Sacrée soirée ! (3)

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Je viens de sonner à la porte de l’appartement et, Anne et moi, nous attendons en vérifiant l’état de nos chaussures que l’on vienne nous ouvrir, quand tout à coup :

Meeerde ! Tu as oublié les fleurs dans le taxi !

Anne a réussi à crier son accusation tout en la chuchotant. Crier en chuchotant est un exercice difficile mais elle le pratique avec aisance. C’est sur le même ton, car j’ai beaucoup appris d’elle dans cette technique d’agressivité, que je proteste :

TU as oublié… ! Tu es gonflée, quand même ! TU les as oubliées autant que moi, il me semble ? Et puis, ne dis pas merde comme ça tout le temps. Chez une femme, ça fait vulgaire.

— Merde, merde et merde ! Sans vouloir être vulgaire : tu me fais chier, Gérald, chuchote-t-elle furieusement, puis, dans la foulée, mais sur un ton beaucoup plus mondain : Oh ! Bonsoir ma chérie ! C’est nous ! Nous ne sommes pas trop en retard ?

Renée venait de nous ouvrir la porte.

— Bonsoir Anne, bonsoir Gérald. Pas du tout, vous êtes les premiers. La circulation doit être monstrueuse ce soir, tout le monde est en retard. Entrez donc !

Tandis que je laisse passer Anne devant moi pour entrer dans l’appartement, elle en profite pour lancer perfidement :

— Gérald a oublié mes fleurs dans le taxi : un très joli bouquet de chez Morelli. On ne peut vraiment pas faire confiance aux hommes pour ces choses-là.

Elle lève les yeux au ciel puis elle soupire avec affectation :

— Pour le reste non plus, d’ailleurs…

—Ce n’est pas grave, ma chérie, dit Renée en souriant. L’essentiel, c’est que vous soyez là.

Tout en échangeant ces politesses, Renée nous a conduit jusqu’au salon. Comme à l’habitude, la pièce n’est éclairée que par quelques lampes dispersées ici et là, sur une commode, un bureau, un guéridon et par les minuscules projecteurs qui éclairent discrètement les tableaux accrochés aux murs. Ce faible éclairage fait naturellement ressortir la lumière qui vient de l’extérieur et, du même coup, la vue magnifique que l’on a des fenêtres sur les arbres du jardin et les immeubles de la place. Je sais par expérience que nous allons rester dans cette demi-pénombre jusqu’à ce que les derniers arrivés aient achevé de s’extasier. Alors Renée s’écriera :

— Mais on n’y voit rien, ici. Françoise, voulez-vous allumer quelques lumières, s’il vous plait ?

Et Françoise, la vieille bonne, glissera le long des murs et des canapés pour allumer lustres et lampadaires. C’est à chaque fois comme ça. C’est le jeu.

Anne et Renée s’asseyent côte à côte sur l’un des deux grands canapés de velours grenat qui se font face de part et d’autre de la cheminée où crépitent quelques bûches, tandis que, une main dans une poche de veste, élégant et décontracté, je glisse entre les sièges et les tables basses pour m’approcher d’une fenêtre et affirmer comme une fatalité :

— À chaque fois que j’entre ici, je suis toujours aussi époustouflé par la vue que l’on a de chez vous, ma chère Renée. C’est unique !

—Oui, c’est agréable…

Elle a dit cela comme si disposer de cette vue exceptionnelle sur une des plus belles places de Paris était aussi naturel que d’avoir le téléphone ou l’eau courante. Quelle snob !…

— Dites-moi, vous avez écouté le Président ? poursuit-elle. Moi, je n’ai pas pu, les préparatifs du diner, vous comprenez… Ah ! On a sonné. Pardonnez-moi de vous laisser seuls un instant, il faut que j’aille ouvrir à mes invités. Quand je laisse Françoise le faire — la pauvre ! Vous avez vu dans quel état elle est ? Mais je ne me résous pas à la remplacer — je crains toujours que, le temps qu’elle n’arrive à la porte, ils ne soient déjà repartis. Ah ! Ah !

— Ah ! Ah ! fait Anne en écho.

Nous sommes seuls tous les deux dans le salon. Anne en profite pour me singer à nouveau :

A chaque fois que j’entre ici, gnagnagna… c’est unique, ma chère Renée, gnagnagna… Non mais, tu t’es entendu, mon pauvre Gérald ? Un peu de naturel s’il te plait ! On n’est pas à Buckingham quand même !

— Ça, c’est certain ! Parce qu’avec tes meeerde ! et tes tu me fais chier !, ça m’aurait étonné qu’on t’ait laissée entrer.

Et j’ajoute in petto : « Et vlan ! »

A SUIVRE

 

14 réflexions sur « Sacrée soirée ! (3) »

  1. Et de treize à table! La coccinelle grimpe toujours et les paris sont maintenant ouverts: que va-t-il advenir de Gérald, va-t-il pété les plombs? Cliquez la case au-dessous [oui] ou [non], ou par sms au 7737 puis touché 1 pour oui ou 2 pour non. Et après la case [robot?]. En êtes-vous sûr?

  2. Une dinamique décidément, provoquante au vue des commentaires. Pas si éloigné de la réalité que le prétend Lorenzo. Ne pas oublier que comparaison n’est pas raison et de ne rien prendre pour personelle, ou on perd son aile. La précision de Philippe semble bien le démonter.

  3. Le nombre de réflexions s’élèvera à 12 avec la mienne de ce matin. Aller l’auteur! Continuons vers un sommet à jamais inatteignable.

  4. Le narrateur et l’auteur racontent ce qu’ils veulent, c’est leur droit exorbitant mais je l’accepte.
    Il n’empêche que je préfère dire et redire que ce qu’ils racontent n’a rien à voir avec la réalité. D’ailleurs, la soirée en question, à des années-lumières au dessus de la tienne en distinction, moi-aussi je vais vous la narrer.
    Na !

  5. merci Jim !

    A ce propos, que, lorsqu’ils envoient leur commentaire, les commentateurs n’oublient pas de cocher les cases
    « Prévenez-moi de tous les nouveaux commentaires par e-mail. »
    et
    « Prévenez-moi de tous les nouveaux articles par e-mail. »

  6. Après ces règlements de compte entre les héros de l’histoire Anne et Renée, l’auteur et les lecteurs par commentaires interposés, j’ai hâte en effet de lire la suite, l’histoire ainsi que les commentaires que je lis toujours avec beaucoup d’intérêt.

  7. @Lorenzo
    « En dehors du titre, il n’y a aucun rapport avec la soirée dont je t’avais parlé. »
    Mais la soirée est loin d’être finie. Patience!…

  8. Ben oui c’est ce qu’on aime chez lui , ce côté old scool!
    La place , c’eût pu être celle du Panthéon!
    Au fait , le fin du fin ,c’était de faire livrer les fleurs avant dîner : ça évitait de se retrouver avec trois bouquets en attente de vase dans l’évier… expérience vécue !!!!

  9. @Lariegeoise et @Lorenzo
    C’est une erreur commune que de confondre le point de vue du narrateur et celui de l’auteur.
    Gérald, le narrateur, se fout bien du politiquement correct !
    L’auteur aussi, d’ailleurs…

  10. Je ne sais comment je dois prendre le fait d’être (un peu, très peu, même) à l’origine de cette nouvelle d’une misogynie inimaginable ? En dehors du titre, il n’y a aucun rapport avec la soirée dont je t’avais parlé.
    PS : je tiens à rétablir la vérité aux yeux des lecteurs.

  11. Merci, Lariegeoise, c’est le but. Mais une précision, l’appartement de Renée se situe Place des Vosges, dans les 3ème et 4ème arrdt.

  12. Bon ça se corse et ma soeur Anne, en reprend plein la figure….
    Ah c’est magique cette plongée dans un intérieur bourgeois du 5 eme arrondissement car dans le 16 , place du Trocadéro , avec vue, il n’y a que le musée!!!
    Pas de livres , des tableaux , sans doute des Buffet ou dès litho de Mathieu,normal!
    Anne se rebiffe et si je comprends bien suggère une certaine défaillance de son dandy de mari….
    Qui voussoie Renée, snob qu’il est!
    Et la bonne , quel plaisir de retrouver cette expression prohibée … saveur de l’interdit par le PC( politiquement correct)
    Oui à suivre….

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