Sacrée soirée ! (18)

 18

— Et qu’est-ce que vous proposez, Charles ? Un jeu ? demande Renée prête à beaucoup de choses pour sauver sa soirée.

— Oui, un jeu… C’est une bonne idée, dit Longchamp. Pourquoi pas un jeu de rôle ?

— Pourquoi pas ? approuve Charles. Ou alors un jeu littéraire. Qu’est-ce que vous en pensez, Gérald ?

— Oh, moi, les jeux, vous savez…

— Ne vous occupez pas de lui, dit Anne. C’est un perpétuel rabat-joie. Kris ? Ça vous amuserait de jouer avec moi, je veux

dire avec nous ? Moi je serais d’accord pour un jeu de rôle. Tenez, j’ai une idée : on pourrait s’amuser à rejouer les grandes scènes de cinéma. Quai des Brumes, Les Tontons Flingueurs, Le Père Noël est une ordure…  La Mort aux Trousses, par exemple. Vous vous souvenez de La Mort aux Trousses, bien sûr. Et la scène du wagon restaurant entre Cary Grant et Eva Mary Saint, vous vous en souvenez ? Kris, vous pourriez être Cary Grant et moi, Eva Mary Saint.

Mais qu’est-ce qui lui prend, à Anne ? Ma parole, elle est cinglée. La scène en question, je m‘en souviens très bien — on a revu le film ensemble sur Arte il n’y a pas quinze jours — c’est une scène de séduction où les deux acteurs restent parfaitement flegmatiques de part et d’autre d’une table de wagon restaurant, mais dans laquelle les dialogues, tous à double sens, sont d’un érotisme incroyable. Et elle voudrait jouer ça avec la baudruche ? Décidemment, je n’y comprends plus grand-chose, à ma charmante épouse.

— Alors Kris ? insiste Anne en se levant de sa chaise. Vous êtes d’accord ? Ce serait amusant…

— Écoutez, Anne, bien que vous soyez brune, je vous vois très bien en Eva Mary Saint. Mais, franchement… moi en Cary Grant ? Regardez-moi un peu… Cary Grant… l’homme le plus beau et le plus élégant de son époque… Non, vraiment…

— Vous savez qu’il était de la jaquette ?

J’ai tenu à apporter cette précision parce que, d’accord il était beau mec, mais ça n’empêche pas qu’il en était… alors, Cary Grant, hein…

—  Gérald, tu ne peux pas dire homosexuel, comme tout le monde ? De la jaquette, a-t-on idée ? Mais dans quel siècle vis-tu, mon pauvre ami ? Et puis que Cary Grant ait été homo ou pas, on s’en fout. Au contraire, ce serait encore plus amusant de le faire interpréter par une femme. Vous ne trouvez pas, Kris ?

— Ne m’en veuillez pas, Anne. J’adorerais vous séduire, mais moi dans la peau de Cary Grant, ça ne serait pas vraisemblable… Et puis je n’ai aucun talent pour la comédie… Désolée…

Anne se rassied, boudeuse.

— Dommage, dit-elle.

— Mais moi, je veux bien, moi. Je veux bien faire Cary Grant, moi !

C’est Renée qui s’agite sur sa chaise en levant le doigt comme si elle était à l’école.  Mais Anne, fermée, laisse tomber :

— Je n’ai plus envie.

Renée baisse la tête, vexée. C’est bizarre quand même. Je ne sais pas pourquoi, mais tout ça me laisse une drôle d’impression, une sorte de malaise.

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