Les dames de Vichy

Publié il y a sept ans, vous n’avez surement pas oublié le récit de mon court séjour à Vichy.

Vichy, novembre 1996

Il y a longtemps, c’était un grand hôtel luxueux. Il avait même été fréquenté par la cour de Napoléon III. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un trois étoiles.

Dans l’immense salle à manger toute blanche, il n’y a que de petites tables, pour une ou deux personnes. L’alignement est impeccable : rangées de dix tables dans la largeur de la salle et de douze tables dans la longueur, cent vingt tables au total.

Il est 19 heures 15, l’heure de l’unique service du diner. Une douzaine de tables seulement sont occupées, toutes par des dames seules et âgées. Elles sont venues en cure. Seule à table, chacune fait face au côté de la salle d’où viennent les garçons chargés de plats. Le silence règne, troublé  parfois par le choc d’un couteau sur une assiette. Toutes les tables qui sont occupées le sont par des femmes, toutes sauf une. Un homme est arrivé avec quelques minutes de retard. Il a une cinquantaine d’années. Guidé par un maître d’hôtel mince et pâle, il est placé à la droite de la table d’une dame seule.  Elle a relevé sa voilette pour diner. Elle paraît encore plus âgée que les autres. Comme tous les pensionnaires, l’homme fait face au mur du fond. A la table qui est devant la sienne, une autre femme seule lui tourne le dos. Il a apporté un magazine et se donne la contenance de le feuilleter en attendant le consommé. Un article concerne le film tiré de Gatsby le Magnifique. La couverture du magazine lui est consacrée.

La dame à la voilette dit :

— Ah, monsieur, cet hôtel est bien triste aujourd’hui. Je l’ai connu longtemps avant-guerre au temps de sa splendeur. Nous y venions, mon mari et moi, passer quelques semaines au printemps quand nous revenions de notre propriété de Cannes où nous passions l’hiver.

Poli, l’homme répond :

— Effectivement, Madame, ce devait être très agréable à cette époque.

— Vous n’imaginez pas, Monsieur. C’était merveilleux, les promenades dans la campagne autour de Vichy en Hispano-Suiza, conduits par Martial, notre chauffeur…

— Vous aviez une Hispano! Quelle belle voiture c’était !

— Après les concerts, qui avaient lieu presque chaque soir, nous allions au casino jusqu’au petit matin. Charles, mon mari, adorait le baccarat. Il en a perdu des sommes! C’en était ridicule !

— Je crois que le casino a fermé il y a plusieurs années.

— Pas véritablement, mais il n’y a plus que des machines à sous. On ne sait plus s’amuser aujourd’hui. Nous, nous savions. Une fois par semaine, dans notre suite, nous recevions nos amis, des artistes, des hommes politiques. On se déguisait, on riait beaucoup. Tout ça c’est fini. Enfin, il faut se faire une raison…Bien, je vais maintenant vous laisser, car mon médecin m’ordonne de me coucher de bonne heure. J’espère vous revoir demain soir, au diner.

— Je suis navré madame. Mais je pars demain matin de bonne heure pour Clermont-Ferrand. J’aurais été ravi, mais…

— Comme c’est dommage! J’avais encore tant de choses à vous raconter, nos promenades à cheval avec l’ambassadeur d’Angleterre,  nos parties de tennis avec le préfet… Enfin, tant pis ! Alors, adieu et bonsoir, cher Monsieur.

Elle se lève et s’éloigne lentement entre les tables. L’homme reprend son magazine.

La dame qui occupait la table devant lui vient de finir de diner. Elle se lève. Elle se retourne vers l’homme et, en pliant sa serviette, elle dit :

— Monsieur ! Ne croyez pas un mot de ce que Madeleine raconte. Elle est complètement folle !

 

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