Retour de Campagne (25) -Bouvard et Pécuchet – SUITE&FIN  selon Paddy

Retour de Campagne (25)
Bouvard et Pécuchet – SUITE&FIN  selon Paddy

Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert.
Plus bas le canal Saint-Martin, fermé par les deux écluses étalait en ligne droite son eau couleur d’encre. Il y avait au milieu, un bateau plein de bois, et sur la berge deux rangs de barriques.
Au-delà du canal, entre les maisons que séparent des chantiers le grand ciel pur se découpait en plaques d’outremer, et sous la réverbération du soleil, les façades blanches, les toits d’ardoises, les quais de granit éblouissaient. Une rumeur confuse montait du loin dans l’atmosphère tiède; et tout semblait engourdi par le désœuvrement du dimanche et la tristesse des jours d’été.
Deux hommes parurent.

Un quidam flânant par-là sur le boulevard Bourdon eut remarqué que l’’un était un bel homme rasé de près, grand et mince, de type méditerranéen, distingué dans sa tenue, sur la tête un chapeau borsalino gris clair, un costume gris à fines rayures blanches sur une chemise noire et une cravate blanche. L’autre, bien moins distingué, plus petit, une barbe hirsute de 3 à 4 jours au moins, portait une casquette gavroche de couleur indéterminée, un blouson en cuir noir et un pantalon genre jean, rien de vraiment remarquable. Les deux hommes ne se parlaient pas. Ils entrèrent nonchalamment dans le Café de l’Écluse. S’ensuivit une pétarade d’environ dix secondes. Puis ils sortirent tout aussi nonchalamment qu’à l’entrée. Une traction-avant apparut, s’arrêta net devant le café, les deux hommes y prirent place, toujours nonchalamment, et elle repartit rapidement sur le boulevard Bourdon avec ce bruit caractéristique d’échappement par lequel on pouvait reconnaître toutes les marques de voiture. Quelques minutes plus tard, le son d’une voiture de police se fit entendre à l’autre bout du boulevard Bourdon.

Le lendemain midi, France-Soir titrait en deuxième partie de sa une “Fusillade Boulevard Bourdon: 5 morts ». L’évènement ne semblait pas extraordinaire. L’article ne révélait rien d’autre en dehors des quelques supputations journalistiques habituelles et nécessaires pour l’étoffer, du type règlement de comptes entre gangs, la police enquête, etc.

À la même heure dans le bureau du directeur de la PJ quai des orfèvres, le commissaire divisionnaire remettait son rapport à son patron et néanmoins ami. Ils se tutoyaient depuis longtemps. Le directeur eut vite fait de lire le rapport, il était à peu près vide.

– Tu te moques de moi Monsieur le Divisionnaire, ton rapport classe l’affaire sans suite. C’est pas ça qui va satisfaire le ministre qui cherche en ce moment à redorer son blason. Il est d’une humeur exécrable et sa femme est partie à Saint-Tropez.

– La dorure du blason du ministre dit posément le divisionnaire en prenant le ton de Jean Gabin qu’il affectionnait en des moments pareils, c’est pas mon affaire, c’est la tienne.

– Comment ça ? La presse n’a rien à se mettre sous la dents en ce moment, pas de scandales, l’été est radieux, la France est en vacance, alors elle va certainement se réveiller si on ne lui donne pas un os à ronger.

– T’inquiète pas mon cher Directeur. Sur l’affaire d’hier, on n’a rien. Autant économiser nos forces, d’autant plus qu’une partie de mes hommes est en vacance. Un massacre sans bavure, sans carte de visite, sans indices, sans témoins, rien, du travail de pros. Tout ce qu’on sait est qu’en dehors du bistrotier, les quatre autres macchabés sont des petits malfrats, des seconds couteaux du gang de Clichy. C’est peut-être une guerre de territoire qui se déclenche entre bandes rivales. Que le Marseillais soit impliqué là-dedans, je ne serais pas étonné. Ces guerres entre gangs, c’est comme les tremblements de terre, il y a toujours une réplique qui vient ensuite. Et si tu veux mon avis, elle ne va pas tarder. Ce sera la Saint-Barthélémy du milieu pour contrôler le trafic de la schnouff avec les ricains. Elle va éclaircir les rangs des deux côtés ce qui n’encombrera pas nos prisons. C’est à ce moment là que nous pourrons à coup sûr trouver la dorure pour ton ministre.

– Hum…

– Voilà ! Je n’ai rien de plus à ajouter à mon rapport.

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