Le Cujas (53)

Tout le monde sait que ces calomnies ont été répandues pour me nuire. Ce sont d’ignobles procédés malheureusement devenus courants de nos jours en politique. Ils ont profondément blessé ma mère qui a eu du mal à s’en remettre. Pour ma part, après quelques années au service du pays, j’en ai pris l’habitude et je sais à présent comment traiter ces insinuations : par le mépris.

Chapitre 8 – Georges Cambremer

Seizième partie  

Combat : Revenons, s’il vous plait, à vos débuts dans la politique. Donc, au moment de la Libération, vous êtes sans attache politique particulière. Et pourtant, vous ne tardez pas à grimper dans l’appareil d’état.

G.C. : Je crois qu’on peut dire que tout a commencé pour moi Place de l’Hôtel de Ville juste après le fameux discours du 25 août. J’étais au pied de l’estrade et j’acclamais De Gaulle avec les autres. A la fin du discours, j’ai entendu qu’on m’appelait. C’était le Commandant Calixte. Il était à côté du Général. Il m’a fait monter sur l’estrade et a tenu à me présenter à lui. De Gaulle ne m’a pas reconnu tout de suite, mais quand Calixte lui a rappelé que j’étais l’adjoint de Marchèse et que j’étais présent lors de sa mort, le Général m’a dit : « Ah ! Cambremer ! Vous avez eu beaucoup de chance de pouvoir côtoyer un homme comme Marchèse. Montrez-vous en digne. » Et puis il a ajouté : « Calixte, voyez donc ce qu’on peut faire de ce jeune homme. » C’est comme ça qu’une dizaine de jours plus tard, Calixte me convoquait à l’Hôtel de Brienne et me demandait, disons plutôt qu’il me donnait l’ordre d’entrer dans son cabinet. Vous souvenez qu’il avait été chargé du programme de nationalisations que De Gaulle voulait pour redresser l’économie et sanctionner les entreprises qui avaient collaboré avec l’ennemi.  J’ai bien sûr accepté avec enthousiasme. On m’a plus particulièrement chargé de préparer la création d’Électricité de France. J’ai dû rapidement constituer une équipe de travail, car la tâche était énorme : il y avait plus de mille entreprises concernées à nationaliser. Il fallait les identifier, retrouver leurs ayants-droit, leur signifier la nationalisation prochaine, discuter des indemnités d’expropriation, ébaucher la future organisation, préparer la loi de nationalisation, rechercher les futurs dirigeants… J’ai composé mon équipe essentiellement avec d’anciens camarades de l’X. J’ai choisi les plus compétents et aussi les plus diplomates, car il fallait traiter avec les propriétaires, il fallait informer et consulter les ministères concernés, ceux de la Production Industrielle, de l’Économie, des Finances, de l’Intérieur…. Il fallait surtout traiter avec le Parti Communiste qui était très intéressé à la création de ce monopole national. Les relations que j’avais pu nouer dans la Résistance se sont montrées très utiles pour cela.
Quand De Gaulle a démissionné en janvier 46, son cabinet a bien sûr été démantelé pour être remplacé par celui de Monsieur Félix Gouin, mais le nouveau Président a souhaité maintenir mon groupe de travail pour mener le projet de création d’EDF jusqu’au vote de la loi par l’Assemblée le 8 avril 1946.

Combat : Votre tâche était alors terminée ?

G.C. : Loin de là. Il fallait alors mettre la machine en route et les membres de mon équipe étaient à coup sûr les mieux préparés à cela. La plupart d’entre eux, moi y compris, sont entrés dans le nouvel Établissement Public pour y occuper la plupart des postes directoriaux. C’est celui de Directeur des Investissements que j’ai occupé pendant un peu plus d’un an.

Combat : Jusqu’en novembre 1947, où vous êtes entré dans le cabinet de Monsieur Queuille, ministre des finances du Gouvernement Schumann.

G.C. : C’est exact. J’avais rencontré Jules Moch en 45 quand il était ministre des Transports. Lorsqu’il a été nommé à l’Intérieur par Robert Schumann, il m’a recommandé à Henri Queuille avec qui j’ai travaillé pendant quelques mois, tant que le Gouvernement Schumann a duré. Je ne parlerai pas du deuxième gouvernement Schumann, qui n’a duré que deux jours. Mais quand Monsieur Queuille a formé son gouvernement il y a seulement quelques semaines, il a bien voulu me confier le Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre que venait de quitter mon ami François Mitterrand. Et c’est la fonction que j’ai l’honneur d’occuper aujourd’hui et à laquelle j’entends consacrer toute mon énergie.

Combat : Pouvez-vous préciser pour nos lecteurs quelle sera votre politique en la matière et quelles sont les première mesures que vous allez prendre.  

G.C. : Je voudrais d’abord rendre ici hommage à l’action de mon prédécesseur et ami, François Mitterrand. En quelques mois, il a déjà accompli une tâche immense qu’il m’appartient maintenant de prolonger. Il y a actuellement en France plusieurs millions d’anciens combattants, prisonniers de guerre, déportés, résistants. Ils ont droit à la reconnaissance et à la solidarité nationale. C’est sur ma demande que le Gouvernement auquel j’appartiens allouera très prochainement à mon ministère un budget en très forte hausse qui permettra de matérialiser cette solidarité. Par ailleurs et, dès mon arrivée au ministère, j’ai lancé une importante opération de recensement systématique des personnes entrant dans l’une des catégories que j’ai citées tout à l’heure. Mais je compte également établir les listes des veuves de guerre et autres ayant droits.
Pour ce qui est des victimes civiles de guerre, je rappelle qu’une grande campagne d’information a été lancée invitant ces personnes à se faire connaitre auprès des préfectures. Leurs dossiers y seront examinés et transmis à mon ministère. Nous avons devant nous une tâche immense que la solidarité, la reconnaissance et l’honneur nous impose d’accomplir dans les meilleures conditions. C’est à cette tâche que je compte désormais me consacrer entièrement.

Combat : Nous vous remercions, Monsieur le Ministre, d’avoir bien voulu nous recevoir et d’avoir répondu avec franchise et clarté aux questions que le public était en droit de se poser et dont nous nous sommes faits l’écho.

G.C. : C’était bien naturel. Il ne faut jamais oublier que le politique est au service du citoyen et que, par conséquent, il doit lui rendre des comptes. Je vous remercie de m’en avoir donné l’occasion. Au revoir, Messieurs.

Combat : Au revoir, Monsieur le Ministre. 

 

Fin du chapitre 8

A SUIVRE

Bientôt publié

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