Post it n°11 – Le téléski des Merles

Puisque, cette année, vous serez privés de sports d’hiver, voici un petit texte évocateur de moments privilégiés. Ça fait mal, hein ? 

Perdu dans un creux de neige, isolé de tout, le départ du téléski des Merles attend au soleil. Ce n’est pas une remontée fréquentée, une qui mènerait à une piste noire, avec un restaurant d’altitude chic et cher au sommet. C’est tout juste un téléski de liaison. D’ailleurs, quand on arrive en haut du mur qui le domine, il n’y a jamais personne. On entend à peine le bruit feutré du diesel qui, à cette altitude, s’essouffle un peu par manque d’oxygène. On ne voit que la dentelle métallique du premier pylône, émergeant du blanc absolu, avec au sommet cette roue qui semble tourner pour rien. Tout le reste est immobile. La neige est sans tache, le bleu profond, le silence presque absolu. On a l’impression que c’est l’heure de la sieste. Aux petits nuages de fumée grise qui en émanent et qui flottent un instant dans l’air pur immobile, on devine que la masse sombre qui est appuyée contre la dentelle noire est un homme. C’est le pisteur, le surveillant, le gardien de cette machine oubliée dans la neige. Les pieds au chaud dans des bottes qui débordent de fourrure, les mains dans les poches de sa combinaison officielle, la casquette à oreilles bien enfoncées par-dessus le casque Sony, il laisse passer la journée en pensant à ses vacances à lui, loin du froid.

Mais, au-dessus du dôme de neige, apparaît une perche  qui redescend en balançant doucement au soleil son disque de caoutchouc noir. Vigoureusement attrapée par la roue motrice, elle se balance plus fort et vient frapper la structure métallique qui sonne.

Tout reprend vie. On peut maintenant descendre sans crainte : on pourra remonter. On se lance dans la pente. En trois virages coulés sur la neige damée, on atteint le faux-plat, que l’on traverse sur l’élan en commençant à retirer un gant. Deux pas tournants et on est dans l’axe. On empoigne ses bâtons de la main gauche, on salue l’homme qui vous tend la perche et, du geste négligent de l’habitué sûr de lui, on l’enfourche comme une sorcière ferait de son balais. Une seconde plus tard, la perche s’est complètement déployée et le choc du départ vous arrache un grognement. teleskiMais, ça y est, on glisse, on monte vers le grand bleu. On se retourne et, comme le pilote qui s’envole d’un porte-avions lance un dernier coup d’œil aux techniciens de pont, on regarde derrière soi le petit homme emmitouflé qui diminue et disparaît.
Il arrive même qu’on se mette à chanter.

Crédit photo: Thomas

Le téléski des Merles se situe dans un coin reculé du domaine de Tignes, mais ça pourrait se passer n’importe où, pas vrai ? 

(première publication : 27 mai 2015)

4 réflexions sur « Post it n°11 – Le téléski des Merles »

  1. Tu avais consulte ta grenouille? Tu savais qu’on se réveillerait sous la neige?C’est cruel de nous rappeler les plaisirs interdits….
    Je lance un sos : suis je la seule à découvrir mon Coutheillas quotidien disparaître en spam?
    Je me suis réabonnée et hop ça recommence?
    Je ne suis quand même pas punie pour improductivité ?

  2. Jolie description. C’est tentant…. Surtout pour ceux qui n’ont jamais skié du tout.

  3. Très belle évocation, surtout pour ceux qui n’ont plus skier depuis longtemps.

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