Retour de Campagne (26) – Bouvard et Pécuchet -SUITE&FIN par Bételgeuse

Retour de Campagne (26) 

Bouvard et Pécuchet – SUITE&FIN par Bételgeuse

Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert.

Plus bas le canal Saint-Martin, fermé par les deux écluses étalait en ligne droite son eau couleur d’encre. Il y avait au milieu, un bateau plein de bois, et sur la berge deux rangs de barriques.

Au-delà du canal, entre les maisons que séparent des chantiers le grand ciel pur se découpait en plaques d’outremer, et sous la réverbération du soleil, les façades blanches, les toits d’ardoises, les quais de granit éblouissaient. Une rumeur confuse montait du loin dans l’atmosphère tiède ; et tout semblait engourdi par le désœuvrement du dimanche et la tristesse des jours d’été.

Deux hommes parurent.

Ils marchaient côte à côte, silencieusement, lentement.

Le premier, plutôt court et trapu, portait un manteau taillé dans un épais tissu à chevrons gris et noirs. Il avançait penché en avant, les mains croisées dans le dos de son pardessus à martingale. La courte pipe qu’il tenait de côté entre ses dents lui imposait un rictus qui lui donnait une expression dubitative. La fumée qui sortait par à-coups de sa bouche et du fourneau gainé de cuir buriné enveloppait un bref instant son feutre noir et ses cheveux gris qui en débordait de tous côtés avant de s’évanouir dans l’air vibrant de la canicule.

Le second, grand et maigre, portait un étrange pantalon, fait de serge de couleur bleue incertaine, qui lui moulait les cuisses avant de tomber en plis désordonnés et rigides sur de souples chaussures bariolées. Flottant par-dessus sa ceinture, une sorte de blouse à manches courtes, blanche et légère, lui couvrait le haut du corps. Dans son dos, quelqu’un, un plaisantin sans doute, avait tracé à son insu ces incompréhensibles mots : Fuck the world ! Il était entièrement chauve et ne portait pas de chapeau. De ses oreilles démesurées sortaient deux gros fils blancs qui se rejoignaient à la hauteur du thymus  pour plonger dans sa poche droite.

L’un s’était trompé de saison et l’autre, d’époque. C’est pour cela qu’ils ne se parlaient pas.

 

9 réflexions sur « Retour de Campagne (26) – Bouvard et Pécuchet -SUITE&FIN par Bételgeuse »

  1. Il faut lire plus attentivement, Lorenzo : que viendrait faire le pavillon d’un stéthoscope dans la culotte d’un zouave ?
    Par ailleurs, en dehors des cérémonies de mariage et des films de Busby Berkeley, a-t-on jamais vu un stethoscope dont les tubes seraient blancs ?
    Et puis, un stéthoscope ne serait pas anachronique…

  2. @Bételgeuse. Pourriez-vous me préciser un détail qui me concerne particulièrement et qui m’empêche de dormir : les deux gros fils blancs qui sortent des oreilles du deuxième personnage, ce sont les écouteurs d’un walkman ou les branches d’un stéthoscope ?

  3. « Mais pourquoi n’ai-je reçu ce récit qu’à 23h06 ? »

    Mais parce que le texte est parti de ma constellation, cette blague ! Faut le temps que ça arrive quand même ! C’est quasiment l’hyperespace, là-bas !

  4. Très belle et très troublante nouvelle qui vient chambouler les critères classiques, et ça, j’adore ! En tout cas, le résultat est remarquable.
    J’aurais envie de dire, sans aucune allégeance au nouveau roman qui s’est fourvoyé et qui n’a pas grand intérêt, que nous sommes en présence d’une forme littéraire plus qu’originale, en réalité, nous sommes en présence d’une « nouvelle » nouvelle, autrement dit, une nouvelle forme littéraire de la nouvelle. Ce n’est pas qu’un jeu de mots, c’est sincère, et c’est très excitant.
    Félicitations à Bételgeuse

  5. Laurel et Hardy, en version littéraire donc, avec un zeste d’étrangeté intrigante…
    Belle chute en tout cas!

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