Le boson de Higgs (Part two of two)

Ceci est la suite de la conférence sur le boson de Higgs dont la première partie est parue hier. Bon courage. 

 

« (…) Bon, je continue : Faisant fi de la pusillanimité de certains, je viens donc, pour le bénéfice des autres, de définir ce qu’est la Nouvelle. »

Passons maintenant à la Chute.

Comme pour la Nouvelle, je commencerai par balayer d’un geste nonchalant mais auguste quand même un peu toutes les acceptions du terme considéré autres que celle qui nous intéresse. On ne perdra donc pas de temps à parler des Chutes de reins, de l’Empire romain ou du Zambèze, ni des Chutes de neige, de pierres ou dans l’escalier. Entendons-nous bien, et pour cela, faisons taire les plaisantins, nous parlons de la Chute au sens littéraire.

Qu’est donc qu’une Chute ?

La Chute d’une histoire, c’est bien évidemment la partie finale du texte qui la raconte, mais pas que cela. Pour être une Chute digne de ce nom, cette partie finale doit être drôle. On sait parfaitement qu’une histoire drôle sans Chute, ou dont a oublié la Chute, ne peut plus être appelée histoire drôle  et que, dans ce cas, on parle de grand moment de solitude ou même de bide. Qui n’en a pas fait l’humiliante et douloureuse expérience ?

Mais avec le temps, le mot Chute a fini par désigner aussi d’autres types de fins. Des fins pas drôles du tout, des fins tristes ou même carrément lugubres, je dirai même plus : terrifiantes.

Donc, si la Chute, pour être Chute, ne doit plus nécessairement être drôle, elle doit cependant rester surprenante. À la réflexion, surprenante n’est peut-être pas exactement le mot que je recherche. En effet, il se trouve qu’il y a toujours parmi les lecteurs, et même parmi les auditeurs comme nous avons pu le constater ce soir, des petits malins qui ne se laissent jamais surprendre ou du moins qui le prétendent.  Alors disons que, avec ou sans surprise pour le lecteur, la Chute doit :

  • soit inverser ou relativiser le sens de l’histoire que la Nouvelle a raconté,
  • soit dénouer le mystère ou la situation complexe qu’elle a élaborée

Si en plus, elle fait ça de manière marrante, c’est super.

Revenons maintenant à la formulation de la question du monsieur du deuxième balcon et tout d’abord, c’est bien logique, à sa première partie : « Quelle est la place de la Chute dans la Nouvelle ? »

Et là, je réponds très clairement et je lui dis : « Écoutez, cher Monsieur ! En matière littéraire, je n’ai rien contre un peu d’innovation, et moi-même, à plusieurs reprises… oui je sais on n’a pas le temps, donc je n’ai rien contre un peu d’innovation, mais quand même, il me semble que la meilleure place de la Chute dans la Nouvelle, c’est à la fin.

Bon, ça, c’est fait.

Nous pouvons aborder à présent le véritable corps de la question, à savoir : déterminer quelle est l’importance de la Chute dans la Nouvelle.

Mais d’abord, comment mesurer, comment évaluer une Chute ? Celle de  La Parure de Maupassant, par exemple. Qu’est-ce qu’elle vaut, la Chute de La Parure ? 87,5 points ou 288 ? Sur quelle échelle ? Sur celle de l’humour, de l’angoisse, du cynisme ? On voit bien qu’on n’en sortira pas.

En fait il aurait fallu que la question soit posée autrement, sous une forme plus claire, plus logique, mais faut pas trop en demander, pas vrai ? Une bonne formulation aurait été : Dans une Nouvelle, la Chute est-elle importante ? Autrement dit encore : peut-on s’en passer ?

Dans La Parure, cela changerait-il quelque chose pour le lecteur de ne pas savoir à la toute fin — attention, spoiler ! — que le collier que la pauv’dame s’est esquintée toute sa vie à rembourser ne valait pas un clou ? Vous rigolez ou quoi ? Elle est primordiale, cette chute ! Sans elle, nous n’aurions à lire qu’une belle description d’une vie de misère (entre nous : une vie gâchée par l’honnêteté, mais bon), un bon mélo misérabiliste, bien écrit, certes, mais un mélo quand même. Avec cette Chute et son ironie cynique, l’auteur nous donne à imaginer le reste des jours de l’héroïne où l’amertume viendra s’ajouter à la misère. C’est ça qu’est drôle, justement.

De même, imaginez un peu la Nouvelle de Ray Bradbury « Un coup de tonnerre » sans sa Chute : vous aurez une banale histoire de voyage dans le temps avec chasse au Tyrannosaure, une histoire comme on en a lu et vu des centaines. C’est la subtilité de sa Chute qui apporte à la Nouvelle toute sa valeur.

Donc, avec ces exemples qui viennent de deux maitres incontestés de la Nouvelle, on voit qu’on pourrait se passer d’une chute, mais que ce serait fichtrement dommage.

Bon, j’admets que, dans les deux cas cités en exemple, toute l’histoire est tendue vers cette chute dont on ne peut douter que l’auteur l’ait conçue avant de commencer à écrire. Nous dirons que toute l’histoire est construite pour y parvenir et que, dans ces conditions, c’est bien normal si la Chute parait indispensable.  Il existe d’autres types de Nouvelles où l’absence ou la faiblesse d’une Chute est moins ressentie. Il s’agit généralement de Nouvelles plus descriptives que narratives. Par exemple, prenons un narrateur qui narre son voyage d’hier matin entre la Place d’Alésia et le Boulevard Rochechouart où habite sa pauvre tante Léonie. Et le voilà qui nous décrit le métro surpeuplé qu’il emprunte, les cinglés agressifs qu’il rencontre, la saleté des trottoirs, la pluie fine qui tombe… En fait, son thème, c’est toute la difficulté qu’il y a et donc tout le mérite qu’il a à rendre visite à sa pauvre tante Léonie. Ce n’est pas désagréable à lire, parce qu’il écrit bien, le bougre, mais c’est très ennuyeux. On dira alors que nous avons affaire à un narrateur omnichiant. Mais avouez que ça aurait un autre intérêt, un autre cachet, si à la fin, arrivé au 12 du Boulevard Rochechouart, notre narrateur trouvait sa pauvre tante Léonie dans les bras d’un clerc de notaire, ou morte ou, à la rigueur, pas là.

Pour en terminer avec une petite note personnelle, je dirai qu’en ce qui me concerne, quand je commence à écrire un texte court, qui deviendra peut-être une Nouvelle, je n’ai absolument aucune idée de ce que pourra en être la Chute. Mais j’avance en me disant qu’au fil du temps et du texte, je finirai bien par en trouver une. Et c’est ce qui se passe en général : bonne ou mauvaise, faible ou forte, drôle ou tragique, bienveillante ou cynique, je trouve une Chute. D’ailleurs, je crois bien ne jamais publier ce genre de texte tant que je n’en ai pas trouvée.

Dans le forum d’écriture que je fréquente, c’est assez souvent que les textes courts présentés ne comportent pas la moindre Chute. Au début — mais maintenant, ça me rase — j’en faisais la réflexion aux auteurs concernés et je me retrouvais immanquablement avec des réponses du genre : « Ben moi, je préfère les fins ouvertes… Je penserais faire preuve de paternalisme, voire même d’autoritarisme, si je devais mener le lecteur de bout en bout dans mon texte, et je ne me sens pas le droit de … et gna-gna-gna et gna-gna-gna… » À ce genre de déclaration hypocrite, moi je réponds : « Mon œil, oui ! T’as simplement pas été capable de trouver une fin qui se tienne, mon gars ! Alors, tu rationalises ça comme tu peux. »

Bon, avant de passer au vrai sujet de cette conférence, je résume, persiste et signe : une Nouvelle qui se respecte doit comporter une Chute, et une Chute digne de ce nom doit se placer à la fin.

Et maintenant : « Le boson de Higgs »

Les Romains déjà…

Koniec *

Note * — Koniec :  fin, en Polonais

14 réflexions sur « Le boson de Higgs (Part two of two) »

  1. « ‌ça ne te grandit pas de diminuer les autres » qui commencent à avoir de petits troubles mnésiques.
    Je persiste et signe : la chute, oui, mais pas que.
    La chute ne doit pas être une pirouette qui ridiculise la crédulité du lecteur susceptible (j’en connais).
    Il me semble qu’une nouvelle célèbre l’est pour l’ensemble mais jamais pour la chute seule.
    La chute, c’est la cerise sur le gâteau à condition que le gâteau soit bon.

  2. @Lorenzo : question posée par mail du 28 novembre dernier : « ‌Il faudrait que tu redéfinisses la place et l’importance de « la chute » dans la Nouvelle. .
    Je suis bien d’accord avec toi sur sa nécessité, mais il ne faudrait pas que la chute prenne le devant de la scène car je ne suis pas certain que cela soit littérairement pertinent
    . »
    Voilà ! C’est fait !

  3. Oui, d’accord Philippe et merci, mais quelle question t’avais-je posée précisément ?
    PS) ta réponse a un certain intérêt car elle va déterminer l’ordre prioritaire de mes consultations …

  4. Étonnante réponse, ou amnésique réponse, car c’est toi, Lorenzo, qui m’avais posé la question.

  5. A vrai dire, comme personne à part toi n’écrit de nouvelles, il me semble logique qu’il n’y ait pas eu de débat. A titre personnel, je suis d’accord. Une nouvelle, si elle est bien, tu as envie qu’elle dure plus longtemps, si elle est ennuyeuse, tu te demandes à quoi elle sert. Donc, la chute à la manière Coutillac, me plait bien car elle rend la nouvelle « forcément » intéressante même si elle est trop courte ou trop longue. En plus, au delà de l’humour, la chute réussie apporte une perception personnelle, un recul désabusé et une sorte de philosophie.

  6. Je reste très étonné que ce boson de Higgs n’ait pas suscité davantage de commentaires sur cette vraie question qu’est l’importance de la chute dans une Nouvelle. En réalité, il n’y a pas eu un seul commentaire relatif à ce sujet qui voulait pourtant répondre à une question effectivement posée. Mais bof…

  7. @Bruno : Pour Camus, la chute n’est pas à la fin, mais dans le titre.

    @Lorenzo : Newton a dit que s’il avait vu loin, c’est qu’il était monté sur des épaules de géants. C’est aussi pour ça qu’il a fait une sacrée chute.

    @Edgard : Des nouvelles de Proust ? Depuis qu’il est mort, nous n’en avons que très peu.

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