La Mitro 5 – Martine

5. Martine

On peut dire que je l’ai échappé belle ! Bon sang, ce que j’ai eu peur ! C’est la première fois qu’il me prenait sur le fait. Je n’en reviens pas d’avoir réussi à le retourner comme ça, aussi facilement. Bon ! Je vais aller faire un tour, acheter quelques trucs pour lui faire un déjeuner correct. J’ouvrirai une bouteille de rosé. Je mettrai la table avec des fleurs. J’essaierai d’être gentille et de rester tranquille quelques jours. La semaine prochaine, il n’y pensera plus.

Faut dire qu’il est pas malin, le Gérard. Regardez-le, là, affalé dans le fauteuil, cet imbécile heureux qui ne me quitte pas des yeux pendant que je m’habille. Faut dire que j’en rajoute un peu dans le striptease à l’envers. Vraiment, je me demande comment j’ai pu tomber sur un crétin pareil ? Enfin !…Y avait urgence, à l’époque. Mais, aujourd’hui, il y a des moments où je ne peux plus le supporter. Je lui en veux d’être aveugle, je lui en veux d’être soumis, je lui en veux d’être là, de faire tout ce que je demande, d’être incapable de gagner correctement sa vie, de me faire vivre dans ce pavillon minable cette petite vie minable.

J’ai dû en faire un peu trop dans ma séance d’habillage et je le vois qui commence à s’agiter dans son fauteuil. Il y a maintenant dans son regard une petite lueur qui ne trompe pas. Je vois le truc venir. La barbe ! Non mais, sans blague, je suis crevée, moi ! Et même s’il n’y avait pas eu la nuit dernière, j’aurais pas envie.

Voilà qu’il me frôle timidement la cuisse quand je passe à côté de lui pour aller au placard. Je fais semblant de rien. Au retour, il me prend carrément la taille et essaie de m’attirer sur ses genoux. Je m’esquive d’une torsion du buste et je m’écarte.

       —Non, Gérard, j’ai pas envie.

       —Allons, ma Bichette, sois gentille.

      —Non, Gérard. Je te dis que j’ai pas envie. Après la scène que tu m’as faite, pas question.

       —Mais enfin, Bichette, tu avoueras qu’il y avait de quoi se tromper.

Tout en parlant, il s’est levé. Il est maintenant derrière moi. Il m’a attrapée par un bras et m’attire vers lui.

       —Allez, viens.

Je sens la boucle de sa ceinture contre mon dos. De ma hanche, sa main passe sur mon ventre. Un frisson me passe alors dans tout le corps, mais ce n’est pas un frisson de désir. A partir de ce moment, je ne sais plus ce que je fais ; je ne me contrôle plus ; j’éclate ; je lui lâche tout en vrac.

       —Fiche moi la paix, Gérard. Je n’en peux plus. Je ne veux plus que tu me touches, jamais. J’en ai marre de toi, tu me dégoutes. Tu es un minable, un raté. Toute la ville se moque de toi, et toi tu crois que c’est à cause de ton accent. Pauvre imbécile ! On se moque de toi parce que tout le monde sait que tu es cocu, que je te trompe avec tous les hommes de la ville et aussi avec ceux de passage, enfin tous ceux qui veulent bien.

Il m’a lâchée et s’est figé debout au milieu de la chambre. Il a la bouche ouverte. Ses yeux sont largement ouverts, fixés sur moi.

       —Mon pauvre Gérard, je te trompe depuis le jour où tu m’as ramenée de Paris, quinze jours avant qu’on se marie. Ça a commencé avec Pétugue, sur la banquette arrière de ta voiture que tu lui avais donnée à réparer. Tout de suite après, ça a été nos deux témoins, en même temps, la veille de notre mariage.

En disant ça, je l’ai poussé légèrement du plat des deux mains au niveau de sa poitrine. Il est tombé assis au bord du lit, les épaules basses. Maintenant, il regarde ses chaussures. Et moi, je continue, comme une gourde, furieuse, incapable d’arrêter mon déballage.

       —Et toi, tu n’as rien vu, rien compris des allusions que ces crétins de ma famille ont fait pendant le déjeuner chez Fernand, après l’Eglise. Alors, j’ai continué. Le fils de Cormis, le directeur du Casino (pourquoi crois-tu que tu as le contrat de surveillance ?), Pascal Ceccaldi, le député quand il est passé pour sa campagne il y a trois ans, Joseph et toute sa triplette, le maire (deux ou trois fois seulement, le maire), Fernand du café des Sports (très régulièrement, lui) et des tas d’autres que tu ne connais même pas. Et encore d’autres que je sais plus leur nom. Et toi, tu ne voyais rien, rien de rien. En quelque sorte, tu m’encourageais.

Il a mis sa tête dans ses mains. Sans la relever, il demande :

       —Pourquoi ?

       —Pourquoi quoi ?

       —Pourquoi tu es allée avec tous ces types ? Tu n’es pas bien avec moi ? Je ne te donne pas tout ce que tu veux ? La moquette blanche, la baignoire à bulles, la Fiat 500 décapotable, la télé à écran large ? Pourquoi ?

Ma colère est retombée et c’est presque avec douceur que je lui dis :

       —Parce que tu es trop bête. Parce que ça m’amuse. …

       —Salope !

Ça faisait un bout de temps que je cherchais un prétexte pour me sortir de là. Je saute sur l’insulte.

       —Ah, Gérard, puisque tu me parles mal, je pars. Je vais à Marseille chez les Magnan. Ils m’aiment bien ceux-là. Ils me respectent, eux. Je ne sais pas quand je reviendrai. Je ne sais même pas si je vais revenir.

Tout en parlant, j’ai saisi ma petite valise rose à paillettes, je l’ai remplie de trois bricoles, j’ai attrapé mon sac en bas des escaliers et je suis sortie en claquant la porte. J’ai démarré en trombe ma petite Fiat 500 blanche et rose, et j’ai monté toutes les vitesses en faisant le double débrayage comme me l’avait appris Pétugue.

  A SUIVRE 

Le chapitre 6, « Elzéar » paraitra demain

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