Je reste ouvert

Récemment, rebondissant sur son texte « Un café ? Non merci ! » publié ici il y a un eu plus d’un an, Lorenzo a souhaité que « j’apporte un peu de contradiction à mon enthousiasme pour les cafés »

Étrange demande  que celle qui m’est faite de m’apporter à moi-même ma propre contradiction. Bien sûr, il m’arrive, à moi comme à d’autres, de dire tout et son contraire et même n’importe quoi, mais moi, quand je le fais, c’est involontaire et je préfère l’expliquer par mon manque de mémoire que par ma versatilité ou ma schizophrénie.

Dans le cas présent, celui des cafés, il m’est difficile de contredire aujourd’hui ce que j’ai clamé ici-même depuis dix ans,  qu’en ce qui me concerne,  les bistrots sont un lieu propice à l’observation et, surtout, à l’écriture.

Quand, par extraordinaire, des lecteurs veulent m’apporter la contradiction, ils peuvent le faire dans le JdC, de façon succincte dans un  commentaire, ou de façon plus développée dans un article qui, en général, sera publié dans les Rendez-vous à cinq heures. Mais moi, comment pourrais-je dans un commentaire ou dans un article plus développé dire le contraire de ce que j’aurais argumenté dans un article précédent ? 

Ceci dit, le courage aujourd’hui étant dans la nuance, je peux modérer et affirmer sans mentir que je n’aime pas tous les cafés. Et c’est le cas pour L’Écritoire de la place de la Sorbonne, qui fut, on se le rappelle, le premier café où Lorenzo mit un pied réticent l’année de son baccalauréat.  L’Écritoire, probablement le  bistrot plus lugubre du quartier, n’existait pas encore à l’époque où je suais et me faisais suer de l’autre coté du boulevard, au Lycée St-Louis. Mon café à moi, c’était Le Sorbonne, juste en face de la sortie de St-Louis. Il jouissait notamment du prestige d’avoir accueilli Alain Delon pour une scène de Faibles Femmes en 1958. Imaginez donc qu’il avait 23 ans et moi 16 !  À cette époque, un nouveau café ouvrit bientôt place de la Sorbonne, L’Escholier, à côté de l’actuel Écritoire. Il n’eut que rarement l’honneur de me voir pousser sa porte car il n’y avait pas de flipper. Le flipper, la babasse, c’était au Cujas que je pratiquais, le vrai Cujas, dans la rue du même nom, un peu plus haut que je ne l’ai situé dans mon bouquin. Passé en prépa, j’abandonnai Le Cujas et les flippers pour passer à La Paillotte, petit bar sombre de la rue Monsieur le Prince, connu pour sa belle collection de disques de Jazz, ses banquettes basses et ses bougies plantées dans des bouteilles de VAT69.

Mais, les cafés, contrairement à Lorenzo, j’avais commencé à les fréquenter bien plus tôt, dès la classe de seconde. Il y avait au carrefour du Boulevard Henri IV et du Boulevard Morland un  café-tabac qui faisait face à mon école d’alors. Il se nommait ‘Chez Vidal’. Il était équipé d’un flipper à cinq boules et à vingt francs la partie. La babasse claquait assez généreusement ses parties gratuites et ne tiltait que raisonnablement. Deux ou trois bons élèves demi-pensionnaires et moi, nous séchions la cantine pour venir manger des sandwiches jambon-beurre Chez Vidal en flippant comme des possédés. Aujourd’hui, le Vidal s’appelle Le Sully. C’est plus noble, mais il n’y a plus de flipper.

Le Sorbonne a fermé, inéluctablement remplacé par une boutique de fringues bon marché. Le Cujas a fermé, remplacé par une salle de projection privée, puis par un Pub à « ambiance rock » (sic)… L’Escholier a fermé à son tour, remplacé par un autre café, Les Patios. Ont fermé aussi mon coiffeur, juste en dessous du Lycée, le cinéma porno, remplacé par la boutique de disque de Gibert Joseph, Le Capoulade et Le Mahieux qui se faisaient face et concurrence rue Soufflot, remplacés l’un par un MacDo et l’autre par un Burger King, qui à leur tour se font face et concurrence. La Paillotte n’existe plus non plus, remplacée par un restaurant exotique. 

En fait, tout a fermé. Il n’y a que moi qui reste ouvert. 

Post Scriptum : pour faire valoir mon esprit de nuance, je précise que je viens d’écrire cet article ce 28 décembre entre 8h00 et 9h00 au café Le Sorbon, rue des Écoles, juste en face du Champollion et du Balzar. Je le connais ce café, j’y venais pour y prendre un café-croissant pré-sportif à l’heureux temps où je faisais semblant de faire de la Gym dans un club du Bd St-Germain. C’était le café où l’on pouvait trouver le garçon le plus désagréable au sud de La Seine. 
Ça l’est toujours. Ce n’est plus le même garçon, mais ça l’est toujours. 

11 réflexions sur « Je reste ouvert »

  1. Comme aime à le répéter Sainte Lariégeoise (je cite) : « Un peu de mauvaise Foi, ça aide à croire en l’Avenir », j’aurais aimé polémiquer aussi sur les juke-box, alias Babasses (rien à voir avec les Mamasses and the Papasses), mais ils avaient disparu à l’âge où je commençai à fréquenter ces lieux de perdition. Que Jim ne s’inquiète pas ! Nous ne nous chamaillons pas du tout, nous essayons d’animer la rubrique des lecteurs. D’ailleurs, ce ne serait pas malin de ma part de me chamailler avec Notre Seigneur le Rédacteur en Chef compte tenu des sommes importantes qu’il me doit.

  2. @Bruno
    ah! les cours séchés ! Les séances au Champollion, les bains de soleil au Luxembourg…
    Ce que l’Éducation Nationale à de meilleur à offrir…

  3. Pardon : le café de la rue Saint Guillaume s’appelait et s’appelle toujours « Le Basile ». Et la capitale de la Sologne s’écrit Romorantin ; on y chante « Dans le Loir et Cher ».

  4. Je ne suis pas amateur de cafés, n’ayant jamais brillé au flipper. Ils sont pour moi associés aux cours séchés au lycée Clemenceau de Reims, et à la culpabilité qui allait avec, puis au temps perdu dans les volutes, aux infâmes « saucisses frites » (une assiette et un demi partagés à deux, c’était déjà un luxe) du Saint Guillaume, que nous appelions Chez Blaise, entre deux cours de Sciences Po, aux errances provinciales, avant ou après une harassante plaidoirie devant un tribunal d’Instance de Saint-Omer, Yvetot, Alès ou Romonrantin. Pourtant, j’ai fréquenté l’Ecritoire, avant mes enseignements à la Sorbonne, où je relisais mes notes devant un mixte cornichon Vittel puis, deux heures et demi plus tard, me rafraîchissais la glotte avec un Perrier rondelle avant d’enfourcher mon scooter pour rejoindre mon cabinet rive droite. Oui, je confirme, c’était glauque ; mais rapide.Et utile.

  5. Ah les babasses…. que d’heures passées à tilter frénétiquement, fière de montrer à la bande de garçons avec qui je jouais que je les battais souvent….
    J’ai initié mon petit fils curieusement au Mont d’Arbois dans la salle de jeux d’une résidence : nous avons fini par attirer un public d’ados ébahis, sortis de leurs jeux vidéo….
    J’ai alors repris mon rôle de grand mère digne et ai arrêté de «  remettre une pièce dans la machine » comme disent les journalistes inspirés….
    mais ce fut un de ces moments où le temps se rétracte comme dans un trou noir …. j’avais encore 20 ans!

  6. C’est pas bientôt fini ces disputes de cour de récréation! Désolé, je blague, c’est le temps maussade qui veut ça, ou son contraire.
    Toute chose, toute passion, toute argumentation, se compense par son contraire, c’est la loi du pendule. C’est valable aussi pour tout homme comme l’a exprimé René Char, grand poète du siècle précédent:
    « N’étant jamais définitivement modelé, l’homme est receleur de son contraire ».

  7. « L’Écritoire, probablement le  bistrot plus lugubre du quartier, n’existait pas encore à l’époque où je suais et me faisais suer de l’autre coté du boulevard, au Lycée St-Louis »
    Tout a fermé de ce que je fréquentais, Le Sorbonne, le Cujas, la Paillotte. Je précise aussi pour éviter toute remarque aussi inutile que prévisible qu’a cette belle époque, le cinema du Boul’Mich’ n’était pas encore un cinema porno. Il ne l’est devenu que plus tard, quand la décadence a commencé avec l’afflux des boutiques de fringues, de fripes et de valises pas chères. J’ai oublié de signaler que la célèbre boutique de pipes « Au Caïd » a fini par fermer elle aussi, absorbée par une Monoprix. Bien que je ne fume plus depuis des années, ça m’a quand même touché.

  8. Mon café, ce serait plutôt son café, celui où il se rend tous les matins et parfois aussi l’après midi pour écrire. Quel grand écart entre mon propre malaise dans ces lieux anonymes et son bonheur à lui ! Il ne peut écrire que là et comme sa raison d’être est désormais l’écriture, il en profite. Je connais bien ses préférences mais pas ses motivations. Quel rapport y a-t-il entre le Rostand et la Crêperie ? Aucun, m’a-il répondu, sans développer. Constatation plus troublante encore, chaque fois que je vais le saluer dans un de ses cafés préférés, il n’y est pas. Mais où donc écrit-il ?

    Ecrire dans un café : Variante de l’écriture chez soi, le café fait partie des endroits inspirants. Vous vous donnez des airs d’intellectuel quand vous vous installez avec votre ordinateur sur une petite table. Vous tapez inlassablement sur votre clavier pour ne pas perdre le souffle de l’inspiration quand le serveur vous rappelle que le café va bientôt fermer. Et puis, on ne sait jamais, une discussion ou une rencontre inattendues peuvent inspirer de belles histoires ! Librinova.

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