer la petite madeleine… »Ah! Le passage de la madeleine…quelle évocation du passé…comme c’est bien dit…et comme c’est vrai, en plus… » Eh bien, moi qui vis dans un milieu tout ce qu’il y a de branché, je dirais même quasiment dans un milieu intellectuel — je travaille comme pigiste pour un grand magazine masculin — je n’avais jamais rien lu de Proust. Faute de temps, sans doute. Je manquais donc sérieusement de bases pour me lancer dans cette affaire. Il me fallait absolument de la doc, et ça, rassembler de la doc, c’est la base de mon métier, je sais faire, j’ai mes méthodes.

Je rentrai donc chez moi de bonne heure, j’ouvris un paquet de chips, une Heinenken et mon MacBook et je me préparai à passer la nuit à Googliser. J’avais ouvert une feuille iNotes et je commençai à noter :

 » Marcel / 1871-1922 / Prix Goncourt 1919 / Œuvre principale : A la Recherche du Temps Perdu / 8 volumes, 2988 pages…« 

Bon sang, trois mille pages !

« Considéré comme l’un des plus grands écrivains du monde occidental, Proust nous a livré une œuvre magistrale et presque autobiographique qui allie à la description d’une société aujourd’hui disparue, la peinture de caractères éternels, et une réflexion majeure sur la mémoire et sur le temps…« 

J’ouvris un nouveau paquet de cigarettes et commandai une pizza quatre fromages.

En attendant la pizza, je téléchargeai la totalité des huit volumes dans ma bibliothèque iBooks. Je savais bien que je n’aurais jamais le temps de lire tout ça, mais ça pouvait toujours servir. En plus, c’était gratuit.

En continuant à chercher, je trouvai le PDF d’un résumé de la Recherche. Je lus ses quatre pages en entier et d’une seule traite. Compliqué de dégager quelque chose de tout ce fatras ! Au passage, je notai quand même des trucs, des noms, en vrac :

...Swann, Guermantes, Combray, Charlus, Françoise, Albertine, Cottard…

Tiens, Cottard !

Il y avait un nom qui revenait tout le temps. C’était Balbec, apparemment un bled au bord de la mer, avec un Grand Hôtel. Proust y était parti plusieurs fois en vacances.

Ce mot de vacances alluma une lumière dans mon cerveau fatigué par une nuit totalement blanche. J’avais trouvé ce que j’allais faire : j’allais écrire un truc sur les vacances de Proust tout en en prenant moi-même, des vacances. J’irai passer deux ou trois semaines dans cet hôtel de luxe et du diable si ça ne me donnait pas des idées pour mon essai. Bien sûr, je n’avais pas les moyens de me payer trois semaines dans un cinq étoiles, ni deux, ni même une seule, mais j’étais certain qu’avec cette idée, j’arriverai à convaincre Cottard de prendre les frais à sa charge.

Enthousiasmé par le projet, je commençai tout de suite à lui chercher un titre : « Les vacances de Monsieur Proust». Pas mal, mais ça ressemblait un peu trop aux « Vacances de Monsieur Hulot« . « Le Grand Hôtel de Proust » ? Non, ça prêtait à confusion. « Proust à la mer » ? Et pourquoi pas « Marcel à la plage« , pendant que tu y es ? Finalement, je me fixai sur  » Marcel Proust en vacances« . Ce qui était bien, c’est que ça ne disait pas si c’était Proust ou le lecteur qui était en vacances, ça n’engageait à rien, tout était ouvert, et je pourrais toujours changer de titre si je trouvais mieux.

Je cherchai Balbec et son Grand Hôtel dans le Guide Michelin, mais ils n’y étaient pas. Je dus me rendre à l’évidence : Balbec n’existait pas. Pas de problème, Google m’apprit en moins d’une minute que Balbec était en fait le faux nom de Cabourg, et qu’il y existait bien un Grand Hôtel.

ET DEMAIN LA SUITE : LE GRAND HÔTEL

 

4 réflexions sur « La suite de Balbec – Chapitre 1 »

  1. Ah!!! La pizza quatre fromages!

    J’ai l’adresse d’un bon resto italien stratégiquement situé à proximité du Parlement à Ottawa (qui, lui-même, est proche de l’Université) où le tourneur de pizza, le ‘pizza jockey’ de cette boite diurne (où, au lieu d’exprimer verticalement un désir horizontal on comble assis un appétit trop bien assis) m’a passé son handicap (de jockey) de dix kilos en six ans de fréquentation assidue!

    J’aurais dû me contenter d’une madeleine (sans son parapluie) et rester à Cherbourg pour passer mes vacances à Caen!

  2. Chouette ! Une semaine à parler de Proust !
    Pour ne rien faire comme tout le monde, la première fois que j’entrepris de lire Proust – car c’est une entreprise – vers 18 ans, je m’emmerdai furieusement, au point de laisser tomber au bout de trente pages. Décidément j’aimais mieux le rugby. Ou les filles.
    Je le repris dix ans plus tard, car c’est un pensum auquel j’estimais devoir me plier afin de me vernir un peu le culturel. Et là, l’extase… que j’entretiens régulièrement en relisant quelques pages de temps en temps.

    Mon cher Philippe, ces tribulations d’un auteur en quête de sujet mettent l’eau à la bouche et je suis d’ores et déjà assuré de ne pas m’ennuyer une seconde, mieux, j’ai un motif de plus s’il en manquait de me lever le matin.

  3. Ça promet, mais attendons tout de même la fin du cinquième épisode Dimanche prochain pour émettre un jugement définitif.
    PS, l’incipit “Tout le budget va y passer!” est certainement ce que doit se dire en ce moment un autre Philippe, Edouard Philippe celui-là, qui a à gérer la chienlit de Gilets Jaunes.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *