Sacrée soirée ! (5)

5

Mais on sonne à la porte. Françoise qui avait approché du canapé la table à roulettes chargée des apéritifs a dû repartir à l’office. Alors Renée s’agite :

— Charles, veux-tu faire l’homme de la maison et servir les apéritifs. Il faut que j’aille ouvrir. Parce que le temps que Françoise… mais tu es au courant, que je suis bête !

Ravi de justifier son existence, Charles quitte la fenêtre et se précipite vers la table roulante.

— Mesdames, que puis-je vous servir ? Marcelle, qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? Champagne ? Whisky ? Porto ? Et s’il vous plait, ne me demandez pas un Spritz ! Vous savez que c’est une folie en ce moment ! On dit que c’est un peu aphrodisiaque ! Ah ! Ah ! Si, si, je vous assure. Mais je serais bien en peine de vous le préparer. Champagne ? Ah ! J’aime mieux ça. Et vous, Anne ? Champagne aussi ? Parfait. Voici ! Et vous, Gérard ? Un whisky ? On the rocks, bien sûr ? Non ? Avec une larme de Perrier ? Ah je crains que… Non, je n’en vois pas. Désolé ! À l’eau plate alors ? Ne bougez surtout pas, je vous l’apporte…

Et il parle, et il virevolte, et il se penche par-dessus l’épaule des femmes et il fait des grands gestes en manipulant verres et bouteilles, tout sourire et rond de jambes ! Un cigare en plus et vingt-cinq kilos en moins et on jurerait Groucho Marx dans Une nuit à l’Opéra en train de séduire une veuve fortunée. C’en est gênant. Et cette façon désinvolte d’écorcher mon nom à chaque occasion… « Marcelle, qu’est -ce qui vous ferait plaisir ? » Quelles simagrées ! Ces couples qui se vouvoient, moi je trouve ça ridicule. Ou alors, il faut porter un nom à tiroirs. Là, c’est acceptable. Sans ça, c’est ridicule. Tiens ! On va s’amuser un peu ; je vais le travailler là-dessus.

—Merci, lui dis-je en prenant le verre qu’il m’apporte. Dites-moi, cher ami, on sent chez vous cette aisance de l’aristocrate, cette élégance du beau monde. Vous en êtes sans doute ?

— Si j’en suis ? Mais de quoi donc ?

— Mais, de l’aristocratie. Moi-même, j’ai un peu de sang bleu. Oh ! très peu, mais un peu quand même…

— Eh bien, moi, pas le moins du monde, me répond Charles, rigolard. Je suis né dans un coron à Hénin-Liétard. Mon père et mon grand-père étaient mineurs de fond.

— J’aurais bien cru pourtant… votre style… et puis vous vouvoyez votre épouse…

— Mon épouse ?  Je ne suis pas marié !

— Mais la dame avec qui vous êtes arrivé tout à l’heure, ce n’est pas votre femme ?

— La maire d’Antony ou de je ne sais où, là ? Miss Frigidaire 1950 ? Mais vous rêvez, Gérard ! Vous avez vu le morceau ? On dirait une stalactite. Ma femme, ça ? Non, non, nous nous sommes rencontrés en bas. Dites-moi Gérard, la psychologie, ce n’est pas votre truc, hein ?

— Gérald, je m’appelle Gérald. Pourquoi est-ce que vous vous entêtez à m’appeler Gérard ?

— Je ne sais pas. Peut-être que vous avez une tête à vous appeler Gérard…

Et sans me laisser le temps de lui lancer une réplique définitive, il me plante là pour retourner vers la table à apéritifs.

—Eh bien, voilà une bonne de chose de faite : Gérald est servi ! claironne-t-il et, poursuivant son rôle de d’hôte remplaçant : quant à Renée, je sais qu’elle adore le champagne. Et moi aussi. Tout le monde a son verre ? Parfait !

A SUIVRE

Bientôt publié
30 Août, 07:47 Esprit d’escalier n°21
31 Août, 07:47 Le Cujas, c’est fini. Mais…
1 Sep, 07:47 Sacrée soirée ! (6)
2 Sep, 07:47 Bayou sur Marne

4 réflexions sur « Sacrée soirée ! (5) »

  1.  » comment vas tu “sauver” Marcelle? »
    Le mérite-t-elle seulement ?
    Et le gros con n’est pas toujours celui qu’on pense.

  2. Ah ah  » ces couples qui se vouvoient…. »!
    Le Charles, visiblement, c’est la muleta de la soirée : quintessence du gros con… mais bien sûr, c’est une fiction , et toute ressemblance et bla bla bla….N’empêche ça sent le vécu !!!
    En tout cas quel goujat…. comment vas tu « sauver » Marcelle?
    car la révolte des perruches va bien advenir non?

  3. Mais c’est bien sûr! Maintenant que Groucho Charles a troqué le L qui faisait la fierté de son nom par un R, un air vulgaire, Gérard est d’humeur guerrière, son sang bleu de Prusse ne fait qu’un tour, il est sur le pied de guerre près à charger l’ennemi tel un uhlan enragé, car comme le disait doctement Mirabeau qui s’y connaissait en matière de prussiens « la guerre est l’industrie nationale de la Prusse » *.
    *La monarchie prussienne sous Frédéric le Grand, 1788.

  4. Gérard, du sang bleu? Mais lequel? Bleu ciel? Marine? Turquoise,? Cobalt? Indigo? Ah, je sais: de Prusse probablement!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *