Sacrée soirée ! (27)

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C’est vrai que nous étions beaucoup invités à la chasse chez Fernand. J’étais même étonné qu’Anne accepte d’y aller aussi souvent, elle qui, avant, détestait la campagne. Fernand, lui, il aurait bien voulu que je vienne chaque semaine, mais c’était parce que je lui donnais des conseils sur le gibier, sur la façon de placer les chasseurs ou de conduire les battues. Il m’arrivait même de lui donner des trucs pour améliorer son tir. Il était content ! Il me le disait : « Gérald, vous et votre épouse êtes vraiment indispensables à un bon weekend de chasse ». Il m’était aussi très reconnaissant d’avoir embauché son neveu, le petit Rajchman, pour me seconder au cabinet. C’est comme ça que nous étions devenus de vrais amis, Fernand et moi. Bien sûr, déjà à l’époque, je trouvais Renée un peu snob, mais quand même, j’aimais bien aller diner chez eux de temps en temps. Il y avait une sorte de complicité virile entre Fernand et moi, un peu comme si nous avions gardé les vaches ensemble. Et puis les deux femmes s’entendaient vraiment bien, ça faisait plaisir à voir. Bref, une vraie amitié entre couples comme on en voit peu.

Mais alors, pourquoi Anne invente-t-elle aujourd’hui toutes ces histoires de weekend de chasse et de ménage à trois. C’est ridicule, voyons ! Jamais Fernand n’aurait couché avec Anne. Je me souviens qu’il me disait : « La femme d’un ami, c’est chasse gardée. » Et puis Renée ! Avec Fernand et Anne ! Dans un lit ! Impossible ! Elle est bien trop snob. Anne me raconte des histoires ! Juste pour m’embêter, pour se venger de cette histoire de fleurs ou de je ne sais quoi d’autre. Les femmes, quand même… ! Ou alors, c’est pour rire, elle me fait marcher… C’est ça, elle me fait marcher. Elle a tout monté avec Charles, et ils me font marcher…

Mais Anne reprend :

— Bon ! Je vois que tu as réfléchi. Tu as compris maintenant ? Tout est clair ?

Tout est clair, mais j’en ai assez de me faire mener en bateau. Si ça continue, je vais finir par passer pour un imbécile. Je décide d’entrer dans le jeu. À malin, malin et demi, pas vrai ?

— Tout est clair, ma chérie. Ce que je me demande à présent, c’est si André a pris la place de Fernand dans votre trio.

Anne me regarde, stupéfaite :

— Alors là, Gérald, tu m’épates ! Tu prends plutôt bien les choses, à ce que je vois ! Tant mieux ! Je ne m’attendais vraiment pas à ça de ta part. Eh bien, non ! Sache que j’ignorais tout des cochonneries que pouvait faire Renée avec le jeune godelureau.

Puis se tournant vers Renée :

— Ma chère Renée, puisque que te voilà retombée dans ton vieux travers hétéro, tu comprendras que je mette un terme à notre relation. C’est dommage, on s’entendait bien… surtout depuis la mort de Fernand, je dois reconnaitre.  Enfin…

Anne prend un temps, se lève de sa chaise et dit d’un ton calme :

— Eh bien maintenant je vais partir.  Vous comprendrez que je me sente un peu lasse : ce n’est pas tous les jours qu’on quitte en même temps son mari et son amante. Gérald, je ne rentre pas à la maison. Tu seras gentil de demander à la bonne de me préparer deux ou trois valises avec mes affaires. Je passerai les prendre à l’appartement en fin de semaine. Je ne te dérangerai pas, je garde les clés encore quelques jours.

— Bon, Anne, maintenant, dis-je avec autorité en me levant de mon siège, la plaisanterie a assez duré. Va chercher ton manteau. J’appelle un taxi et on rentre. Merci Renée pour cette excellente soirée ; merci à vous Charles pour cette superbe idée de jeu ; nous avons bien ri ; et merci à vous tous d’y avoir participé avec tant de bonne volonté. En ce qui me concerne, je ne suis pas très doué pour ça, alors vous voudrez bien excuser le peu de part que j’y ai pris. Mais comme on dit, il n’est de bonne compagnie… Allez, Anne ! On y va, ma grande ! Dépêche-toi un peu !

C’est vrai, ça ! Il y a des moments où il faut être ferme avec les femmes, et avec la sienne en particulier. Parce que sans ça ! … De toute façon, elles préfèrent un type un peu autoritaire comme moi à n’importe quel mollasson du genre d’André par exemple. En tout cas, c’est ce qu’on dit.

Mais quand j’arrive à sa hauteur et que je vais pour lui prendre le bras pour la conduire vers la sortie, Anne se campe fermement sur ses deux jambes et, les poings posés sur ses hanches, elle me regarde d’un air effondré.

— Mais ce n’est pas possible ! Tu n’as toujours pas compris ! Je te quitte, Gérald. Tu comprends ça ? Je te quitte ! Je suis le conseil de Charles et je me barre ! Définitivement ! Je ne rentre pas à la maison, tu saisis ? Je ne veux plus te voir ! E finita la commedia ! Basta cosi !

— Mais enfin, pourquoi, ma chérie ?

— Mais parce que tu es cocu, Gérald, voilà pourquoi ! Tu vois, je ne peux plus supporter de vivre avec un cocu ! Alors je m’en vais ! Maintenant, tu me lâches le coude ou je crie. Merci… Par ailleurs, je te rappelle que pour appeler un taxi, il faudrait qu’il y ait du réseau, et du réseau, ça fait une heure qu’il n’y en a plus. Mais tu l’as oublié ça, n’est-ce pas ? Il faut dire qu’avec tout ce que tu viens d’apprendre ce soir, tu es excusable d’oublier des petits trucs comme ça.

J’ai un peu la tête qui tourne — un peu trop de bordeaux sans doute — et je voudrais bien trouver un siège où m’asseoir pour récupérer un peu, mais il n’y en a pas à l’horizon. J’aperçois à peine les visages des convives qui me regardent d’un air apitoyé. Ils sont tout flou comme si j’avais oublié de mettre mes lentilles de contact. La voix d’Anne me parvient encore, aussi assourdie que si j’avais oublié d’ôter mes boules Quies. Elle dit :

— Ah, Renée chérie ! Une dernière faveur, s’il te plaît. Tu me dois bien ça. Pourrais-tu m’indiquer un hôtel convenable dans le quartier ?

Je vois Renée, là-bas, tassée sur sa chaise, muette. Elle est en pleine contemplation, comme fascinée par le transistor qui trône toujours en haut du réfrigérateur. Tiens, on dirait qu’il a changé de registre, lui : maintenant, c’est une marche militaire qu’il nous assène.

— Non ? Bon, tant pis ! dit Anne en faisant demi-tour vers la salle à manger. Merci Renée, je me débrouillerai toute seule.

Au moment où elle va disparaître, voilà Kris qui se lève et se précipite à sa suite.

— Écoutez, Anne ! dit-elle. Si vous voulez, je serai très heureuse de pouvoir vous dépanner pour quelques jours. J’habite une grande maison du côté de Garches. J’y vis seule avec Marc-Antoine et un maître d’hôtel philippin très discret. J’ai cinq chambres d’amis, et pas d’amis. Vous êtes la bienvenue. Ce sera sans horaire, sans obligation aucune, le temps de vous remettre de tout ça, ou plus longtemps si vous le voulez. A cette heure-ci, trente minutes de taxi et nous y sommes. D’ailleurs, il n’est pas vraiment tard. On aura même le temps de revoir La Mort aux Trousses en buvant une petite Marie Brizard bien frappée devant un feu de cheminée. Je suis certaine d’avoir le DVD. Alors, vous êtes d’accord ?

Je n’entends pas la réponse d’Anne, mais ce que je vois, c’est que Kris la prend par la main et l’entraîne vers la salle à manger.

Mesdames et messieurs, veuillez écouter le Président de la République qui vous parle en direct du Palais de l’Élysée.

A SUIVRE

 

 

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