La Mitro 6 – Elzéar

6. Elzéar

Pendant que j’écoutais mon beau-frère me raconter son histoire, le soleil a tourné et les marches où je suis assis sont maintenant en plein soleil. Il est midi passé et je commence à avoir bien chaud sous le chapeau. Il y a un moment que Gérard s’est arrêté de raconter. Il faut que je rétablisse le contact.

          —Alors, elle est partie, comme ça ? Et toi, qu’est-ce que tu as fait ?

       —J’étais complètement épuisé. Je me suis allongé sur le lit et j’ai regardé le plafond pendant une heure, deux heures, je sais plus. Je réfléchissais. Bon sang, Elzéar, tu te rends compte ? C’est elle qui me fait cocu, et c’est elle qui me fait une scène, c’est elle qui s’en va ! Et moi, alors ? J’aurais pas le droit de me fâcher, de crier, de taper un peu même ? Mais j’ai pas eu le temps. Je me suis laissé embobiner par sa comédie. D’abord, c’est pas vrai, elle connaît pas l’ingénieur, et cinq minutes après, elle a couché avec la moitié de la ville ! La ville, elle est belle, la ville. Toute la ville au courant et pas un, pas une pour venir me dire de faire attention, de surveiller un peu Martine. Pas un seul ! Tu penses, c’était bien trop rigolo. Même pas toi, Elzéar. Tu ne m’as rien dit. Tu fais bien partie de cette bande de salauds, salaud !

Si je veux continuer à pouvoir discuter avec lui, il faut que je sorte le gros mensonge :

       —Ah mais, je te jure que j’étais pas au courant. Tu penses bien, je suis son frère. Alors, elle se cachait autant de moi que de toi. Non, non, je savais rien. Pas ça !

       —Ah bon ? Je croyais…

       —Pas ça, je te dis. Bon, et après tu as fait quoi ?

       —Je suis retourné chercher ma voiture. Je suis passé au bureau prendre mes deux sacs de gym et je suis parti à la vieille cimenterie. Depuis la fermeture, je fais de temps en temps des gardes à l’usine. Alors je connais bien les lieux. Ils ont laissé tout un stock de nitroglycérine. Ils s’en servait avant pour décolmater le four de temps en temps. C’est de la vieille, elle est plutôt instable. Alors, j’ai fait attention de tout bien emballer dans des vieux chiffons. J’ai roulé tout doucement jusqu’à la mairie. Je me suis garé sur la place. Comme je sais que tu n’es jamais là à l’heure de la partie, je me suis enfermé dans ton bureau. Et voilà.

       —Bon. Et maintenant, qu’est-ce que tu vas faire ?

       —Je sais pas trop…

Au bout de la rue du Béal, je vois le maire qui s’impatiente et qui me fait des grands signes interrogatifs. Je lui réponds par gestes que tout va bien, qu’il me faut encore un peu de temps, que je fais ce que je peux et je retourne à la négociation.

     —Il faut que tu sortes de là, que tu rentres chez toi, bien tranquillement et tout s’arrangera. Si tu sors pas dans les cinq minutes, ils vont découper la porte et t’emmener en prison, ou peut-être même te tirer dessus. Allez, sors !

        —S’ils touchent à la porte, tu peux leur dire que je fais tout sauter.

       —Mais enfin, bon sang de sort, on va pas rester comme ça jusqu’à la Toussaint. Dis-moi ce que tu veux !

       —Heu…Je sais pas…Je sais pas…Je veux qu’elle vienne. Voilà, c’est ça ! Je veux que Martine vienne ici.

       —Mais pourquoi faire ? Tu vas pas la taper, au moins ?

       —Non, mais je veux qu’elle vienne… Ou alors, je fais tout sauter.

       —Bon ! Reste tranquille. Elle va venir. Je vais la chercher. Ça prendra un peu de temps, mais elle va venir, je te promets. Mais, en attendant, ne fais pas de cagade. Je reviens.

Maintenant, il faut que j’aille expliquer tout ça au maire et que j’obtienne un peu plus de temps. Il grogne un peu, il me dit qu’il peut plus tenir les gendarmes, qu’il devrait téléphoner au Préfet, mais finalement, il me donne encore une petite heure. Je ne sais pas vraiment où elle est, ma sœur, mais je m’en doute un peu. Si ça se trouve, elle est au salon de coiffure en train de raconter tout ça à sa copine Marylin. En vrai, Marylin, elle s’appelle Maryvonne (elle est bretonne) mais elle trouve que pour une coiffeuse, Marylin, c’est mieux.

Le salon « Chez Marylin et Belinda », c’est loin , mais en courant un peu, j’y suis en cinq minutes. Effectivement, la ridicule petite voiture rose et blanche est garée juste devant, en plein sur la place « handicapés ». A l’intérieur, il y a Marylin, Belinda (Françoise), madame Lespina qui est sous le casque et Martine. Elles ont l’air de bien s’amuser toutes les quatre.

       —Martine, viens avec moi ! Maintenant ! C’est grave !

       —Qu’est-ce que tu veux, Elzéar ? Si c’est Gérard qui t’envoie, tu peux t’en retourner tout de suite et lui dire que je l’emmerde.

       —C’est pas lui qui m’envoie ! C’est le maire, c’est toute la ville, idiote ! Ton crétin de mari veut te voir illico ou il menace de se faire sauter à la dynamite !

       —Grand bien lui fasse !

     —Espèce de cagole, il y deux cents badauds autour qui risquent de sauter aussi. J’ai pas le temps de barjaquer. Alors, tu viens maintenant ? Ou je t’y traine par les cheveux ? Allez, zou !

Je m’avance, menaçant, en levant la main comme si j’allais lui mettre un pastisson. Je suis le frère ainé, quand même ! Impressionnée, elle baisse la tête et sors de la boutique devant moi.

Sur le chemin, je lui explique la situation tout en l’engueulant :

       —Que tu te fasses piquer un jour, c’était devenu inévitable, à force. Mais, Sainte Marie Bonne Mère, tu avais pas besoin de tout lui balancer ! En une seule fois, en plus ! Maintenant, il est complètement djobi ! On peut plus le tenir.

Depuis plus de deux heures que l’affaire a commencé, les nouvelles ont eu le temps de se préciser, et les gens savent maintenant à peu près à quoi s’en tenir sur ses tenants et ses aboutissants. Quand nous arrivons près de la mairie, il nous faut fendre la foule avant de parvenir à l’escalier. Au début, un quasi silence se fait sur notre passage. Pensez !  Deux des acteurs principaux du drame vont rejoindre le troisième. Ça force le respect. Et puis très vite, les murmures reprennent, et puis les rigolades, les plaisanteries. Quand ils en arrivent aux insultes, on a déjà franchi le barrage. Je m’arrête devant le maire et les gendarmes :

       —Vous voyez, ça avance. J’ai pu trouver ma sœur. Elle va lui parler. Elle va arranger les choses. Ça va aller maintenant.

Intérieurement, je ne vois pas du tout comment elle pourrait arranger les choses, mais, va savoir, avec les femmes !

       —Il me faut encore un peu de temps. Et surtout, ne bougez pas de là. Il doit parler seul à seul avec sa femme.

Tandis que Martine et moi, nous avançons vers l’escalier, je lui dis :

       —Bon, maintenant, tu as intérêt à le faire sortir sans bobo, sinon je te fiche la torgnole de ta vie, celle qu’il aurait dû te donner depuis longtemps. Raconte-lui ce que tu voudras, promets lui ce qu’il voudra, je m’en fiche, mais fais le sortir.

Elle ne dit rien. Elle se redresse, arrange ses cheveux, descend les huit marches et frappe doucement à la porte.

       —Gérard, c’est moi…

 A SUIVRE 

Le chapitre 7, « Félix », paraitra demain.

3 réflexions sur « La Mitro 6 – Elzéar »

  1. Une chatte façon pomponette viendra peut être dans la suite de ce roman? Pour aider ce couillon!!!!

  2. Sans aucun doute, mais l’aura-t-elle ? Rien n’est moins sûr !

  3. Encore un épisode des plus intéressants… Le frangin a raison, Martine a mérité une bonne râclée!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *