Le silence des acouphènes

Aujourd’hui, c’est à la terrasse du Soufflot qu’il a choisi de s’arrêter. Le serveur du matin le reconnait et le salue silencieusement. Il s’installe à la table d’où il peut apercevoir la cime des arbres du Luxembourg. Il regarde autour de lui, les clients, les passants, les autobus. Il entend le vent, les moteurs, les paroles.

Le café-croissant arrive. Le sucre en poudre qui sombre lentement dans la mousse brune, le tourbillon qui suit la cuillère, le croissant qui disperse ses premières miettes ; et puis, sur la table, l’écran qui s’allume, le clavier qui apparait, les lettres qui avancent, les premiers mots…

Et il n’y a plus de client, même pas la grosse fille qui riait très fort à deux tables de lui, même pas le gringalet qui lui faisait si drôlement la cour, ni ce gentil couple qui avait étalé son plan de Paris, ni ces deux jeunes filles qui stabylotaient leurs polycopiés. Plus de discussion sur le PSG entre le patron et le serveur. Il n’y a plus rien que l’écran, le clavier, les mots.

Les camions qui montaient la rue en grondant ont disparu. Il n’y a plus d’écho de moto furieuse. Il n’y a même plus d’étudiants en droit descendant vers le boulevard, plus de touriste à sac à dos montant vers le Panthéon, plus rien. Même plus la couleur des bus qui passaient dans la rue ou la sirène de l’ambulance qui courait vers Cochin. Plus rien, que l’écran, le clavier, les signes, les mots. Silence des acouphènes.

Mais les lettres n’avancent plus. Il lève la tête. La tasse de café réapparaît au milieu des miettes, puis la terrasse tout autour. La grosse fille rit toujours, les deux touristes ne sont plus là. En se levant, les jeunes filles aux stabylos bousculent un peu sa table ; le patron éclate de rire, la rue s’anime, un camion klaxonne, un téléphone sonne. Il regarde le ciel, il entend le vent, il voit l’écran.

Il voit l’écran, le clavier, les doigts. Reviennent les acouphènes, disparaissent la tasse, les miettes, les rires, les Klaxons, les âneries, les sonneries, et même le vent.

Maintenant, il peut écrire la deuxième page.

Et les lettres et les signes avancent à nouveau.

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