Un couple inachevé (9)

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— Ah oui ! Et puis, j’aimerais aussi que l’on regarde la question des achats. Il faut absolument qu’on trouve le moyen de faire des économies. Le coût des matières premières me paraît quand même pas mal lourd.  On pourrait commencer à voir la question tous les deux entre huit et dix, juste avant la réunion avec les délégués. Vous pourrez préparer ce qu’il faut, Aurélie ?
— Bien sûr, Olivier, pas de problème.

9- Détournements mineurs

 Le liquide noir et fumant qui sort en crachant de la Delonghi Nespresso Initia tire la jeune femme de sa rêverie. Elle savait bien que ça allait arriver un jour. Mais déjà !

—Il faut que je remette tout à plat encore une fois et que je revérifie ça avant dimanche soir, pense-t-elle en prélevant le gobelet brulant et en le portant à ses lèvres. Trois ans devraient suffire… Olivier ne voudra surement pas remonter à plus de trois ans en arrière… Mais on ne sait jamais, il vaudrait quand même mieux aller jusqu’à quatre ans… Mais quatre ans, ça fait un sacré boulot ! Et tout ça pour dimanche soir… Bon, allons-y.

Elle laisse tomber le gobelet dans une corbeille à papier et se rend dans son petit bureau. Elle empile les cinq classeurs qui rassemblent les factures des quatre derniers exercices et de l’année en cours. Elle les emporte dans le bureau d’Olivier et les pose sur un fauteuil. Puis elle retourne sur ses pas pour aller chercher trois autres classeurs, ceux qui contiennent les contrats d’assurance et les dossiers des fournisseurs. Elle retourne dans le bureau d’Olivier et étale tous les classeurs sur la grande table de réunion. Elle reste là, songeuse, à les contempler.

Cette table, Aurélie se souvient que c’est avec elle qu’Olivier a voulu marquer le nouveau style de gestion qu’il entendait apporter à l’entreprise.  Finie la grande table sombre Henri II, héritée de la maison de famille des Combes il y a trente ans : une planche de 120 par 360 centimètres découpée dans un panneau de Médium de 40 millimètres d’épaisseur, recouverte d’un feutre vert et posée sur de solides tréteaux en bois, le tout acheté chez Bricorama pour la somme de 147 Euros hors taxes, symbolisera la simplicité, la solidité et le souci d’économie de la nouvelle direction. Brulées dans la cour de l’usine, les vieilles chaises disparates au cannage amolli et aux montants grinçants : huit sièges pliables (17,90 € h.t./pce) en matière plastique choisis spécialement pour leur inconfort afin que les réunions ne durent pas trop longtemps. Restitué à la famille Combes, l’énorme bureau à cylindre du grand-père, avec ses brûlures de cigare, ses empreintes de coups de règle de fer, ses taches d’encre et ses multiples tiroirs dont la moitié sont coincés et les autres emplis de souvenirs et autres choses inutiles. À la place, une lourde planche de 120 par 200 centimètres en mélaminé blanc de 40 millimètres posée sur deux tréteaux métalliques chromés et un bloc tiroir assorti, le tout livré par IKEA pour 210 € hors taxes. Dehors, tous ces symboles de la petite entreprise familiale, bourgeoise et étriquée des années cinquante ; place aux outils du changement, de l’efficacité, du rendement et du travail en collaboration. Seul le fauteuil directorial fait exception à cette modestie affichée : un fauteuil Vitra dessiné par Charles Eames dont Olivier avait envie depuis toujours (1580 € hors taxes).
C’est tout d’abord avec amusement qu’Aurélie avait observé ces petits bouleversements. Olivier ne s’attaquait qu’à la surface de l’entreprise : le remplacement du mobilier du bureau directorial, la suppression de la voiture de fonction du patron, le nouveau design du catalogue, l’instauration d’une réunion hebdomadaire de coordination avec la Compta et les chefs d’atelier et d’une réunion mensuelle avec tout le personnel, etc… tout cela sortait directement de la panoplie n°1 niveau débutant pour manager-cost-killer-mais-quand-même-proche-de-la-base. Tout ça n’était pas très dangereux. Mais voilà maintenant qu’il voulait se plonger dans les achats…
Et ça, c’était autre chose…

A SUIVRE

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