Le beau style

Le beau style ne devrait pas se voir.
(…)
On devrait écrire comme on respire. Un souffle harmonieux, avec ses lenteurs et ses rythmes précipités, toujours naturel, voilà le symbole du beau style.
On ne doit au lecteur que la clarté. Il faut qu’il accepte l’originalité, l’ironie, la violence, même si elles lui déplaisent. Il n’a pas le droit de les juger. On peut dire que cela ne le regarde pas.
Jules Renard
Journal –  4 mai 1909

2 réflexions sur « Le beau style »

  1. Dans ce que je juge être « une perle de la littérature intelligente » (mon jugement est comparable à celui que d’autres font en condamnant sans appel Montaigne et en encensant indécemment Proust), l’auteur, Tzvetan Tododorov, de ‘La conquête de l’Amérique, La question de l’autre’ (Paris, seuil 1982) laisse entendre – en un passage qui me semble peu important – que d’aucuns voient une relation entre le nom de famille de personnages historiques et leur activité mémorable.

    Partant de cette croyance saugrenue, Todorov lui-même, pourtant généralement sceptique, écrit COLON et nom Clomb lorsqu’il évoque le Génois-Castillan qui précéda (1492) Amerigo Vespucci dans la découverte des deux continents à coloniser.

    Partant d’une croyance semblable, Jules Renard qui partage son prénom avec celui d’un empereur romain, plus célèbre en Gaule qu’Auguste, et dont le patronyme évoque un carnassier roux et rusé, prétend avec l’auto-autorité de tout Caudillo être en mesure de s’exprimer ‘naturellement.’

    Quiconque a réfléchi quelques secondes sait très bien que les langues humaines, contrairement aux cris animaux qui sont universellement identiques selon la race et l’espèce, varient – parfois considérablement – d’une tribu à l’autre. Le langage humain n’a donc rien de naturel, il est appris au sein des familles et de l’école des nations.

    Il en va du style comme du langage. Je m’en suis rendu compte de façon frappante lorsque, ayant enfin quitté l’Arabie Saoudite que sont les collèges de garçons, j’ai tardivement connu (pas nécessairement au sens biblique) des représentantes de la gente féminine de ma génération.

    Lorsque des étudiantes de la Sorbonne avaient la gentillesse de m’inviter chez elle où je rencontrais leurs parents ou lorsque je cherchais à les rejoindre par le biais du téléphone familial (le portable perso. n’existant alors que dans Star Treck) et que je tombais sur leur mère, je constatais avec un certain effroi que la voix des filles, leur prononciation, le rythme de leur élocution étaient pratiquement identiques à ceux de leur mère.

    Plus frappant encore, sur le plan de l’observation et de la mémoire nationale, est la singerie langagière et stylistique des politiques proches du chef de l’État. C’était criant sous de Gaulle et puis plus ou moins évident sous tous les autres Présidents. Aujourd’hui, surtout de loin, on peut distinguer les singes de Hollande de ceux de Vals. On se demande même si ils ne prennent pas des cours chez les imitateurs humoristes.

    Évidement, de très grands sémiologues, – je pense à l’Américain, Charles S. Peirce – sont même allés (et je les suis) jusqu’à soutenir, non seulement, que le langage humain n’avait rien à voir avec la nature mais qu’en plus, il ne parvenait pas à établir le moindre lien avec celle-ci.

    Lorsqu’on croit décrire une fleur ou même imiter le son produit par les animaux, rien ne prouve qu’il y ait un lien ‘objectif’ entre le représenté et le représentant entre le signifié et le signifiant. Tous les linguistes parlent de liens purement arbitraires!

    Loin de la nature, parler une langue, rythmer sa prononciation d’une façon ou d’une autre s’est s’inscrire dans une communauté d’interprétation qui est bien souvent, – naturellement (si tant est que la reproduction soit naturelle) – la communauté d’appartenance ou d’origine à savoir, la famille, le clan, la tribu! D’où les journaux familiaux où l’on a toujours raison et où l’on s’exprime à la perfection!

    Quant au ‘jugement’ qui ne sera pas le dernier… il faut s’y attendre dès que l’on met les pieds dans la sphère publique. Pour vivre heureux vivre caché!

    Petit, je voulais rester chez moi, bien caché. Amené de force à l’école, je me cachais au fond de la classe, près d’une fenêtre et d’un radiateur (en général, l’un va sous l’autre) mais, repérable par ma crinière de poil de carotte, les enseignants m’interpellaient et me forçaient à m’exprimer. À manifester mon style malgré moi. La justice était alors expéditive et la sentence immanquable, à genoux dans le coin sous le bonnet d’âne!

    Alors que les auteurs que j’ignorais royalement (et on me l’a fait payer au gros prix) ne viennent pas maintenant m’interdire de juger leur style qui, le plus souvent, comme la harpe de Néron, couvre le cri des torturés!

    Un CÉGÉTISTE qui ne « G.I.T. » (voire rue d’U.L.M.) pas encore!

  2. Et pour le rendre encore plus beau, l’écrire avec un stylo-plume sur du beau papier. « Le style est l’homme même » disait Buffon, et j’ajouterai « en toutes circonstances ».

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