24 août 79

C’est un morceau choisi plus long que d’habitude… mais comment et où couper cette fantastique description de l’éruption du Vésuve qui détruisit Pompéi il y a  exactement 1942 ans.
C’est Pline le Jeune qui raconte. Lors des événements, il a 18 ans. L’oncle dont il raconte la mort dans le deuxième lettre, c’est Pline l’Ancien, philosophe et naturaliste romain.

Lettre 1 de Pline le Jeune à Tacite

Après que mon oncle fut parti, je continuai l’étude qui m’avait empêché de le suivre. Je pris le bain, je soupai, je me couchai et dormis peu, et d’un sommeil fort interrompu. Pendant plusieurs jours, un tremblement de terre s’était fait sentir, et nous avait d’autant moins étonnés, que les bourgades et même les villes de la Campanie y sont fort sujettes. il redoubla pendant cette nuit avec tant de violence, qu’on eût dit que tout était non pas agité, mais renversé !

Il était déjà sept heures du matin, et il ne paraissait encore qu’une lumière faible, comme une espèce de crépuscule. Alors les bâtiments furent ébranlés par de si fortes secousses qu’il n’y eut plus de sûreté à demeurer dans un lieu à la vérité découvert, mais fort étroit. Nous prenons le parti de quitter la ville ; le peuple épouvanté nous suit en foule, nous presse, nous pousse et, ce qui dans sa frayeur tient lieu de prudence, chacun ne croit rien de plus sûr que ce qu’il voit faire aux autres. Après que nous fûmes sortis de la ville, nous nous arrêtâmes ; et là, nouveaux prodiges, nouvelles frayeurs. Les voitures que nous avions emmenées avec nous étaient à tout moment si agitées, quoique en pleine campagne, qu’on ne pouvait, même en les appuyant avec de grosses pierres, les arrêter en place. La mer semblait se renverser sur elle-même, et être comme chassée du rivage par l’ébranlement de la terre. Le rivage en effet était devenu plus spacieux et se trouvait rempli de différents poissons demeurés à sec sur le sable. A l’opposé, une nuée noire et horrible, crevée par des feux qui s’élançaient en serpentant, s’ouvrait et laissait échapper de longues fusées semblables à des éclairs, mais qui étaient beaucoup plus grandes… La cendre commençait à tomber sur nous quoique en petite quantité. Je tourne la tête, et j’aperçois derrière nous une épaisse fumée qui nous suivait, en se répandant sur la terre comme un torrent. Pendant que nous y voyons encore, quittons le grand chemin, dis-je à ma mère, de peur qu’en le suivant la foule de ceux qui marchent sur nos pas ne nous étouffe dans les ténèbres. A peine étions-nous écartés qu’elles augmentèrent de telle sorte qu’on eût cru être, non pas dans une de ces nuits noires et sans lune, mais dans une chambre où toutes les lumières auraient été éteintes… Il parut une lueur qui nous annonçait non le retour du jour, mais l’approche du feu qui nous menaçait ; il s’arrêta pourtant loin de nous. L’obscurité revient, et la pluie de cendres recommence et plus forte et plus épaisse. Nous étions réduits à nous lever de temps eu temps pour secouer nos habits, et sans cela elle nous eût accablés et engloutis… Enfin, cette épaisse et noire vapeur se dissipa peu à peu et se perdit tout à fait comme une fumée ou comme un nuage. Bientôt après parut le jour, et le soleil même, jaunâtre pourtant, et tel qu’il a coutume de luire dans une éclipse. Tout se montrait changé à nos yeux encore troublés ; et nous ne trouvions rien qui ne fût caché sous des monceaux de cendre, comme sous la neige.

Lettre 2 de Pline le Jeune à Tacite

(…) (Mon oncle) se trouvait à Misène et commandait la flotte en personne. Le 9 avant les calendes de septembre, aux environs de la septième heure, ma mère lui apprend qu’on voit un nuage extraordinaire par sa grandeur et son aspect. Il venait de prendre son bain de soleil, puis d’eau froide, il avait fait un repas léger étendu sur son lit et y travaillait. Il demande ses chaussures, monte à l’endroit d’où on pouvait le mieux contempler le phénomène en question : une nuée se formait (on ne pouvait bien voir de loin de quelle montagne elle sortait, on sut ensuite que c’était du Vésuve), ayant l’aspect et la forme d’un arbre et faisant penser surtout à un pin. Car après s’être dressée à la manière d’un tronc fort allongé, elle déployait comme des rameaux, ayant été d’abord, je suppose, portée en haut par la colonne d’air au moment où elle avait pris naissance, puis cette colonne étant retombée, abandonnée à elle-même ou cédant à son propre poids, elle s’évanouissait en s’élargissant ; par endroit elle était d’un blanc brillant, ailleurs poussiéreuse et tachetée, par l’effet de la terre et de la cendre qu’elle avait emportées.

Mon oncle trouva tout cela curieux et bon à connaître de plus près, en savant qu’il était. Il fait mettre en état un bateau liburnien ; il m’offre, si cela me plaît de venir avec lui ; je lui répondis que je préférais rester à mon travail et précisément c’était lui qui m’en avait donné la matière. Il sortait de chez lui ; on lui remet un billet de Rectina, femme de Cascus, effrayée du danger qui la menaçait (sa villa était en bas et elle ne pouvait plus fuir qu’en bateau) ; elle suppliait qu’on l’arrachât à une situation si terrible. Mon oncle change son plan et ce qu’il avait entrepris par amour de la science, il l’achève par héroïsme. Il fait sortir des quadrirèmes et s’embarque lui-même, avec l’intention de secourir, outre Rectina, beaucoup d’autres personnes (les agréments du rivage y avaient attiré bien des visiteurs). Il gagne en toute hâte la région que d’autres fuient et vogue en droite ligne, le cap droit sur le point périlleux, si libre de crainte que toutes les phases du terrible fléau, tous ses aspects, à mesure qu’il les percevait du regard, étaient notés sous sa dictée ou par lui- même.

Déjà les bateaux recevaient de la cendre, à mesure qu’ils approchaient plus chaude et plus épaisse, déjà aussi de la pierre ponce et des cailloux noircis, brûlés, effrités par le feu, déjà il y avait un bas- fond et des rochers écroulés interdisaient le rivage. Il hésita un moment : reviendrait-il en arrière ? Puis, à son pilote qui le lui conseillait : «La fortune, dit-il, seconde le courage ; mets la barre sur l’habitation de Pomponianus. » Ce dernier était à Stabies, de l’autre côté du golfe (Car le rivage revient sur lui-même de façon à former une courbe insensible que remplit la mer). En cet endroit, alors que le péril n’était pas encore là, mais avait été vu et en se développant s’était approché, Pomponianus avait fait charger ses paquets sur des bateaux, décidé à fuir si le vent contraire tombait. Ce vent à ce moment était tout à fait favorable à mon oncle qui arrive, embrasse son ami tremblant, le console, l’encourage et voulant calmer ses craintes par le spectacle de sa tranquillité à lui, se fait descendre dans le bain ; en en sortant il se met à table et soupe avec gaîté, ou, ce qui n’est pas moins beau, en feignant la gaîté.

Pendant ce temps, le sommet du mont Vésuve brillait sur plusieurs points de larges flammes et de grandes colonnes de feu dont la rougeur et l’éclat étaient avivés par l’obscurité de la nuit. Mon oncle répétait que des foyers laissés allumés par les paysans dans leur fuite hâtive et des villas abandonnées brûlaient dans la solitude, voulant par là calmer les craintes. Alors il se livra au repos et dormit d’un sommeil qui ne peut être mis en doute, car sa respiration, rendue par sa corpulence grave et sonore, était entendue par ceux qui allaient et venaient devant sa porte. Mais la cour par laquelle on accédait à son appartement était déjà remplie de cendres mêlées de pierres ponces qui en avaient élevé le niveau au point qu’en restant plus longtemps dans sa chambre il n’en aurait pu sortir6. On le réveille, il vient rejoindre Pomponianus et les autres qui avaient passé toute la nuit debout. On tient conseil : restera-t-on dans un lieu couvert ou s’en ira-t-on dehors ? Des tremblements de terre fréquents et amples agitaient les maisons qui semblaient arrachées à leurs fondements et oscillaient dans un sens, puis dans l’autre. A l’air libre en retour tombaient des fragments de pierre ponce, légers et poreux, il est vrai, mais qu’on redoutait. C’est à quoi on se résigna après comparaison des dangers. Chez mon oncle triompha le meilleur des deux points de vue ; chez les autres, la plus grande des deux peurs. Ils mettent des oreillers sur leur tête et les attachent avec des linges : ce fut leur protection contre ce qui tombait du ciel.

Déjà le jour était levé partout, mais autour d’eux une nuit plus épaisse que toute autre nuit et qu’atténuaient pourtant une foule de feux et des lumières de toute sorte. On résolut d’aller sur le rivage et de voir de près s’il était maintenant possible de prendre la mer ; mais elle était encore grosse et redoutable. Là, on étendit un linge sur lequel mon oncle se coucha ; il demanda à plusieurs reprises de l’eau fraîche et en but ; ensuite les flammes et l’odeur de soufre qui les annonçait font fuir ses compagnons et le réveillent ; il s’appuie sur deux esclaves pour se lever et retombe immédiatement. Je suppose que l’air épaissi par la cendre avait obstrué sa respiration et fermé son larynx qu’il avait naturellement délicat, étroit et souvent oppressé. Quand le jour revint (c’était le troisième depuis celui qu’il avait vu pour la dernière fois), son corps fut trouvé intact, en parfait état et couvert des vêtements qu’il avait mis à son départ ; son aspect était celui d’un homme endormi plutôt que d’un mort. (…)

Bientôt publié

Aujourd’hui, 16:47 Dernière heure : Je ne suis pas un robot
25 Août, 07:47 Photos souvenirs – 5
26 Août, 07:47 Sacrée soirée ! (4)
27 Août, 07:47 Reconstruction du Temple du Soleil
28 Août, 07:47 Chronique des retours amoindris

7 réflexions sur « 24 août 79 »

  1. Ton détecteur est plus performant que toi. Lui, au moins, il a tout de suite vu que je n’étais pas un robot. D’ailleurs, il ne m’a même pas demandé de preuve ni de QR code!
    Il est tellement sympa, ton détecteur, que je déjeune avec lui demain midi.

  2. Ce qui suit est un commentaire de Lariegeoise qui n’arrive pas à se faire passer pour un être humain auprès de mon détecteur de robots.
    « Merci de cette éruption: été pourri, le delta rôde toujours, le cacochyme Biden a foiré sa sortie Afganistan, les écolos se surenchèrent et une avocate spéciste va faire un programme spécial ours….
    Ceci étant ce n’est pas un esprit d’escalier ce feu ardent : j’espère que tu n’as pas trop de lecteurs dans les Maures !
     »

  3. Ceci est un essai de commentaire avec filtrage ReCAPTCHA

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