Ne lisez jamais Proust! – Critique aisée n°7

Ne lisez jamais Proust!

Oui, je sais, vous avez déjà lu ça, ici même, le 25 janvier 2014. Mais le conseil est toujours d’actualité. Et puis, j’ai rajouté des illustrations.

En matière d’art, j’ai un principe qui est de considérer que, si tant de gens aiment des œuvres que je n’apprécie pas, c’est qu’il y a probablement plus de chances pour qu’ils aient raison et moi tort que l’inverse. Tant de personnes ne pouvant être tous des snobs ou tous des idiots, mon premier mouvement est de penser que c’est moi qui dois être un béotien.
De ce principe découle naturellement la volonté de tenter quelques raisonnables efforts  pour aimer et, pourquoi pas, comprendre (mais on peut aimer sans comprendre, une œuvre d’art, une femme, …) ce qui, jusqu’à présent, m’ennuyait ou même me faisait ricaner.
La croyance en ce principe n’est pas une preuve particulière de modestie et, beaucoup de mes amis vous le diront, cette qualité n’est pas plus développée chez moi que chez le premier imbécile venu. De plus, toute modestie mise à part, je crois pouvoir situer assez précisément et sans illusion mes limites intellectuelles.

Je me dois également de préciser que je n’applique pas  ce principe de généreuse ouverture à tous les arts ni à tous les artistes.
En premier lieu, j’ai exclu du champ de mon possible la musique, la danse,  la poésie et le théâtre. Non pas que je n’aime pas la musique, la danse, la poésie ou le théâtre, mais, dans ces domaines, mon choix est fait depuis longtemps, et trop d’expériences aventureuses se sont soldées par d’inoubliables soirées d’ennui. Pour le moment, et dans ces domaines culturels, je resterai encore un temps d’un conservatisme prudent en appliquant cet autre principe selon lequel « what you don’t know won’t hurt you », ce qui est une façon chic de dire que « ce que tu n’iras pas voir (ou entendre) ne te fera pas ch…. » .

Reste donc la littérature et la peinture, mais bien sûr, pas toute la littérature ni toute la peinture. En effet, et tout comme l’imbécile déjà cité, j’ai une idée personnelle et quasi définitive de ce qu’est le mauvais goût, et je ne souhaite pas évoluer sur ce sujet.

Ces préliminaires expliquent sans doute pourquoi je n’ai jusqu’à présent tenté réellement ces raisonnables efforts que sur un nombre restreint de sujets. Et là, j’ai connu quelques échecs. Parmi eux, par exemple, Montaigne et Saint Augustin, James Joyce et Umberto Eco, Francis Bacon et Andy Warhol.
Juste un mot sur Montaigne : la forme déjà me rebute, je n’arrive littéralement pas à saisir le sens de la phrase et je trouve que la ponctuation ne fait qu’ajouter à la confusion. Quand le sens apparait,  soit qu’on me l’ait expliqué soit que j’ai accompli quelque effort personnel, je ne vois la plupart du temps qu’angélisme et banalité, égoïsme et autosatisfaction. Je sais que je suis dans l’erreur, que c’est choquant, indéfendable. Mais pour moi, c’est comme la cuisine japonaise: j’ai goûté et ça va comme ça.

Par contre, j’ai eu quelques réussites, dont Homère, Shakespeare, Flaubert, Virgile, Yourcenar, et, surtout, ma dernière découverte, Proust.

Ah! La Recherche du temps perdu ! Tant de monde a lu ses trente premières pages, mais si peu les deux mille neuf cents dernières.

Jean Béraud – Une soirée – 1878

La Recherche, roman intense et distendu, habité de portraits cruels, drôles ou attendris de personnages à jamais disparus depuis cent ans, mais que vous pourrez retrouver par surprise à la croisée d’un diner pas trop intime et d’une humeur d’ethnologue.
Qui n’a pas rencontré de Cottard, de Basin, de Norpois, de Grand-Mère, de Françoise ? Qui n’a pas aimé puis détesté une Oriane de Guermantes ? Qui n’aurait pas voulu avoir pour ami un Swann ou un Saint-Loup ? Qui n’a pas frôlé une Albertine ?

Albertine Simonet

La Recherche, étude pointilliste d’une société extraordinairement inégalitaire mais totalement assumée et acceptée par les personnages mis en scène, quelles que soient leurs places sociales dans le roman.
Comment, aujourd’hui, ne pas être surpris, amusé et parfois choqué par les incommensurables fossés qui séparaient alors le grand monde de la bourgeoisie et la bourgeoisie du peuple, Charlus de Cottard, et Cottard d’André ?

Le Docteur Cottard

La Recherche, exposition de peintures de scènes immobiles ou animées, si romantiques, si fleuries et pourtant si précises et si réelles que l’on peut en entendre le fond sonore ou en sentir le parfum, si parfaites que l’on se demande pourquoi on n’a jamais rien lu de tel.
Comment mieux faire apparaitre le jeu d’un rayon du soleil sur le fer forgé d’un balcon ou les gerbes d’une fontaine au loin dans un jardin ?

 

La Raspelière

La Recherche possède également une caractéristique rarement appréciée de notre temps où règnent les tweets, les textos et les mails. C’est celle d’avoir du  temps, d’être interminable. Ce qui chez d’autres auteurs serait un grave défaut, est, chez le petit Marcel, une qualité majeure. Quand on est bien dans un roman, qu’y a-t-il de plus confortable et de plus rassurant que de ne pas en voir le bout : Chouette ! Encore mille deux cent cinquante-trois pages !

La Recherche présente pourtant un défaut : lorsque vous en sortirez, tout ébloui, vous mettrez beaucoup de temps à ré-accommoder votre vue sur le reste de la littérature.

Ne lisez jamais Proust !

 

 

 

15 réflexions sur « Ne lisez jamais Proust! – Critique aisée n°7 »

  1. Ça va prendre un peu de temps : j’ai 3 bouquins en cours : Le spleen de Paris (Baudelaire); Scoop (Evelyn Waugh); Grandeur et décadence de César Birotteau (Balzac) et en plus on vient de m’offrir un opavé de 500 pages : « La guerre de Troie a bien eu lieu…mais ailleurs » Selon la préface, ce serait en Angleterre… Bon, on verra ça, mais plus tard.

  2. Tiens, je pensais à peu près tout connaître de Rinaldi (en tous cas de ses exploits de plume), et « Torrent » fait partie de cet à-peu-près que je ne connais pas. Mais pas du tout, jamais entendu parler.
    Tu serais vachement sympa, Philippe, d’en rendre compte ici ou ailleurs. Après tout, il peut très bien faire l’objet d’une critique aisée et, ce qui serait un juste retour des choses, de se voir éreinter à son tour d’un coup de dague bien placé.
    Je n’en reviens pas : un tel puriste de la langue, oublié, disparu, mort avant d’être trépassé. Sombre vengeance…? Quelqu’un a-t-il acquis tous les exemplaires de ses ouvrages pour les désintégrer…? Je n’en serais pas plus étonné.

  3. Bon, Service de Presse épuisé, même à la Compagnie du Livre.
    Service absent également chez Gibert, de l’autre cité du Bd St Michel, mais trouvé un seul Rinaldi : « Torrent » bel exemplaire d’occasion pour 8,40€ seulement. Un cadeau !
    Quelqu’un connait ce livre ?

  4. Angelo Rinaldi : Service de Presse
    Commandé à l’instant dans ma librairie favorite : “la Compagnie “ en face du Balzar et du Champo. Patience …

  5. Rinaldi tirait en gros à 30.000 exemplaires et comme il le disait lui-même par dérision, il écrivait pour ses amis et sa concierge.
    Incroyable en effet de ne plus le trouver. Il n’était pourtant pas un écrivain confidentiel. Il a même terrorisé par ses critiques hebdomadaires le monde de l’édition, c’est dire ! Peut-être, à Paris, dans les librairies municipales… J’ai repris ce matin mon exemplaire des « Roses de Pline », pour voir s’il me faisait le même effet que jadis. Je rendrai compte, ici, de ses phrases interminables.
    Wikipedia donne un aperçu très correct de son oeuvre.

  6. Bon ! Librairie Fontaine Rue de Sèvres à Paris : pas de Rinaldi..
    Librairie Point Virgule à Aurillac : pas davantage.
    Incroyable !
    Il va falloir passer par Amazon !

  7. Bon! Je ne vais pas revenir sur le débat entre littérature et musique et lequel de ces arts est le plus propice à la conduite du récipiendaire là ou le créateur veut l’amener. Un extrait de Soumission de Houellebecq cité dans le JDC il y a quelque temps disait, sans dénigrer la musique, que la littérature était plus propice à cette conduite. Admettons! Mais je lis ici (ou relis) le conseil de Dussolier sur la lecture mainte fois conseillée, qu’il s’agisse de poésie ou de prose, à voix basse ou haute, pour en saisir toutes les nuances propices à l’émotion et à la réflexion. Et bien en matière de musique classique (je dis bien classique par opposition par exemple au jazz improvisé qui cherche à créer l’émotion au même titre que la peinture abstraite), c’est la même chose. Le musicien lit la partition et l’interpréte pour en traduire par le son toute l’histoire que le compositeur a voulu imprimer sur l’imagination de l’auditeur. Seuls le musicien, ou un musicologue, ou mieux encore un chef d’orchestre, peut crier au génie du compositeur à la lecture d’une partition pour un seul instrument ou pour un orchestre symphonique. J’étais hier au Musée de Rouen devant une grande peinture du 18ème montrant une vaste assemblée réunie dans un salon autour du lecteur d’une oeuvre littéraire.On aurait dit une salle concert, ou une salle de théâtre (écoutant les vers de Racine avec l’émotion créée par la musique d’une Sarah Bernard ou une Maria Casares). Comme le prescrivait ce cher Verlaine « de la musique avant toute chose »!

  8. Je crois que peu importe l’ordre, il écrit toujours la même chose, indéfiniment, comme tous les grands écrivains. En revanche, si tu pouvais te procurer ses critiques littéraires, commises dans l’Express notamment, dans les années 70, c’est quasiment la moitié de son oeuvre. D’une cruauté sans nom. J’ai perdu mon exemplaire, hélas, et je ne sais pas s’il fut réédité.

  9. Je ne connais Angelo Rinaldi que de nom. Je vais donc m’y mettre. Mais par où commencer ?

  10. Donc, j’y rajoute.
    Parce qu’il s’agit de l’écrivain qui m’a procuré, bien que tardivement – découragé en première lecture vers la vingtaine, je le redécouvris à la trentaine -, la plus grande jouissance littéraire au point de le reprendre plusieurs fois depuis, mais que l’on ne me demande pas pourquoi : seul le style, si évident, m’y ramena toujours. Et il se trouve que mon auteur préféré depuis, celui justement à qui l’on fait reproche de pasticher Proust, est Angelo Rinaldi. Je me souviens d’un temps où j’allais en librairie chercher mon Rinaldi : je retardais autant qu’il était possible le moment de le déballer, je lui lançais régulièrement, sur le siège voisin de voiture sur lequel je l’avais déposé, des oeillades gourmandes, et j’attendais parfois jusqu’à la frustration la plage de temps où je pourrais le déguster sans devoir en être tiré par un coïtus interruptus.
    Ah c’est que je n’ai pas la passion anodine moi, Monsieur !
    Idem avec la musique classique – et dans une moindre mesure le jazz new-Orleans, mais quand même. En revanche, la peinture, et en général les arts plastiques, ne m’ont jamais pourfendu de la moindre lueur, comprenne qui pourra. Je n’y accède que par l’explication d’autrui, par procuration. C’est toujours ça.
    En tous cas, bravo pour ton texte, si explicite.

  11. Les commentaires qui figurent ci-dessous sont ceux qui ont été faits à l’occasion la première publication il y a 4 ans. Rien ne vous empêche d’y ajouter le votre aujourd’hui.

  12. Tu m’as vraiment donné l’envie de le découvrir, ce que je vais faire et te donnerais mes impressions, à plus !!!!!

  13. Ardu et gonflé de s attaquer ainsi au petit Marcel comme si joliment nommé Mais une façon élégante de le descendre de son piédestal car il ne faut pas avoir peur de la rencontre avec l intelligence alliée au style ,à la sensibilité ,à l humour au sens de la formule
    Je conseille aux jeunes femmes de le lire enceinte c est ce que j ai fait .Pas de plus douce musique pour la précieuse couvade.

  14. Pour que tu ne passes pas à côté de celui que, dans le monde occidental, beaucoup considèrent comme le plus grand écrivain du siècle dernier sans avoir vraiment essayé, puis-je te donner deux conseils faciles ?
    1-Acheter en Poche : « Contre Sainte-Beuve » et en lire les 30 ou 40 premières pages. Tu y trouveras un échantillon assez représentatif des thèmes et du style de la Recherche, à part, si ma mémoire est bonne, les dialogues et scènes de salons. Ca, c’est le conseil que m’avait donné Sébastien et qui m’a fait tomber dans la Recherche.
    2-Prononcer à voix basse les lignes du petit Marcel, et tu verras que la complexité des phrases disparait et leur sens devient évident. Ce conseil avait été donné à la télévision par André Dussolier. Je l’ai suivi. C’est évident.
    Bon courage

  15. Malheureusement, si le sujet de À La recherche est intéressant, si les atmosphères sont si bien rendues que l’on a la nette impression d’y être soi-même plongé, je trouve néanmoins qu’il y a dans cette œuvre un verbiage fastidieux, qui fait que je n’ai jamais réussi à terminer le livre.
    Sans doute une tare littéraire de ma part…

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