Une affaire de taille

Je vais vous raconter une histoire. C’est une histoire vraie. Il n’y a aucun doute sur sa véracité. Elle a été rapportée par l’un de ses intervenants. Et pas n’importe lequel ! Un prix Nobel ! C’est dire combien cette histoire ne peut qu’être vraie.

Quand il s’agit d’une histoire courte et vraie, on a l’habitude de parler d’anecdote. Voici donc une anecdote.

C’est amusant de constater comme, en général, personne ne met en doute la véracité d’une anecdote. Quand on dit : « je vais vous narrer une anecdote sur la rencontre de Napoléon et de Joséphine », tout le monde écoute attentivement sans mettre en doute la véracité de la chose à aucun moment. Mais si on dit : je vais vous raconter une histoire : « C’est Napoléon qui rencontre Joséphine pour la première fois …», personne n’y croit et tout le monde se prépare à rigoler.

Mais ici, il s’agit bien d’une anecdote. Que voici.

Mais, encore une fois, il faut qu’il n’y ait aucun doute dans votre esprit sur cette histoire. Sans quoi, elle n’aurait aucun intérêt, et ne constituerait qu’une perte de temps pour vous et moi. Donc, voici l’anecdote :

Un jour qu’il buvait un verre de morgon à la terrasse de la Closerie des Lilas, Ernest Hemingway …

Oui, je sais, on a raconté beaucoup de fausses histoires sur Hemingway, en particulier ce grand menteur de Woody Allen. C’est ennuyeux, parce que, après avoir entendu quelques blagues de Woody Allen, personne ne croit plus aux histoires qu’on raconte sur Hemingway, même si elles sont tout à fait vérifiables. Or, comme on le verra plus loin, celle-ci l’est parfaitement.

Donc, Hemingway buvait un verre à la Closerie quand une grosse automobile, une Bentley ou une Rolls selon les sources, s’arrêta le long du trottoir devant la terrasse de la célèbre brasserie. Scott Fitzgerald descendit de la magnifique voiture et se dirigea droit sur Hemingway en agitant vers lui son chapeau de paille d’Italie. « Ah ! Ernest ! Joliment bon de te trouver ici ! » lui dit-il d’un air excité.

Je m’arrête un instant pour souligner les quelques détails qui établissent de façon certaine la véracité de ce récit : Tout d’abord, Hemingway a écrit à plusieurs reprises – My life and loves and other tribulations in the Rue Delambre (1952) ; Pour qui sonne le téléphone ? (1931) – qu’il aimait bien le beaujolais et particulièrement le Morgon.

Ensuite, on sait que Fitzgerald ne pétait que dans la soie et qu’il ne roulait qu’en Rolls ou en Bentley, à la rigueur en bicyclette de chez Raleigh.

Enfin, son chapeau de paille d’Italie est demeuré célèbre. Il apparaît dans les mémoires de Truman Capote au chapitre 8 : Comment je me suis fâché avec ce crétin de Scott.

Quant à son amitié avec Hemingway, elle est proverbiale, un peu comme celle de Montaigne et La Boétie, à la différence près cependant que Montaigne buvait surtout du bordeaux, et en bien moindres quantités qu’Hemingway. Donc Scott et Ernest étaient amis. A ce propos, Scott Fitzgerald III, arrière-petit-fils de l’écrivain, souhaiterait rappeler aux héritiers du prix Nobel de littérature 1954 les 25 dollars qu’il lui avait prêté en 1927 et dont il n’a jamais revu la couleur.

On remarquera également l’apostrophe « Joliment bon ! », typiquement britannique, du style que Scott affectionnait particulièrement, bien qu’il fût né dans le Minnesota et n’ait pratiquement jamais mis les pieds en Angleterre.

Donc, Fitzgerald s’avança vers Hemingway et lui dit d’un air excité :

–Ah ! Ernest ! Joliment bon de te trouver ici !

Hemingway lui répondit du tac au tac :

–Bonjour Scott ! Ca boume ?

– Ca ne boume pas du tout ! J’ai un mal de tête épouvantable et je suis en panne sur mon roman. J’espérais bien te trouver ici.

Il faut savoir que Fitzgerald tombait souvent en panne d’écriture. Dans ces cas-là, il faisait appel à Hemingway, à Gertrud Stein ou à Paul Deschanel pour l’aider à redémarrer. Le redémarrage était parfois difficile et c’est comme ça qu’Hemingway a fini par écrire Tendre est la nuit en totalité. Ernest voulait l’appeler Sacrée soirée !, mais Scott a tenu à conserver le titre que nous connaissons car, finalement, c’était la seule chose qu’il avait écrite dans le roman.

– Commande-moi une bouteille de morgon et je te donnerai tous les conseils littéraires que tu voudras.

– Il ne s’agit pas de ça, dit Scott en regardant ses chaussures de chez Berluti. C’est très gênant. Je ne sais pas si…

–Ecoute, mon vieux. Si tu veux me parler d’un problème, vas-y. Sinon, ne me fais pas perdre mon temps. Je ne suis pas en panne d’écriture, moi. Alors ?

–Bon, voilà…

Et Scott Fitzgerald, avec gêne et hésitation, se mit à expliquer que Zelda trouvait qu’il avait un pénis trop petit. Elle lui avait dit qu’avec un tel accessoire, il n’arriverait jamais satisfaire une femme. Il voulait un avis sincère d’un ami en qui il pouvait avoir toute confiance.

–Je sais que tu es un spécialiste. Alors j’aimerais que tu me donnes ton avis.

Hemingway commença par dire à Fitzgerald qu’en principe la taille ne faisait rien à l’affaire, mais sur l’insistance de son ami, il lui proposa de descendre aux toilettes pour un examen clinique. Ils descendirent.

A propos, si vous ne connaissez pas les toilettes de la Closerie des Lilas, je vous recommande d’y faire un passage : petites, mais belles, comme on dit en une autre matière.

Voilà donc nos deux écrivains au sous-sol, l’un d’entre eux penché sur le pantalon baissé de l’autre. Hemingway se releva et prononça la sentence : l’objet était de taille normale, du moins au repos. Mais Fitzgerald ne paraissait pas rassuré et mettait maintenant en doute les qualifications de son ami pour juger de la chose.

Alors, énervé, Hemingway prit Fitzgerald sous le bras. Il le fit se lever de sa chaise et traverser le trottoir à grands pas jusqu’à la Rolls qui attendait. Hemingway indiqua au chauffeur une adresse qu’ils atteignirent dix minutes plus tard.

C’est ainsi qu’en cette fin d’après-midi de 1929, on put voir deux jeunes américains déambuler lentement dans les allées du musée du Louvre en train en contemplant sous la ceinture, qu’ils ne portaient d’ailleurs pas,  les statues d’Héraclès, de David, d’Apollon et autres mâles incontestés.

Voilà, c’est tout. Je vous avais bien dit que cette histoire n’avait d’intérêt que si elle était vraie.

Elle l’est et si vous voulez savoir comment Hemingway l’a racontée, vous n’avez qu’à lire la suite.

 

Finally when we were eating the cherry tart and had a last carafe of wine he said, ‘You know I never slept with anyone except Zelda.’

‘No, I didn’t.’

‘I thought I’d told you.’

‘No. You told me a lot of things but not that.’

‘That is what I want to ask you about.’

‘Good. Go on.’

‘Zelda said that the way I was built I could never make any woman happy and that was what upset her originally. She said it was a matter of measurements. I have never felt the same since she said that and I have to know truly.’

‘Come out to the office,’ I said.

‘Where is the office?’

‘Le water, » I said.

We came back into the room and sat down at the table.

‘You’re perfectly fine,’ I said. ‘You are O.K. There’s nothing wrong with you. You look at yourself from above and you look foreshortened. Go over to the Louvre and look at the people in the statues and then go home and look at yourself in the mirror in profile.’

‘Those statues may not be accurate.’

‘They are pretty good. Most people would settle for them.’

‘But why would she say it?’

‘To put you out of business. That’s the oldest way in the world of putting people out of business. Scott, you asked me to tell you the truth and I can tell you a lot more but this is the absolute truth and all you need. You could have gone to a doctor.’

‘I didn’t want to. I wanted you to tell me truly.’

‘Now do you believe me?’

‘I don’t know,’ he said.

‘Come on over to the Louvre,’ I said. ‘It’s just down the street and across the river.’

We went over to the Louvre and he looked at the statues but still he was doubtful about himself.

‘It is not basically a question of the size in repose,’ I said. ‘It is the size that it becomes. It is also a question of angle.’

I explained to him about using a pillow and a few other things that might be useful for him to know.

‘There is one girl,’ he said, ‘who has been very nice to me. But after what Zelda said–‘

‘Forget what Zelda said,’ I told him. ‘Zelda is crazy. There’s nothing wrong with you. Just have confidence and do what the girl wants. Zelda just wants to destroy you.’

‘You don’t know anything about Zelda.’

‘All right,’ I said. ‘Let it go at that. But you came to lunch to ask me a question and I’ve tried to give you an honest answer.’

But he was still doubtful.

‘Should we go and see some pictures?’ I asked. ‘Have you ever seen anything in here except the Mona Lisa?’

‘I’m not in the mood for looking at pictures,’ he said. ‘I promised to meet some people at the Ritz bar.' »

From « A moveable feast » by Ernest Hemingway (1964)

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4 réflexions sur « Une affaire de taille »

  1. A propos de cette anecdote croustillante que j’ai lue avec retard pour cause de voyage, j’aimerais ajouter cette note personnelle car Sue et moi sommes des amateurs d’Hemingway. Sue d’ailleurs utilise abondamment « A moveable feast » pour ses sessions de conversation anglaise et americaine. Quand nous avons la visite à Paris d’amis américains qui souhaitent passer une journée avec nous autrement qu’en visitant la Tour Eiffel, le Louvre et l’Opéra Garnier (ça, ils peuvent le faire sans nous) et s’ils sont lettrés, nous les emmenant sur un tour Hemingway à pied: Mouffetard, la rue du Cardinal Lemoine, la rue ND des Champs, la Closerie des Lilas, Montparnasse, la rue de Fleurus (n° 27, Gertrude Stein), l’Hotel Ritz, le Harris Bar, etc. Une ballade d’une quinzaine de kms mais avec des haltes bien placées pour reprendre des forces et qui enthousiasme toujours (encore il y a quinze jours). Mais, il faudra la prochaine fois que nous ajoutions un passage au Louvre pour une étude comparée des penis telle qu’Hemingway la présenta à Fitzgerald.

  2. Que de vbiage pour une queue!
    Pourtant, comme vous dira toute femme sensée, ce n’est pas la taille qu’elle fait, mais l’usage qu’on en fait, qui importe.

  3. SIGN SAYS SO… qui chantaient en 70!

    Les seuls signaux qui me semblent respectables et donc crédibles sont les panneaux routiers!

    En Europe, paradoxe allemand, ils sont plus graphiques que lettrés.

    Aux États-Unis, la langue véhiculaire (et non vernaculaire) étant l’anglais, de nombreux panneaux sont garnis de lettres à double sens.

    « NO U TURN » est généralement interprété comme ‘vous ne faites pas demi-tour’ avec une double signification sur le U = you concentré et U symbolisant le virage en U défendu.

    NO ENTER remplace notre panneau rouge à barre horizontale blanc. Etc.

    La question que pose Philippe ou plutôt la réponse qu’il donne à la question qu’il ne pose pas est que le signal: ANECDOTE, contrairement au mot HISTOIRE provoque, induit ou génère une sensation de VÉRITÉ et contraint le lecteur à lire ou écouter attentivement la première et moins la seconde…

    Curieux, étrange, ce fétichisme qui situerait un pouvoir quelconque dans les mots ou le nom des catégories de discours!

    Du temps de La Boétie, les Huguenots voyaient dans ‘le culte du pouvoir de mots’ des Intégristes Ultra-montains des séquelles du sacrement cannibale de l’Eucharistie.

    Pour les Protestants d’alors, croire que Jésus puisse être dans le pain et le vin, relevait de la pure et simple débilité. Pour eux, Dieu est dans l’esprit du croyant et ça suffit! De là, il permet aux fidèles de se regrouper en une congrégation apte à agir de façon coordonnée, sinon harmonieuse, face aux défis du monde.

    Si les automobilistes ont la sagesse d’apprendre et de se remémorer le code de la route, c’est à dire la signification des signaux graphiques et lettrés, c’est tout simplement parce qu’ils comprennent qu’en le respectant, ils évitent les accidents et souvent même les encombrements et les embouteillages. Cet apprentissage, qui relève du bon sens unique se fait parfois par expérience et le plus souvent par contrainte. Interdiction de conduire sans permis et retrait du permis en cas d’infractions répétées et graves. Peines de prison en cas de récidives ou d’accidents graves.

    Ce n’est donc pas le SIGN qui SAYS SO mais, comme dans tout langage performatif, la sanction, par les autorités que la société s’est donnée ou l’expérience empirique qui est souvent, hélas, pire que le gendarme!

    Si je lis Philippe ce n’est pas parce qu’il raconte bien des ANECDOTES ou des HISTOIRES mais parce que, comme disait MONTAIGNE à propos de LA BOÉTIE, « parce que c’était lui, parce que c’était moi! »

    Peu importe la façon dont il classe ses propos, anecdotes ou histoires, je le lis parce que c’est un ami d’enfance et qu’il y a beaucoup de bons souvenirs qui me lient aux Coutheillas…

    Les comportements envers les symboles me semblent infiniment plus affectés par les rapports interpersonnels de coerséduction dans lesquels se situent narrateurs et lecteurs que par les propos tenus et la façon de les tenir. Qui croient les écritures ‘saintes’ uniquement parce qu’elles se disent l’être?

    Quant à l’histoire ou l’anecdote ici narrée qu’elle soit vraie ou fausse, ‘ça m’en touche une mais pas l’autre,’ disait Chirac qui aimait tout ce qui se passait sous la ceinture!

    Par contre, elle m’attriste profondément quand on se rend compte que les chefs d’État en tout temps, ont été réduits à se demander, comme c’est le cas entre Hollande et Sarko, lequel des deux maux (mâle au pluriel) pisse le plus loin…

    Pire encore… Trump prétend qu’il pissera dix fois plus haut qu’Obama!
    (quand on sait que tout ce qui monte… redescend!)

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