Les années retrouvées de Marcel Proust – Critique aisée 229

Critique aisée n°229

Les années retrouvées de Marcel Proust
Essai de biographie
Jérôme Bastianelli – 2022
Sorbonne Université Presses – 8,90€

 C’est sur la recommandation expresse d’un ancien ambassadeur de France, François Bujon de l’Estang, que j’ai acheté ce livre. Je ne connais pas ce monsieur, mais je suis ses fréquentes interventions dans l’émission podcastée de Philippe Meyer, Le Nouvel Esprit Public. Elles révèlent une personnalité tellement réfléchie, modérée, intelligente et distinguée que j’ai suivi son conseil, me disant que moi si semblable à lui, je ne pourrai qu’aimer cette biographie du petit Marcel ouvertement inventée.

Je me suis donc retrouvé à la tête de ce petit bouquin d’un peu plus de deux cents pages, sans compter les annexes.

Vous vous souvenez certainement et très précisément que Marcel Proust est mort d’une bronchite le samedi 18 novembre 1922 dans son appartement du 44 de la rue de l’Amiral Hamelin à Paris. Vous vous rappelez peut-être aussi ce Conte de Noël écrit en 1843 par Charles Dickens et qui commence comme ça :
« Marley était mort, pour commencer. Là dessus, pas l’ombre d’un doute. Le registre mortuaire était

signé par le pasteur, le greffier, l’entrepreneur des pompes funèbres et celui qui avait mené le deuil. Scrooge l’avait signé, et le nom de Scrooge était bon à la bourse, pour quoi que ce soit qu’il choisisse de signer. Le vieux Marley était aussi mort qu’un clou de porte. »

Pareillement, Proust était mort, pour commencer. Là-dessus, pas l’ombre d’un doute. Le petit Marcel était aussi mort qu’un clou de porte.
Eh bien non ! Pour Jérôme Bastianelli, Proust n’était pas mort à Paris le 18 novembre 1922 mais à New-York vingt ans plus tard jour pour jour, et il nous livrait sa biographie sur ces vingt dernières années.

L’idée était intéressante et je suis entré dans cette histoire avec enthousiasme. Puisque l’hypothèse de départ était la guérison de Proust, je prévoyais pour lui une vie mondaine au milieu des années folles, et je le voyais nous décrire avec son humour, sa lucidité et sa méchanceté coutumière ses rencontres avec les écrivains, les cinéastes, les comédiens, les philosophes, les hommes politiques de l’entre-deux guerres. Surement allait-il écrire un nouveau roman, et peut-être allait-il nous parler de sa sexualité, de la montée de l’antisémitisme ou de l’approche de la guerre. Bref, j’étais impatient de retrouver sa clairvoyance et sa subtilité dans les vingt nouvelles années qu’il allait vivre en tant qu’écrivain enfin reconnu, vingt années au bout desquelles, enfin, je naitrai.

Les premières pages des Années retrouvées ne me déçurent pas, légèrement empreintes du style bien connu. Mais bien vite, je m’aperçus que le corps du texte consistait systématiquement en une accumulation de faits réels et de références aux amis, à la famille de Marcel Proust et aux lieux qu’il fréquentait, présentés avec un luxe de détails sans aucun doute véridiques tant l’auteur connait bien la vie et l’œuvre de son sujet, mais la plupart du temps hors de propos et sans réel intérêt. Déçu par cette approche, je calmai cependant mon impatience en tentant de me convaincre que l’auteur, dans les premières pages, souhaitait accrocher solidement la nouvelle vie de Proust à celle qu’il avait réellement vécue. Mais je me trompais, car le récit se poursuivait de la même manière et, comme je pu le vérifier par sondage dans les chapitres suivants, il en était ainsi jusqu’à la fin de l’ouvrage. Très vite, l’auteur abandonnait le style pastiché du début pour adopter celui d’une relation des petits faits de la vie de Proust qu’il inventait. Le style en était plat, factuel, énumératif, et l’intrigue sans imagination. On aurait dit un long article de Wikipédia.

Au chapitre V, l’auteur, qui suppose que Proust entre à l’Académie française, ne se donne même pas la peine d’écrire le discours que celui-ci aurait prononcé s’il avait été réellement élu et qui aurait été sans aucun doute un monument d’intelligence, de sensibilité, de culture et de subtilité. Écrire un discours de Proust ! Exercice périlleux il est vrai, mais de toute évidence inévitable dans un tel ouvrage. Au lieu de quoi on peut lire quelque chose comme ça :

Alors, de sa voix chantante, qui portait loin malgré sa douceur, Proust commença son discours – relayé en direct sur la TSF, à la longueur d’onde de 458 mètres, par l’école supérieure des PTT : c’était la première fois que l’on pouvait entendre l’écrivain à la radio.
Dans son éloge de Pierre loti, Proust souligna combien il était paradoxal qu’un homme qui avait si peu voyagé soit amené à évoquer le parcours d’un écrivain qui, lui, avait fait plusieurs fois le tour du globe. Proust rappela aussi que, s’il aimait la mer par-dessus tout, il n’avait jamais navigué plus de trois jours, en août 1904, entre Cherbourg et Guernesey, tandis que Loti avait peut-être passé le tiers de sa vie sur les océans. Après cette introduction, il expliqua combien, parmi les œuvres de l’écrivain voyageur, il admirait tout particulièrement le Roman d’un enfant…
(…) Proust conclut son discours, empli de circonvolutions et de remerciements appuyés, par une très poignante pensée pour ses parents. Regardant vers Germaine Amiot, il rappela l’origine provincial de son père (…)

Vous comprenez ma déception, à présent ?

Finalement, ces Années retrouvées sont sans intérêt aucun, que ce soit pour les historiens, puisque, vous l’avez compris, la biographie est inventée, ou pour les amoureux de la Recherche du Temps perdu, puisqu’on n’y trouve rien de ce qui fait le charme et la valeur de cet énorme roman.

Jusqu’à il y a peu, avant de me permettre d’écrire la Critique aisée d’un livre, j’avais pour règle de m’obliger à le lire jusqu’au bout. Mais depuis que j’ai découvert le monde étrange de la critique littéraire à travers le film de Xavier Giannoli Les Illusions perdues, je me suis pris à penser que j’étais bien bête de m’imposer ce carcan moral et qu’il était temps de m’en libérer. Vous avez là l’explication du caractère partiel — je n’ai pas dit partial -— de ma précédente critique,  celle du dernier Goncourt, La plus secrète mémoire des hommes.

Eh bien, aujourd’hui, avec Les années retrouvées de Marcel Proust, je m’autorise une nouvelle fois cette paresse d’arrêter là ma lecture.

Encore un mot, si vous le permettez, à l’attention personnelle de Monsieur Bujon de l’Estang : « En nous faisant cette recommandation, vous ne nous avez pas gâté, Monsieur l’Ambassadeur ! »

 

Une réflexion sur « Les années retrouvées de Marcel Proust – Critique aisée 229 »

  1. Comme quoi il faut se méfier de ses semblables, fussent-ils réfléchis, modérés, intelligents et distingués !

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