Un couple inachevé (1)

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1 – Un couple

Quand je suis entré à la Maison Marie, le café était presque désert. Je les ai vus, un homme, une femme, un beau couple. Je me suis installé face à eux, sur la banquette, pas trop près pour ne pas les gêner, pas trop loin pour pouvoir les observer. Ils sont venus là parce que c’est samedi. Ils ont acheté tous les journaux qui ont une édition magazine pour le weekend, l’Équipe, Le Figaro, Le Monde, Libé, L’Obs… Installés de part et d’autre d’une table en bordure de la vitrine, pas vraiment face à face mais calés de biais dans leur fauteuil, jambes croisées, tête penchée, l’un examine rêveur la page golf de L’Équipe, tandis que l’autre traverse, nonchalante, les pages modes du Figaro Magazine pour s’arrêter finalement sur les pages voyages : « Cinq îles paradisiaques à découvrir avant qu’elles ne disparaissent« . Ils ne se parlent pas : elle n’éprouve aucun intérêt pour le golf, il déteste les voyages.

Ils ont commandé la formule Petit-Déjeuner-Tradition à 8,50 € : grand café crème, thé ou chocolat ; orange, citron ou pamplemousse pressé ; pain, beurre, confiture ou

viennoiserie. Huit euros cinquante, cinquante-cinq balles quand même, le prix d’un déjeuner très correct en 2001, dernière année de l’odyssée du Franc.  De temps en temps, sans quitter son magazine des yeux, l’un d’eux avance la main pour saisir à tâtons sa tasse et siroter une gorgée de thé Mariage frères ou de café équitable. A la place de l’orange pressée, elle a commandé avec supplément — 7 Euros —  un jus « Detox Malibu beach » (épinards, pomme, concombre) dont la couleur vert grenouille me donne des frissons. Elle n’a pas touché à son croissant. Tout indique chez eux qu’ils ne sont pas loin de la quarantaine en âge ni de la douzaine en vie commune. Grands tous les deux, d’une élégance décontractée parfaitement adaptée à un samedi matin tranquille de la Rive Gauche, détachés des contingences matérielles, ouvertement sereins, on les verrait bien à la terrasse des Deux Magots — mais ils n’y vont plus depuis six ans, en fait depuis que les magots ont envahi la moitié de la place avec leurs enclos à touristes chics — ou Chez Sénéquier sous un soleil d’hiver — car en été, Saint Tropez n’est plus fréquentable.

Ils sont là, l’air de dire : « Regardez comme nous sommes cools, à l’aise, tellement bien l’un avec l’autre que nous n’avons même pas besoin de nous parler, images de l’entente parfaite d’un couple parfaitement assorti ! »
Mais attendez de connaitre leur histoire.

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