Vos gueules, les mouettes ! (2)

Un délire matinal
ou
Vos gueules, les mouettes !

Devant moi, la grande pelouse s’étend jusqu’au bassin que domine la silhouette massive du Palais du Luxembourg.
Malgré l’épaisseur du velours côtelé, le métal du siège sur lequel je viens de m’asseoir me fait sentir sa froidure dans le bas des reins.
Le frais soleil de ce début d’hiver éclaire la bande de mouettes qui s’est posée tout à l’heure sur l’herbe fraîchement tondue pour s’y réchauffer.

Vues d’ici, sans mes lunettes, un peu flous, ces cons d’oiseaux me font penser à des sacs plastiques blancs que le vent aurait apportés d’une décharge périphérique.

Cette comparaison vous semble-t-elle par trop triviale et par trop incivile envers ces oiseaux marins au vol si gracieux quand on les voit glisser sur l’aile depuis la terrasse du Grand Hôtel de Balbec ?

Certes non, car les temps ont changé.

Il y a seulement quelques lustres, comme on sait, Robert Dhéry leur intimait silence quand elles piaillaient autour de son phare breton.
Aujourd’hui, d’armoricaines, les mouettes sont devenues banlieusardes et puis, très vite, citadines.
Un temps, les Parisiens oisifs et les touristes grégaires les ont admirées quand elles guettaient du haut des cieux la levée des filets des Vedettes du Pont Neuf rentrant au port du Vert-Galant. Et puis, Parisiens, touristes et mouettes se sont lassés, car les Bateaux-Mouches n’attrapent jamais la moindre sardine ; les Batobus non plus, d’ailleurs.

Alors, les mouettes rieuses, les mouettes argentées, les mouettes mélanocéphales et de Patagonie se sont rabattues sur les parcs et jardins publics de notre belle cité, endroits, on le sait, riches en fainéants de tous âges et enfants de toutes couleurs, humains porteurs de tant de choses bonnes à manger pour une mouette de constitution commune.

Elles ont chassé du Luxembourg les pigeons casaniers, trop stupides pour comprendre ce qui leur arrivait. Après avoir vainement tenté de s’accoupler avec les mouettes les moins revêches, ils ont fini par émigrer en masse vers la Sologne où ils ont été accueillis à coups de calibre 12 et servis avec des petits pois.
Après s’être ainsi débarrassées à moindre frais du premier occupant, les mouettes ont conclu un pacte de non-agression avec les corneilles, videuses émérites de poubelles riches en vitamines, en leur concédant toute la partie sud-ouest du jardin, peu équipée en plans d’eau propices aux larinae mais riche en terres grasses et fertiles, foisonnantes en asticots et autres cochonneries aimées des corvidae omnivores et opportunistes.

Et maintenant, les mouettes, les voilà, toute blanches, immobiles, qui tentent de bronzer, les imbéciles, au soleil matinal de ce matin de novembre.

Pendant que j’agitais ces pensées amères, une mouette s’est approchée de moi. À pas hésitants, elle piétine la plate-bande qui limite la grande pelouse. Je dois admettre à mon grand regret — car je déteste la plupart des oiseaux et les mouettes en particulier — que, lorsqu’elle reste immobile, bien plantée sur ses deux pattes roses, le cou redressé et, telle Vasco de Gama guettant l’apparition du Cap de Bonne Espérance, l’œil ostensiblement fixé sur l’horizon, elle a fière allure, la garce. Mais tout à coup, sans doute déçue par ma passivité à son égard, voilà qu’elle rentre la tête dans ce qui serait des épaules si ses ailes étaient des bras, pointe le bec vers l’avant et se met à faire les cents pas devant moi d’un air chafouin qu’elle accompagne d’un kkrrouiiick furibard.

Sale bête !

Venue d’on ne sait où, une volée de moineaux s’est posée sur la pelouse entre la bande de sacs plastiques et moi. J’ai dit plus haut que je déteste les oiseaux mais pas tous. Parmi les oiseaux que je ne déteste pas, que j’aime même, il y a les moineaux ; les moineaux et les aigles chauves ; et puis aussi les oies sauvages ; mais seulement quand elles volent. Bref, j’aime bien les moineaux. Ils m’attendrissent, ils ne produisent que très peu de guano, ils font peu de bruit et ils bouffent le crottin des poneys du Luxembourg. Que des avantages !

Bon, les moineaux doivent avoir trouvé une zone riche en graines acceptables ou en engrais comestible, car ils sont là, une bonne vingtaine, à faire joyeusement bombance sur une petite centaine de mètres carrés.

Leur manège a fini par attirer l’attention des flemmardes bronzeuses car quelques-unes ont dressé le sourcil avant de se lever paresseusement et de se diriger, l’œil de biais, vers la volée de moineaux. En effet, une mouette, ça n’a qu’une devise : « ce qui est peut-être bon pour un moineau, un humain, un cheval ou un raton laveur, est sûrement bon pour moi. ». Car la mouette, il faut le savoir, ça ne pense qu’à ça : bouffer.

Une demi-douzaine de mouettes est maintenant parvenue dans le réfectoire des moineaux. Vous l’avez sans doute remarqué, une mouette, même asthénique, c’est beaucoup plus gros qu’un moineau. Beaucoup plus agressif aussi, tous ceux qui ont voulu donner la becquée à l’une de ces saloperies vous le diront. Les mouettes, l’œil torve, commencent à s’approcher des petits groupes de moineaux. Et puis, elles rentrent la tête dans les épaules (voir plus haut) et, bec en avant au ras du sol, amorcent une subite et méchante charge contre le petit zoziau. Vous, l’amoureux des piafs, vous vous alarmez, vous vous dites « Pauvres petits, non seulement ils ne pourront pas finir leur petit déjeuner, mais ils vont se faire déglinguer par ces ravageuses boulimiques ! »

Eh bien, non ! Car c’est à ce moment que vous voyez que, tel Manolete s’écartant à la dernière seconde de la ligne de charge du toro, le moineau, déployant un court instant ses courtes ailes, saute par-dessus la mouette qui ne comprend que kouic, pour retomber de l’autre côté de la sale bestiole et continuer son repas.
Et c’est ainsi que s‘engage sur le tapis vert une partie de saute-mouton, dont le moineau sort vainqueur et nourri, et la mouette, dépitée.

Un spectacle comme on voudrait en voir plus souvent.

Si j’avais un peu plus de temps, je vous parlerais bien du sujet préoccupant de la tension qui grandit sur le bassin du Luxembourg entre la flotte disciplinée des canards et les escadres désordonnées des mouettes dont les provocations ne pourront demeurer éternellement ignorées.

Mais là, faut que je rentre.

Photo extraite de ma célèbre série « Les oiseaux sont des cons ».

6 réflexions sur « Vos gueules, les mouettes ! (2) »

  1. Pour les perroquets, c’est vrai qu’ils sont venus par avion et qu’ils se sont échappés ensuite d’une volière, mais l’incroyable est qu’ils survivent à nos hivers.
    C’est bien la preuve que nos hivers sont plus chauds que jadis.
    C’est vrai aussi que les gros oiseaux « marchent » souvent, peu élégamment.
    Les petits sautillent plutôt.

  2. Bien sûr, quand ils volent, les oiseaux sont tous beaux. Mais combien d’entre eux perdent toute dignité quand ils sont au sol ? Il suffit pour s’en convaincre de regarder un pigeon claudiquant sur un trottoir, un faisan paumé au milieu d’un terrain de golf ou un albatros trébuchant sur le pont d’un navire.
    Rares sont les oiseaux qui conservent une certaine tenue quand ils ne volent plus, comme par exemple l’hirondelle sur son fil du téléphone ou la cigogne sur sa cheminée.
    En passant, pas plus par le réchauffement climatique que par le train de 16H47, les perruches sont en fait arrivées par avion, comme dit auparavant.

  3. Les mouettes en bord de mer du Pays de Caux, ça a de l’allure quand elles volent devant devant les falaises.
    A Paris, elles sont « décalées » mais s’il faut fuir la tempête, on peut comprendre , un peu seulement car Paris c’est quand même loin de Dieppe.
    Chez moi, près de Versailles, beaucoup de pies, magnifiques volatiles, la branche la plus intelligente des corvidés, celle qui passera au travers des réchauffements ou refroidissements climatiques.
    De la classe, bien comprise par nos maestros.
    J’ai beaucoup de tourterelles dont les roucoulements sont sympas.
    Parfois des incursions de gros pigeons ramiers au bec crochu qui les font fuir, mais les tourterelles reviennent.
    Parfois aussi, des vols de petits perroquets verts qui font chaque fois penser au « réchauffement climatique » dont on nous bassine un peu trop les oreilles, mais ça c’est un autre sujet.
    Rouges-gorges, pinsons, chardonnerets, mésanges.. ça a plutôt disparu mais les moineaux sont toujours là.
    Les pigeons de villes viennent parfois voler les graines dévolues aux tourterelles, mais c’est très épisodique.

    En résumé, vivent les pies et à bas les gros pigeons.

  4. @Philippe: Je suis bien d’accord avec tout ça et je vois que tu es un digne ornithologue. Moi non plus je n’aime pas beaucoup les oiseaux à Paris, soit qu’ils couvrent les voitures de fientes (les pigeons), soit qu’ils éventrent les poubelles en sacs plastiques (les corbeaux), soit qu’ils n’ont pas à être là (les mouettes, les perruches, et pourquoi pas les autruches pendant qu’on y est), et pourtant ici en Bretagne je ne me lasse pas de les observer et de se aimer. Il faut dire que les espèces sont nombreuses et si différentes les unes des autres.

  5. Ce sont les pigeons qui ont, les premiers, chassé les moineaux, car ils ont proliféré au-delà du raisonnable. Ceci pour deux raisons : la première, c’est qu’ils sont abondamment nourris par toutes les âmes seules du quartier, qui pensent ainsi trouver auprès d’eux amitié et reconnaissance alors qu’elles n’obtiendront que le spectacle éphémère d’une agitation intéressée.
    La seconde, c’est que les pigeons passent leur temps à s’aimer d’amour tendre, d’où l’inéluctable multiplication.

    Les perruches sont arrivées plus tard, en général en Boeing 707, comme les moustiques porteurs de la Dengue ou les touristes, du COVID. Au Luxembourg, elles sont nombreuses et bruyantes, mais on ne les voit jamais au sol, dans cette positon ridicule du pigeon qui piète ou de la mouette qui déambule. Je n’espère maintenant qu’une chose, c’est qu’elles se décident à chasser les pigeons. Après, on cherchera un moyen de chasser les perruches. Les ptérodactyles, peut-être ?

  6. La présence d’oiseaux à Paris remonte à la plus haute antiquité, et même avant elle. On avait pris l’habitude de ne voir à Paris que des moineaux et des pigeons mais d’autres espèces migrantes sont apparues. Paris, c’est bien connu, attire des espèces de tous ordres dans tous les genres du règne animal venant de toutes les parties du monde. Parmi les oiseaux qui envahissent Paris en liberté, une espèces qui me fascine est le perroquet, en réalité la perruche à collier qui est originale, exotique, agréable à voir, moins à entendre car râleuse, une vraie parisienne quoi!

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