Chasseur blanc, cœur noir – Critique aisée n°218

Critique aisée 218

Chasseur blanc, cœur noir
Clint Eastwood – 1990

Je l’ai vu pour la première fois sur Arte, début septembre. A sa sortie en 1990, je l’avais royalement ignoré et depuis, j’avais  totalement oublié son existence. C’est en parlant des « Racines du ciel » qu’un ami l’a évoqué devant moi. Quand je l’ai vu programmé sur Arte, cette fois-ci, je ne l’ai pas manqué.

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que Clint Eastwood a réalisé plusieurs dizaines de films, dont presque autant de dizaines ont connu un très grand succès populaire. Mais Chasseur blanc, Coeur noir, est, je crois, le film d’Eastwood qui a perdu le plus d’argent (budget 24 millions, recettes 2 millions). Bon, et alors ?

Depuis cette vision tardive, Chasseur blanc, Coeur noir est devenu pour moi l’un de ses trois ou quatre meilleurs films, avec Minuit dans le jardin du bien et du mal et La Mule.

Ce que j’aime dans ces trois films, c’est leur originalité, leur non-conformisme. Mais attention ! Pour moi, non-conformisme ne veut pas dire anti-conformisme. L’anti-conformisme, en général affiché, revêt un aspect de volontarisme sinon de velléité. Il est souvent artificiel, forcé. Vous savez, un truc du genre « À l’attention de Télérama : j’ai fait un film anti-conformiste a) dans la forme afin de renverser les vieilles idoles du cinéma hollywoodien et b) dans le fond afin de protester contre les injustices d’une société qui m’a permis de réaliser ce film. Merci de le signaler à vos lecteurs. Signé : le Réalisateur« 

Au contraire, le non-conformisme d’Eastwood est totalement naturel, plutôt du genre : « Je vous raconte une histoire qui m’a intéressé dans la forme directe que j’aime. Ne comptez pas sur moi pour pratiquer les détours obligatoires et les figures imposées par la ‘correctitude’ du cinéma froid de démonstration. Et si ça ne vous plaît pas, c’est bien dommage, mais c’est comme ça…  » Il y a d’ailleurs dans le film, une très jolie tirade en défense du cinéma hollywoodien, tout à fait à contre-courant de la bien-pensance cinématographique.

Quand, à cette originalité, vient s’ajouter la technique du réalisateur, le choix des acteurs, leur direction et le jeu d’Eastwood lui-même, on a devant soi du vrai cinéma.

Un autre intérêt de ce film, c’est qu’il a pour cadre la préparation et le tournage difficiles d’un chef d’œuvre de John Houston, African Queen. L’Afrique, le fleuve, le lac, les indigènes, le bateau, l’alcool, l’obsession de l’éléphant… tout y est.  Bien sûr, dans les acteurs du film, on reconnaîtra la silhouette de Katharine Hepburn, la lassitude d’Humphrey Bogart, la dégaine de John Houston… Mais finalement, peu importe, car pour moi, cet intérêt demeure secondaire : c’est le traitement du personnage du réalisateur qu’incarne Clint Eastwood qui importe.

Réalisateur vénéré, revenu de tout y compris de la réalisation, truculent, buveur, insolent, redresseur de torts, tyrannique, à ce stade avancé de sa longue carrière, John Wilson n’a plus qu’une idée, tuer le grand éléphant. Et c’est dans ce but qu’il entreprend de tourner son prochain film en Afrique, et qu’à chaque occasion, il fait passer son obsession avant la réalisation du film.

Quand son ami le scénariste, dans une tirade digne des Racines du Ciel, lui reproche de vouloir commettre le crime de tuer l’animal le plus noble de la terre, Wilson lui répond en substance : « Tuer un éléphant, ce n’est pas un crime… c’est plus que ça… c’est un péché… »

Un film puissant, intelligent, surprenant… Et méconnu, aussi.

 

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