Le mécanisme d’Anticythère -Chapitre 8-1

Chapitre 8 – Timothy Grantham
Noël 1900     

C’est le jour de ses trente ans que Timothy Grantham avait débarqué du bateau de Southampton dans le port du Pirée. Le voyage n’avait duré que neufs jours, ce qui ne constituait qu’une performance très moyenne pour le dernier steamer de la Shaw, Savil and Albion Line.

Lorsqu’il franchit la passerelle au bout de laquelle l’attendaient les douaniers, c’était la première fois que Timothy mettait le pied hors du Royaume Uni. Bien sûr, il avait eu l’intention de passer quelques heures à terre à chaque escale. Il s’était même réjoui à l’avance d’admirer bientôt la Tour de Belem au bord du Tage, de prendre le thé sous le rocher de Gibraltar, de monter à la citadelle de Syracuse. Mais au cours du voyage, Timothy avait découvert qu’il était sujet au mal de mer et, à chaque fois que le bateau touchait à quai, il était bien trop malade pour se lever de sa couchette. Il était donc resté prostré dans sa cabine pendant la plus grande partie du voyage. Il avait même raté le franchissement du canal de Corinthe, cet ouvrage mythique dont il rêvait, ébauché sous Néron et inauguré seulement quelques années plus tôt.

Fatigué, déçu et amaigri, Timothy se soumit avec résignation aux formalités de débarquement. Il supporta avec flegme le mauvais anglais des officiers d’immigration, mais le mélange d’odeurs de tabac, de friture et de transpiration qui flottait dans le bureau des Douanes lui rendit rapidement la nausée qui venait juste de le quitter.

En sortant du bâtiment, le grand air du port lui fit du bien, mais le souvenir de neuf jours de mer était encore bien présent, et c’est en titubant légèrement qu’il rejoignit la file des calèches qui attendaient les voyageurs. Devant la saleté de la première calèche, la maigreur du cheval et la dégaine du cocher, Timothy hésita à monter dans la voiture. Mais, voyant que ses malles y avaient déjà été chargées, il n’eut pas le courage de se lancer dans une discussion qui avait toutes les chances de tourner à la dispute avec un homme mal rasé qui ne parlait surement pas l’anglais. Il monta dans la calèche et prononça du mieux qu’il put les mots Megali Britannia. Le cheval démarra doucement et, bercé par les douces oscillations de la voiture, Timothy s’endormit presque aussitôt.

A trente ans, Timothy Grantham était extrêmement riche. En fait, il l’était depuis l’âge de quinze ans, l’année où ses parents avaient péri dans un accident de Montgolfière au-dessus du Kilimandjaro en lui laissant l’intégralité de leur fortune. Lorsqu’on le convoqua au parloir de la St Faith’s Public School pour lui apprendre la terrible nouvelle, il ne montra que très peu d’émotion. Cela tenait bien sûr à son éducation britannique, mais aussi au fait qu’au cours des huit dernières années, il n’avait vu ses parents que seize fois, et toujours dans le bureau du recteur du pensionnat. La Cour de Sa Majesté confia la gestion de tous ses biens au cabinet d’avocats londonien Johnson, Johnson and Johnson, qui procéda à des placements intelligents propres à lui assurer pour le restant de ses jours un revenu tout à fait convenable. Au lieu de se laisser aller à la débauche ou, pire, à la paresse comme l’auraient fait bien d’autres jeunes gentlemen dans sa situation, Timothy poursuivit tranquillement ses études. A dix-sept ans il entrait au King’s College de Cambridge où, avec le temps, il se découvrit  un don certain pour le latin et le grec, une irrépressible passion pour l’archéologie et une réelle aversion pour l’aviron. Diplôme en main, il ouvrit à ses frais et dirigea pendant quatre ans un grand chantier de fouille entre Edinburgh et Glasgow à la recherche du mur d’Antonin. Le travail de ses assistants lui permit de rédiger quelques articles qui furent peu remarqués à l’Académie Royale des Sciences. Déçu par les résultats de ses recherches — il n’avait exhumé qu’un glaive rouillé, quelques pièces romaines et beaucoup de gros cailloux — il se tourna vers l’étude de la Grèce antique. Ayant reçu de sa part une donation appréciable, le Musée National Archéologique d’Athènes le nomma Chargé de Recherches sans plus de précision, lui laissant carte blanche sur l’objet des dites recherches et sur leur exécution, à la condition qu’il prit lui-même tous les frais à sa charge. C’est pourquoi en ce beau jour d’hiver 1900, Timothy Grantham dormait dans une calèche arrêtée sur la place Syntagma.

A SUIVRE

 

2 réflexions sur « Le mécanisme d’Anticythère -Chapitre 8-1 »

  1. C’est possible vraiment un accident de Montgolfière au dessus du Kilimandjaro ?
    Aux sujets britanniques anoblis et fortunés, tout est possible !
    ..
    j’ai hâte de lire la suite ( est elle seulement écrite?)
    Pour ce qui est de Timothy, oui. Pour le reste, ça va à peine plus loin. On verra bien…

  2. C’est possible vraiment un accident de Montgolfière au dessus du Kilimandjaro ?
    Bon il me plait bien ce Timothy, bien propre sur lui et studieux jusqu’à cette traversée nauséeuse…
    Le retour du roman feuilleton…j’ai hâte de lire la suite ( est elle seulement écrite?)

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