Un couple inachevé (4)

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Pourtant, malgré la solide réputation d’enquiquineuse qu’elle s’était ainsi construite, elle se voyait toujours entourée d’une ribambelle de garçons, car son attitude avait tout pour impressionner les naïfs ou pour motiver ceux pour qui les challenges sont le moteur de la vie. Selon leur tempérament, les uns voulaient « séduire la jolie fille si triste » et les autres « faire rire l’emmerdeuse  » ce qui, on le sait bien, revient au même.

4 – Elle et Lui

C’est bien en partie pour cette raison, faire rire l’emmerdeuse, qu’Olivier avait entrepris de séduire Céline. C’était en juillet. Il venait de finir Sup de Co et devait partir pour dix-huit mois en coopération en Nouvelle-Calédonie. Invité au vingt et unième anniversaire de Céline par un ami qui faisait partie de la bande du Pyla, il fut tout d’abord impressionné par la maison de vacances de ses parents. Alors que, seul, un verre de champagne à la main, il explorait une à une les pièces désertes du rez-de-chaussée, il s’amusait à évaluer la valeur de la propriété, qu’il augmentait joyeusement à chaque nouvelle découverte : « Tiens ! Une Course à Longchamp par Dufy dans la salle de billard ! Oh ! Un adolescent de Rodin dans l’entrée, et dans le garage, un GL Mercedes 500, une Range Rover Vogue et une vieille Méhari ! Eh ben, mon vieux !  Et une annexe Zodiac qui annonce surement un raisonnable Cabin Cruiser familial ! »

Quand il sortit sur la terrasse, il fut d’abord parcouru par un frisson d’émotion sincère. Devant lui, au-dessous d’un ciel encore bleu clair, un soleil ovale et rouge allait bientôt toucher l’horizon. Entre sa ligne à peine incurvée et l’écume blanche qui marquait la barre de la passe Nord, l’océan hésitait entre le bleu sombre et le gris foncé. Plus près, les bancs de sable s’allongeaient avec la marée descendante. Plus près encore, au grand largue, un catamaran luttait contre le courant qui sortait du bassin d’Arcachon. Le spectacle avait de quoi émouvoir le banlieusard qu’il était. Quand il eut repris ses esprits, il remonta de vingt pour cent sa dernière estimation de la propriété.

Debout de l’autre côté de la piscine, appuyée au garde-corps qui surplombait la pelouse, une irréprochable silhouette féminine lui tournait le dos. Olivier s’approcha et dit sobrement : « C’est beau, ce coucher de soleil, non ? » « Oui, si on veut… » répondit la silhouette sans se retourner avant d’ajouter dans un soupir : « Mais ce qu’on peut s’ennuyer dans cette soirée, vous ne trouvez pas ? » Quand Céline fit lentement volte-face pour le considérer d’un œil blasé, Olivier se dit tout d’abord :  » Bon sang, qu’elle est belle ! » et aussitôt après : « Mais c’est juste une belle petite snob. » A cette époque, pour Olivier, le gamin du Petit Clamart, élève moyen de Sup de Co, une petite snob était nécessairement une petite gourde. Mais ce n’est pas ça qui allait l’empêcher de lui jouer le grand jeu. Draguer une fille tout en se moquant d’elle n’était pas pour lui déplaire, au contraire, cela lui procurait un plaisir de gourmet. Il se mit à la tâche avec la décontraction du spécialiste. Cependant, au bout de quelques minutes de conversation, il réalisa que la demoiselle ne jouait pas les blasées mais qu’elle s’ennuyait sincèrement. Il valait mieux abandonner l’ironie dissimulée, les sarcasmes obscurs et les plaisanteries à double sens qu’il serait seul à comprendre. Il fallait adopter une autre méthode, et une conversation naturelle d’égal à égale lui parut tout à fait adaptée. Pendant les deux heures qui suivirent, il fut donc brillant, drôle, cultivé, romantique, spirituel, drôle encore, tendre, à peine câlin. Céline ne tarda pas à réaliser qu’avec lui, elle était peut-être en train de passer les meilleures heures de sa vie depuis la fête de sa première communion. La nuit était tombée et, dans le jardin, il commençait à faire frais. Olivier lui dit : « Écoutez, j’ai des amis pas loin. Ils ont formé un groupe de rock et ils jouent dans une boite sur la route du Teich. On pourrait y aller prendre un verre. Vous verrez, c’est très sympa. On y va ?  » Avec un gentil sourire de regret, elle lui dit qu’il lui était impossible de quitter la soirée parce que, justement, cette soirée, c’était la sienne, c’était son anniversaire.

— Ah, c’est vous qui… » dit Olivier.

— C’est moi qui…  » répondit-elle.

— En somme, ici, c’est chez vous… s’enquit Olivier.

— En somme, c’est chez moi, confirma-t-elle.

A partir de ce moment, Olivier fut encore plus brillant, plus drôle, plus charmant et bien sûr de plus en plus câlin. La nuit se termina dans les dunes et ils ne se quittèrent plus du reste des vacances.

A SUIVRE

 

3 réflexions sur « Un couple inachevé (4) »

  1. Mais il est vrai que je garde très vivants dans ma mémoire les couchers de soleil sur l’océan tels qu’on pouvait les voir les soirs de pique-nique sur la plage des Caillebottis.

  2. A l’âge d’Olivier, je ne fréquentais pas encore le Bassin. Et quand je l’ai fréquenté, c’était au Cap-Ferret, pas à Arcachon. Alors…
    Et puis :
    « L’art du roman repose sur le talent de raconter une histoire comme si elle avait été vécue par d’autres et l’histoire des autres comme si nous l’avions vécue. »
    Orhan Pamuk prix Nobel

  3. Très belle description ! On croirait que l’auteur a lui-même passé là des jours heureux. Un peu mélancoliques ?

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