Le mécanisme d’Anticythère – Chapitre 5-1

Chapitre 5-1 – Caius Iulius César 
Automne 74 avant J.C.

Caius Iulius César vient d’avoir vingt-six ans. Engagé dans l’armée du préteur Marcus Thermus, le jeune patricien s’est très bien comporté pendant le siège de Mytilène. Aussitôt remarqué par le Sénat, il s’est vu confier la mission de rétablir des relations amicales entre Rome et le Royaume de Pergame.  Lorsqu’il y a une soixantaine d’années, le dernier roi de Pergame avait confié par testament sa ville et son royaume à l’administration de Rome, au début, les choses s’étaient plutôt bien passées : en échange de la protection de ses puissantes légions, Rome ne faisait qu’imposer un raisonnable tribut, payable en blé à raison de deux fois par an. La ville gardait ses coutumes, ses fêtes, ses dieux et ses notables. Mais, avec les années et l’extraordinaire croissance de Rome et de ses besoins, les exigences de la République augmentèrent terriblement. De raisonnable, le tribut devint très vite insupportable et la province se mît à gronder. Quelques révoltes paysannes, rapidement réprimées, alertèrent le Sénat. On décima quelques villages, on crucifia quelques meneurs et on exila quelques notables, mais la répression resta mesurée car le Sénat ne souhaitait pas voir un autre foyer d’agitation naître à l’Est. Il avait déjà bien assez de soucis à l’Ouest avec l’interminable campagne de Pompée contre Sertorius. Aussi, avait-il donné à César ce qui pouvait se rapprocher le plus des pleins pouvoirs. Le jeune homme avait donc toute confiance dans la réussite de sa mission.

Depuis un mois à Pergame, il avait été reçu avec tous les honneurs dus à sa qualité d’ambassadeur plénipotentiaire de la puissance à la fois protectrice et pilleuse du royaume. En quelques semaines, depuis la villa qu’on avait mise à sa disposition,  il s’était constitué à grand renfort de sesterces un réseau d’espions efficace et il était désormais informé à chaque instant de qui était qui et de qui voulait quoi dans le royaume. Jugeant qu’il en savait assez, il envoya chercher un certain Diodiros Pasparos.

Diodiros était né sur les pentes du Mont Olympe quarante ans plus tôt dans une famille de pauvres agriculteurs. Quand il avait atteint l’âge de quinze ans, la grande famine qui avait ravagé la Thessalie l’avait forcé à quitter la ferme familiale qui ne pouvait plus les nourrir, lui et ses frères et sœurs. Diodiros et Polites, son ainé, étaient partis à l’aventure. Deux ans plus tard, Diodiros était arrivé seul à Pergame sans son frère, mort noyé en tentant de traverser l’Hébros à la nage. Il était entré au service d’un petit marchand de grains de la ville. En quelques mois, il était passé de l’état de magasinier à celui de régisseur. En quelques années, par son intelligence, sa puissance de travail et son sens de l’organisation, il avait fait passer son maitre du stade de boutiquier à celui de premier négociant de la ville pour le grain, l’huile d’olive et le vin. Devant la richesse que Diodiros lui avait apportée, éperdu de reconnaissance, son employeur avait fini par l’adopter. Quelques mois plus tard, il mourait heureux en laissant sa fortune à son fils Diodiros. C’est ainsi que le petit grec affamé était devenu à trente ans l’un des personnages les plus importants de la ville.

Diodiros avait continué à développer son entreprise en achetant des forêts en Troade et en créant un commerce de bois. Quelques années auparavant, il avait même envisagé de créer un chantier naval à Mytilène. Malheureusement la ville avait été détruite par les romains et il avait dû abandonner son projet. Par ailleurs, depuis que les romains exigeaient de plus en plus de blé, le commerce des grains n’était plus aussi florissant car le tribut en blé que la Province devait payer échappait totalement aux négociants et plus particulièrement au plus important d’entre eux, Diodiros. Dans le plus grand secret, il avait formé une association qui finançait des agitateurs et dont le but final était de provoquer une grande révolte capable de chasser les Romains. Diodiros avait poussé en avant quelques commerçants de moindre importance et quelques paysans, mais lui-même était resté totalement dans l’ombre. Lors de la répression des troubles que l’association avait réussi à faire naitre, plusieurs de ses membres avaient été emprisonnés ou exécutés sommairement, mais, jusque-là, Diodiros n’avait pas été inquiété. Cependant, chaque jour, il vivait dans la crainte d’une dénonciation.

C’est pourquoi, quand il vit les quatre légionnaires à sa porte, il fut pris d’une grande angoisse : Caius Iulius César, ministre plénipotentiaire de Rome, le priait pour un entretien dans deux heures ; les quatre soldats l’attendraient à sa porte jusqu’à ce qu’il soit prêt et le conduiraient à sa villa.

Le cœur battant à tout rompre, persuadé de sa fin prochaine, ou tout au moins de son emprisonnement ou de son exil, Diodiros réunit ses serviteurs et leur donna des ordres pour gérer le négoce et tenir la maison en son absence qui, leur dit-il, pourrait être longue. Puis il se retira dans son antichambre pour tenter de se calmer un peu et de prier devant le petit autel qu’il y avait fait dresser en l’honneur d’Athéna, sa protectrice favorite. Lorsqu’une heure plus tard, la peur au ventre, il franchit sa porte, les quatre légionnaires virent apparaître un petit homme rond et rose, baigné de frais, habillé de propre, et tout de jovialité extérieure.

A SUIVRE

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *