Bas les masques !

T’as d’beaux yeux, tu sais ?
Marcel Carné – Quai des Brunes, 1937.

Si j’ose aborder ce sujet frivole (mais préoccupant), c’est parce que mon âge m’y autorise désormais sans la moindre ambiguïté. Il devrait intéresser les lecteurs masculins du blog, peut-être certaines lectrices aux idées larges, et, à coup sûr, son rédacteur en chef.

Voilà. Depuis que le confinement s’est abattu sur notre vie quotidienne, je me demande si le port du masque n’aurait pas modifié la fréquence des coups de foudre fugitifs dans la rue, le bus ou le métro, encore que dans ce dernier le charme féminin ou masculin s’y fasse de plus en plus rare. Je m’explique : depuis que tout le monde porte un masque, j’ai le sentiment que le nombre de jolies femmes a augmenté de façon exponentielle alors que, paradoxalement, seule la moitié supérieure de leur visage est visible. La première explication qui vient à un esprit naïf comme le mien est la suivante : toutes les femmes ont de beaux yeux. Ainsi, en faisant ce matin la sortie de l’Institut Catholique de la rue d’Assas situé par hasard sur mon trajet, j’ai constaté que toutes ces jeunes étudiantes dont je ne voyais que les yeux et la chevelure étaient horriblement séduisantes.

A vrai dire, cette interrogation existentielle née du port du masque n’est pas nouvelle pour moi. Jadis, en 1970, externe dans le service du Professeur Léger, j’avais été affecté au bloc opératoire où mon aversion pour cette discipline sauvage me fit un jour tomber dans les pommes. En rouvrant les yeux, allongé à terre sur le dos, je vis les chirurgiens, les anesthésistes et les infirmières masqués penchés sur moi comme s’ils étaient en train de m’opérer. Angoissante constatation. Dans cette salle où elle arrivait bien avant moi pour disposer les instruments chirurgicaux, il y avait tous les matins une panseuse, c’est à dire une infirmière spécialisée en chirurgie, vêtue d’une tenue bleu roi assez seyante et portant comme nous tous un masque et un calot qui enveloppait sa chevelure. Je ne voyais donc que ses yeux : des yeux sombres magnifiques, à la fois brillants et doux, mystérieux et séduisants, bien dessinés et s’effilant sur les côtés. Une merveille. Je tombai immédiatement amoureux ce qui, à vingt ans, s’avère assez fréquent. Alors que j’avais fini mon temps d’apprentissage, je demandai même à rester au bloc uniquement pour les beaux yeux de la belle panseuse. Elle m’évoquait les contes des Mille et Une Nuits et j’en rêvais. Le jour du pot de départ où tout le service était convié, la belle inconnue masquée vint le visage enfin découvert. On ne voyait que sa dentition anarchique à peine masquée par ses grosses lèvres irrégulières. Le menton, mais avait-elle un menton, je me le demande, avait disparu tant sa bouche restait obstinément grande ouverte même quand elle ne mangeait pas. Comme vous l’avez deviné, je ne remis jamais les pieds dans un service de chirurgie.

Mais revenons à notre sujet. Vous me direz que Marcel Carné en a donné une réponse claire et définitive dans Quai des Brumes. Ce n’est qu’en partie vrai : Michèle Morgan ne portait pas de masque. Bien sûr, il est peut-être parmi vous des féministes, lectrices de Télérama et partisanes d’Anne Hidalgo, que mes propos scandalisent. Chères amies, je me permets de vous détromper tout de suite. D’abord, pour des raisons génétiques ou judéo-chrétiennes, je n’ai tout au long de ma vie été séduit que par les femmes. Il me semble donc peu probable que mon machisme se révèle après soixante-dix ans. « Quoi que … » prétendent néanmoins certains psychanalystes nonagénaires assez nombreux dans cette discipline sédentaire qui favorise la longévité mais aussi la sénilité. Ensuite, nul besoin d’être devin pour savoir que le port du masque chez les hommes vous pose, mesdames, les mêmes interrogations. Au lieu de vous draper dans une dignité discutable, reconnaissez que vous vous dites à longueur de journée : mon Dieu, que tous ces hommes masqués sont beaux ! En réalité, comme chez les femmes masquées, ce sont leurs yeux qui sont beaux. Mais qu’en est-il du reste ?

Venant atténuer cette première impression toujours favorable, il faut savoir que le visage commence à se dégrader à partir du nez, puis avec la bouche – terrible, la bouche : régulière ou pâteuse, lippue ou élégante, trop étroite ou démesurée – et enfin, cerise avariée sur le gâteau rance, avec le menton, prognathe ou, au contraire, rétro. La rigueur scientifique oblige à reconnaître que le constat final est en général décevant. J’en conclus au passage que dans l’intérêt de la reproduction de l’espèce humaine, il serait souhaitable que désormais les hommes et les femmes portent tous et en permanence un masque.

Mais ce masque est encore à l’origine d’une autre calamité ! C’est un de mes bons amis qui m’a confié ce que je n’aurais jamais pu imaginer moi-même. Ce monsieur d’âge très mûr a conservé une mentalité de très jeune homme voire de vieux séducteur. Comme son nom ne vous dirait rien, je ne vous le communiquerai pas. De plus, il a demandé à garder l’anonymat, exigence exorbitante que je n’ai pu respecter en raison des questions insidieuses qu’inspira à mon épouse la lecture de ce texte. Voilà donc ce qu’il m’a raconté :

« Séduit dans plus de quatre vingt dix neuf pour cent des cas par les yeux de chaque passante dont vous ne pouvez voir la partie basse du visage caché par le masque, vous êtes naturellement amené à porter votre propre regard par ordre chronologique et descendant vers leurs seins. Ce n’est pas une progression habituelle car, en temps normal, le visage disgracieux (sic) vous a démotivé et vous continuez votre chemin, rassuré et sans état d’âme. Mais là, à cause de ce foutu masque, vous êtes contraint et forcé de vous polariser sur la poitrine de la dame ce qui va en éliminer quelques unes mais pas tant que ça car, menue ou généreuse, ferme ou confortable, elle est toujours appétissante (sic). Après les seins, vous poursuivez votre exploration vers l’étage inférieur en lorgnant leurs jambes. Et ce n’est pas fini ! Malgré votre humilité souvent défaillante, la raison vous impose d’en rester là. C’est bien ce que vous vous dites en vous retournant pour regarder s’éloigner la jolie déesse et alors, bien obligé, vous terminez votre besogne par l’examen de leurs fesses ». Terrible épreuve finale, me confia-t-il dans un sanglot.

Après vous avoir révélé ces mortifications insoutenables auxquelles vous ne vous attendiez pas et bien que n’étant pas Ingénieur des Ponts et Merveilles, je me dois de terminer ma réflexion par une conclusion statistiquement inattaquable. Pour y parvenir s’impose une prise de risques à mon avis excessive mais indispensable : je vais devoir demander poliment à certaines d’entre elles, choisies sur des critères à définir, d’enlever (j’en connais qui gloussent déjà) leur masque (et QUE leur masque). Nous aurons alors la réponse à la question fondamentale qui obsède tous mes amis humanistes de la rive gauche : oui, vous êtes effectivement jolie, non, vous êtes franchement moche.

N.B. : à moins d’une plainte écrite des féministes du blog, je n’envisage pas de demander à des hommes d’enlever leur masque pour répondre à leurs propres interrogations inavouables.

Lorenzo dell Aqua Bon

 

7 réflexions sur « Bas les masques ! »

  1. Je ne suis pas sûre que l argument de la beauté serait retenu au tribunal de la censure genrée!
    Mais je trouve cet hommage aux femmes sacrément réjouissant .
    Pas de pitié pour les mentons en galoche en revanche…

  2. La photo est une école de dépistage de la beauté et l’on est bien obligé de constater, sans être le moins du monde un voyeur concupiscent, qu’elle est l’apanage de la femme.

  3. Ce texte se voulait un hommage aux femmes, quel que soit leur âge, et à leurs yeux auquel le masque a donné un charme supplémentaire et insoutenable.

  4. Plutôt d’accord avec ce texte effronté et, par les temps qui nous restent, presque gonflé, le rédacteur en chef regrette de ne pas en être l’auteur .

  5. Stupeur et tremblement : un homme avance démasqué,avoue son attirance pour les femmes, une attirance visuelle , non malsaine.
    Alice Coffin prends ton velo et roule loin loin vers des contrées transgenres où règnent le politiquement correct et la chancel culture.
    Oui les hommes regardent les femmes, les femmes regardent les hommes : force est de constater qu elles sont moins favorisées pour ce qui est des cheveux et des yeux: calvitie naissante, absence de maquillage…
    Restent les mains , l allure,la démarche: bref vive ce post courageux lu un Dimanche matin à l heure de la messe; les sexes existent, regarder n est pas violer , ni convoiter.
    Bravo au courage du Rédacteur en chef qui espérons le ne déchaînera pas des CAPITALES d injures…. ou pire de désabonnement…

  6. Toujours curieux des réactions humaines, je me demande ce que Mme Lavoisy va penser en cachette de cet aveu concupiscent, à moins qu’il ne s’agisse tout simplement que d’une preuve d’amour pour elles.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *