Dimanche à la mine de La Ricamarie

 1937

L’ingénieur principal divisionnaire du Montrambert, Henri Claveirole, est de garde ce dimanche. Un éboulement s’est produit durant la semaine dans un travers-banc, et des boiseurs sont descendus pour étayer le toit effondré.

Mon père veut se rendre compte de l’avancement des travaux, pour la reprise lundi de l’extraction en cet endroit, par plus de huit-cents mètres sous terre ; il me propose de l’accompagner pour me faire mieux connaitre la vie des mineurs de fond que nous côtoyons depuis notre première enfance et dont il parle avec respect et une certaine affection, comme sans doute à ses soldats de Verdun ; ces mineurs ne l’appellent-ils pas familièrement entre eux « le Capitaine » ?

Apres cinq minutes de marche depuis notre villa, sur les noirs trottoirs de la route nationale baptisée rue Gambetta, dans cette traversée ouvrière, après être passés devant l’épicerie universelle Charroit, le Café des Sports, « le Jardin d’en bas », quelques maisons de contremaîtres, avoir vu bien des casquettes se lever, nous arrivons « aux Bureaux ».

Mon père, pour m’initier à notre voyage sous terre, me montre sur un plan détaillé des galeries, l’endroit où nous allons. Je cherche à saisir à l’aplomb de quel point de la commune nous nous rendrons. Je suis surpris de voir que nous passerions sous la montagne, à l’endroit même où nous avons la jouissance d’un champ dit « des pommes de terre ».

C’est ensuite la cérémonie dite du « lavabo », dans un bâtiment où fument partout des jets de vapeur. Là, dans la cabine de mon père, un préposé m’affuble d’un bleu trop long et trop large, d’un grand manteau noir, d’un casque et de grosses chaussures.

Nous passons sous le « carreau » à la lampisterie.

Mon père reçoit réglementairement une lampe à pétrole qui a la vertu de pouvoir détecter le grisou ; je suis muni d’une lampe électrique de mineur ; je la trouve bien lourde et son crochet piquant.

Nous arrivons au puits de Vilaine, dont les roues, au sommet d’un haut chevalet métallique, sont impressionnantes. Ici, tout est couvert de poussière noire. Une cage arrive, nous y pénétrons après l’ouverture d’une porte bruyante. Puis, c’est la longue descente dans la nuit, à la seule lueur de nos lampes, sous les gouttes d’eau qui tombent du toit de la cage grinçante, secouée par ses guides, sous une chaleur humide grandissante.

Une lumière sous nos pieds laisse deviner notre terminus. Effectivement, assez brutalement, la cage ralentit puis s’arrête, comme emprisonnée dans des mâchoires de sécurité ; une grande galerie éclairée s’ouvre à nous ; nous sommes heureux de retrouver la terre ferme dans les entrailles de la vallée de l’Ondaine.

Mon père, pompeusement, compare le long carrefour bardé de cintres métalliques, au métro parisien ; ici, plus modestement court la petite voie étroite des bennes de charbon que tirent des chevaux.

Le long des murs latéraux soutenus par des palplanches blanchies à la chaux, s’écoule l’eau de ruissellement que des pompes remontent à la surface pour éviter l’inondation toujours menaçante.

Nous marchons d’un pas rythmé par le balancement des lampes dont les faisceaux découvrent de temps en temps une galerie latérale. Ce labyrinthe est creusé méthodiquement pour explorer les couches de charbon.

La vision de ces trous noirs, l’absence d’orientation, le silence nous imprègnent de mystère et donnent aux mineurs rencontrés un visage d’amis ; et pourtant, qui sont-ils ? Polonais, Marocains, fils de paysans de la Haute Loire, tous solides gaillards pudiquement habillés de la seule poussière de charbon, qui façonne sur des sillons de sueur, leurs muscles d’airain, comme n’oserait point le faire un sculpteur.

De leurs épaules pend chez certains une musette et un petit tonnelet de bois destiné à contenir la ration journalière de « pinard », carburant du mineur ricamandois. Chez d’autres, une corde de boiseur encercle les hanches nues ; cette corde de un mètre est là disponible pour toutes mesures ; c’est aussi le signe distinctif de ces professionnels. A chaque rencontre, c’est un « Bonjour, Monsieur l’Ingénieur ».

Parfois la lumière de nos lampes surprend les yeux d’un chat, hôtes abondants des lieux ; ils côtoient familièrement les mineurs à l’heure du casse-croute, puis disparaissent dans la nuit en quête de rats ; notre « minette » vient de là ; elle est remontée bébé chat dans la musette d’un contremaitre qui l’avait sélectionnée pour sa belle robe pie noire et sa grâce.

Nous faisons une courte halte à « l’écurie » où le dimanche, cinquante chevaux se reposent des efforts de la semaine à tirer les bennes. Une odeur de paille chaude fermentée, de crottin, familière, donne la sensation d’un havre de paix au milieu d’un monde hostile. Un bruit de sabot, le raclement d’une chaine, le hennissement d’un cheval, le juron d’un palefrenier, tels sont les échos sonores qui se perdent tandis que nous nous éloignons dans notre tunnel minéral et sévère.

Nous franchissons plusieurs portails de bois sur lesquels sont placés des caissons de sable ; ils ont un double rôle : diminuer les courants d’air dans les galeries et mettre en suspension du sable en cas de grisou, atténuant les risques d’explosion.

Nous arrivons près du lieu de l’éboulement, dans un boyau beaucoup plus étroit ; je reste assis sur un tas de poteaux de mine, au milieu du charbon luisant, en compagnie d’un contremaître, pendant la visite technique de l’ingénieur sur les lieux sinistrés où s’affaire une équipe de boiseurs.

Il fait très chaud ; on respire mal ; les hommes qui passent sont tous aux ordres ; on perçoit la solidarité du groupe d’intervention aux questions du contremaitre et aux réponses précises et sobres des ouvriers ; c’est la mine et son esprit de corps dont la leçon m’est resté écrite.

L’ingénieur revient : « tout va bien », dit-il, comme pour me rassurer ; demain, le travail ici reprendra normalement.

Nous retournons vers le puits ; les pieds sont lourds ; à l’approche du forage, la température se rafraîchit sous le courant d’air ; je renfile le manteau ; les lumières électriques qui éclairent les convois es bennes rappellent la vie de la surface.

Un mécanicien commande la descente de la cage qui va nous remonter ; nous voilà bientôt à la surface ; tout ébloui par le soleil, je songe à ces mineurs voués à l’obscurité et au charbon ; ils aiment pourtant leur dur métier qui les a intégrés à une communauté vivante et solidaire.

Après le dépôt des lampes, la séance aux « lavabos », le retour à la maison, resteront gravés ces souvenirs vécus de la vie dans la mine.

Quarante ans après, au titre de premier Maire Adjoint de la ville d’Aix, je visitais la mine de lignite de Gardanne, ultra moderne, les souvenirs descendaient avec moi dans « l’ascenseur », mais là, je trouvais le métro « Vincennes-Neuilly ».

Des excavateurs, des tapis roulants, des trains électriques ont remplacé le pic, les bennes, les chevaux, mais les hommes sont toujours motivés.

Hélas, le pétrole a tué le charbon qui ne se vend plus, et les mines de Gardanne fermeront comme celles du bassin de St-Etienne.

Tout est caduc, mon fils, mais pour les hommes, ce qui semble périr se change seulement.

Lucien Claveirole
1923-2006

4 réflexions sur « Dimanche à la mine de La Ricamarie »

  1. Merci monsieur larousse
    ceci dit ,c’est certainement le meilleur récit de mon sieur claveirole . De tous ceux que j ai lu bien entendu .

  2. Une très belle évocation.
    On y sent une grande affection pour ce monde si particulier, qui, de par sa situation « géographique », nous est si étranger; pour ces hommes qui triment si dur, et trimaient bien plus dur encore par le passé, avant les tapis roulants et les foreuses.

  3. Travers banc : Galerie de mine horizontale recoupant les différentes formations géologiques.
    Encyclopédie Coutheillas.

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