La Place des Vosges

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La Place des Vosges

C’est dommage. C’est un peu loin, la place des Vosges. Un peu loin de chez moi. Deux mille sept cents mètres exactement. A l’aller, ça va, ça descend : la rue des Carmes, la place Maubert, le boulevard Saint-Germain, le Pont de Sully, la rue du Petit Musc et puis, au bout de la rue Beautreillis, le pavillon du Roi qui vous ouvre son passage vers la Place.

Elle est belle, cette place. Elle est carrée, pas grandiose, mais belle, royale, à taille encore humaine, avec ses toits noirs et pentus, ses hautes cheminées et ses chiens assis, ses  oeils-de-bœuf et ses grandes fenêtres à petits carreaux, ses façades uniformes de briques rouges et de pierre blanche et ses sombres arcades. Au centre du carré, la statue de Louis XIII et autour, le jardin. Pas très chaleureux, le jardin, mais calme. C’est vrai qu’il est calme ce jardin, strictement à la française, parfaitement symétrique, avec ses allées rayonnantes et ses quatre fontaines. Je choisis le banc le moins humide et je m’assieds face à l’une d’elles et je regarde l’eau qui tombe.

Ils sont arrivés derrière moi sans que je les entende. C’est un groupe d’une vingtaine de gilets jaunes qui envahit la place : engoncés dans leurs anoraks molletonnés qu’ils ont recouvert du gilet traditionnel, le bonnet enfoncé sur les oreilles jusqu’au ras des yeux, ils piétinent les pelouses, ils crient, ils courent, ils se bousculent. Deux d’entre eux s’observent puis, les mains avant, les doigts crochus, se jettent l’un sur l’autre en grimaçant. Ailleurs, un groupe se forme, semble se concerter et d’un coup, d’un cri, fonce en hurlant vers la fontaine. Ils sont infatigables, ils font l’avion, le gros lion qui rugit, le chat qui court après la souris, ils rient, ils tombent. Mais l’un d’entre eux se relève et ouvre vers le ciel une large bouche muette. Deux secondes et il se met à pleurer, fort. L’avion, le lion, le chat et la souris se figent. Les yeux fermés, ruisselant de larmes, le blessé titube vers une jeune femme en doudoune qui se penche vers lui en ouvrant ses bras pour l’accueillir. Maintenant, tous les gilets jaunes sont rassemblés autour du couple enlacé, compatissants, inquiets, silencieux. Enfin, tout se calme. Et puis, de toute façon, c’est l’heure de partir. Alors, sagement, chacun va saisir une des poignées de la corde qui trainait par terre et, comme une grosse chenille bariolée, ils ondulent vers la maternelle. Ils ont trois ans, peut-être quatre.
Et moi, je vais remonter la rue des Carmes.

Bientôt publié

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