Le Cujas (49)

Dans ce cas, je vous la ferai parvenir chez vous, à New-York. Écrivez-moi votre adresse sur ce bout de papier, s’il vous plaît…Merci.
Eh bien, bonsoir Monsieur Stiller. Monsieur Wang se fera un plaisir de vous appeler un taxi. Moi, je rentre me coucher. Mon chauffeur m’attend. Adieu.

Chapitre 8 – Georges Cambremer

Douzième partie

 Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre
Le Ministre

                  Mon cher Dashiell,

Il y a quelques semaines, j’avais dû écourter notre dîner à l’Empire Céleste du fait d’un brusque accès de fièvre, une forme heureusement légère de paludisme contractée sans doute lors d’un récent voyage en Indochine. C’est pourquoi, contre ma volonté et à mon grand regret, je n’avais pu compléter le récit de ma carrière depuis mon arrivée à Vichy en 1940 jusqu’à

mon entrée dans le Gouvernement Schumann en fin de l’année dernière.

Je pensais combler cette lacune dans une lettre que je vous avais promise, mais je suis persuadé que le document que je joins à cette lettre vous renseignera bien mieux que je n’aurais su le faire moi-même. Il s’agit du tiré-à-part d’un article que le journal COMBAT vient de me consacrer.

Je compte naturellement sur vous pour m’adresser un exemplaire dédicacé de votre futur livre auquel je souhaite tout le succès possible.

Très amicalement

Georges Cambremer

 *

 Combat

La nouvelle de la nomination de Monsieur Georges Cambremer au Ministère des Anciens Combattants a valu à Monsieur Queuille, chef du nouveau gouvernement, plusieurs interpellations venant de divers bancs de l’Assemblée Nationale. Des représentants du MRP et des Modérés se sont limités à demander des éclaircissements sur les activités de Monsieur Cambremer pendant l’occupation, tandis que les Communistes, en la personne de Monsieur Claude Boulard, député de Seine et Oise, s’indignaient que l’on ait pu nommer aux Anciens Combattants un « collaborateur notoire et de surcroit ancien membre du gouvernement de Vichy. » (Sic)
Entre les injures lancées par l’opposition et les vérités officielles parcimonieusement distribuées par les services du président du conseil, Monsieur Cambremer est demeuré jusqu’à ce jour étonnamment silencieux. Il a accepté de rompre ce silence en accordant à nos deux journalistes politiques, André Buvard et Robert Pécuchaix, un long interview que nous reproduisons dans ces colonnes.

*

Combat :  Monsieur Le Ministre, vous avez 35 ans et, avec Monsieur Mitterrand, le nouveau Secrétaire d’État à la Présidence du Conseil, vous êtes aujourd’hui le plus jeune ministre du gouvernement d’Henri Queuille. Vous faites aujourd’hui partie des jeunes loups de la politique et les milieux bien informés s’accordent pour croire promis à un grand avenir.
Sorti de l’École Polytechnique en 1936, vous êtes mobilisé en septembre 1939. Affecté dans la région de Maubeuge avec le grade de lieutenant, vous êtes fait prisonnier en mai 1940. Vous vous évadez dès le début du mois de juillet et vous regagnez Paris tant bien que mal. Quelques mois plus tard vous rejoignez Vichy où vous entrez dans le cabinet du Ministre de l’Intérieur.
Monsieur Cambremer, pourriez-vous nous expliquer ce choix qui, pour certains, leur a valu la Haute Cour de Justice ? 

GEORGES CAMBREMER : Volontiers. Je suis très heureux de cette occasion qui m’est donnée aujourd’hui d’expliquer au très large public de vos lecteurs les raisons de ma collaboration, toute provisoire, on le verra, avec Vichy. Mais, si vous le permettez, j’aimerais tout d’abord rappeler les circonstances qui ont prévalu à cette décision. En mai 40, notre armée, réputée la plus puissante du monde, avait été défaite en quelques jours. Notre gouvernement légitime avait fui jusqu’à Bordeaux, jetant les civils sur les routes de l’exode. Les Français étaient en état de choc, K.O. debout. Bien sûr, quelques centaines d’hommes, sans doute plus courageux mais surtout plus visionnaires que les autres, ont tout de suite choisi de s’exiler pour continuer le combat, mais la grande majorité des Français, bien qu’ils s’en défendent aujourd’hui, s’est placée sous la protection que le Maréchal leur promettait. Mais je tiens à affirmer que ce n’est pas pour me réfugier sous l’aile de Pétain que j’ai rejoint Vichy, mais pour servir la France. À vrai dire, mon séjour dans un camp de prisonniers et, une fois évadé, la traversée d’une partie de la France dévastée m’avaient fait réaliser l’état catastrophique dans lequel se trouvait le pays. Alors, après une courte période d’abattement, j’ai voulu me rendre utile en mettant mes capacités à la disposition de mon pays. Pétain venait de constituer un premier gouvernement et entreprenait de reconstruire l’Administration qui s’était dissoute dans la débâcle ; Vichy était le seul endroit où j’imaginais pouvoir être utile. J’ai donc franchi la ligne de démarcation et j’ai offert mes services au Ministère de l’Intérieur où j’avais quelques vagues relations. On m’y a tout de suite accepté. Après tout, j’étais ancien élève de l’École Polytechnique, j’avais exercé des fonctions administratives en Indochine et j’avais acquis une expérience du commandement avec les 150 hommes de mon escadron.

Combat : Vous entriez quand même dans un gouvernement présidé par Laval. Ça ne vous a pas posé de problème ?

G.C. : Pas au début, non. Je voyais dans les premières actions du gouvernement une réelle volonté de redresser le pays. Certes, on pouvait sentir chez la plupart des ministres et de leurs collaborateurs un désir de revanche sur la 3ème République, dont ils disaient qu’elle était responsable de la catastrophe de mai 40. Mais je considérais encore à cette époque que le redressement valait bien quelques entorses aux principes de la démocratie.

Combat : Et aujourd’hui, pensez-vous toujours de cette manière, autrement dit croyez-vous que la fin justifie toujours les moyens ?

G.C. : Certainement non. Tout d’abord, je crois fermement que toute action politique qui ne respecte pas rigoureusement les principes démocratiques ne peut qu’aboutir à la tyrannie. Par ailleurs, j’étais à cent lieues d’imaginer que le Gouvernement de Vichy deviendrait ce que l’on sait aujourd’hui qu’il est devenu. J’étais encore très jeune, inexpérimenté, naïf même et je croyais sincèrement servir la France en accomplissant avec bonne volonté et même, on peut le dire, avec ardeur les tâches subalternes que l’on me donnait. Mais bientôt, les procès contre les officiers qui avaient rejoint De Gaulle à Londres, les restrictions de plus en plus sévères des libertés publiques, et dès les premiers mois de 1941, les premières mises en application des lois raciales m’ont fait considérer les choses d’un autre œil. Je n’étais d’ailleurs pas le seul à évoluer de cette manière. Avec quelques amis sûrs placés à divers niveaux dans presque tous les ministères, nous avions formé un groupe clandestin, le groupe H4. Plutôt que de nous opposer frontalement à la politique menée, nous pensions plus efficace d’agir de l’intérieur pour orienter les décisions gouvernementales vers moins de rigueur pour la population et surtout envers les juifs.

A SUIVRE 

Bientôt publié

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