Qu’est-ce que t’as fait à la guerre, Papa ? (Chapitre 14-Il pleut)

Il pleut…

22 juillet 1940

Il a plu toute la nuit. Il pleut encore. Tout est humide, boueux. Aujourd’hui un mois que nous sommes prisonniers et nous n’avons aucun véritable espoir de partir. Cette semaine, dit-on, sera décisive. Qu’est-ce qu’on en sait ? Des espoirs chaque jour déçus ne nous ont pas encore guéris.
C’est aujourd’hui la fête de ma mère. Où est-elle ? Je lui avais donné le conseil de partir. L’a-t-elle fait ?
Je dois avoir changé. Maigri, fatigué, mais je tiendrai jusqu’au retour.
Tantôt, je suis allé à une conférence faite par un officier, Deschamps. Conférence sur la dénatalité. Je connaissais Deschampsde la Nationale. Ce fut un plaisir de le retrouver ici et de parler des amis.
Les conférences ont lieu chaque jour à 2 heures. J’irai. Ça passera le temps.

Ce soir, la femme d’un camarade nous fait parvenir un superbe rôti de veau. Alleau le fait cuire aux petits oignons fauchés je ne sais où. C’est magnifique ! Il y a des semaines que nous n’avions mangé de la vraie viande.

Les allemands ont quitté une partie de leur casernement. Aussitôt, tout ce qui se trouvait à l’intérieur a été barboté en grand vitesse. Ils s’en sont aperçus. Il a fallu réintégrer le tout. Les pillards étaient penauds.

23 juillet (mardi)

Cette journée s’annonce belle. On foutrait le camp volontiers. Prunet conseille d’attendre.
Le soir. Il pleut. Pluie fine qui nous transperce.
Tantôt, je suis allé à une nouvelle conférence.

Les Alsaciens et les Lorrains sont partis aujourd’hui. Personne ne les envie.
Ce soir, cafard.

24 juillet, mercredi.

Journée triste qui commence. Ciel maussade. Est-ce qu’il pleut toujours dans ce maudit pays ?
La TSF de ce matin nous donne des nouvelles peu rassurantes sur notre sort. Attendons encore. Sans savoir pourquoi, nous avions grand espoir pour cette date.
Je perds la mémoire. Je deviens fondu d’être enfermé.
Reçu des nouvelles de Bichette, sa jambe le fait souffrir.
Joué à la banque hier soir, j’ai perdu tout ce que je voulais ! Il y a au moins trois ou quatre tables de jeux ici. Ça fonctionne avec de grosses mises. Monte Carlo.
La faim revient, le pain se fait rare.
La dysenterie fait toujours des victimes parmi nous. Les feuillées sont installées en dehors du camp. Une dizaine de tranchées parallèles. Une centaine de pauvres types, nus à mi-corps à partir de la ceinture, s’exécutent en même temps. Déchéance.
Ce sont les Nord Africains qui creusent ou rebouchent les tranchées. En général, ils font les corvées les plus dégradantes. Ils ne sont pourtant pas dans le même camp que nous.
Excellente surprise ce soir. Grace aux copains : Foie de porc, girolles, fromage blanc et verre de bière ! Un mois et demi que nous n’avions bu que de l’eau, dans laquelle je mets de l’eau de javel. C’est mauvais au gout, mais notre équipe semble préservée de la dysenterie.
Prunet, Mas et moi, on se tape au moins un kilo de dragées par jour !

Je n’ai pas encore franchi les grilles du camp une seule fois !

2 réflexions sur « Qu’est-ce que t’as fait à la guerre, Papa ? (Chapitre 14-Il pleut) »

  1. C’était une allusion à Léon Blum, Président du Conseil des Ministres de 1936 à 1938. Mon père considérait, comme beaucoup à l’époque, que ce socialiste était responsable de l’état de la France au moment de la déclaration de guerre.

  2. Toujours aussi intéressant .
    Que veut dire blumerie ? Mot écrit par Daniel dans son journal.

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