RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (63)

RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (63)

28/08/2020

Jeu de l’excipit

Voici le deuxième texte participant au jeu. 

On rappelle pqu’ils s’agissait d’écrire un texte original se terminant obligatoirement par les lignes suivantes :

Par la fenêtre du salon, Sassi Manoon regarda les feux du yacht disparaitre dans la nuit. Un des policiers vint lui tenir compagnie.
— Voyez-vous, miss Manoon, dit-il au bout d’un instant, ce sont des jeunes gens comme ceux-là qui me donnent confiance en l’avenir.
— Pour moi aussi, dit Sassi Manoon, c’est la même chose.

SASSI MANOON 2

La Princesse Manoon de Hohenzollern, celle dont les livres d’Histoire ont retenu le célèbre surnom de Sassi, était l’héritière d’une des plus grandes familles de la noblesse autrichienne. Ses parents, l’Archiduc François-Joseph et sa mère, la non moins célèbre Romy des Cahiers du Cinéma, l’autorisèrent à venir à Paris satisfaire son goût pour la Peinture alors que son frère, le Prince Rodolphe, était destiné à assumer les charges de leur immense propriété à Marienbad. La jeune fille, une charmante blonde aux grands yeux bleus, avait en plus de qualités intellectuelles supérieures à la moyenne un humour rare dans son monde un peu coincé où elle ne s’était pas fait que des amies. Nombreuses étaient celles qui avaient subi ses méchancetés dévastatrices d’autant plus difficiles à pardonner qu’elles possédaient toujours un fond de vérité blessant l’orgueil de ces descendantes un peu sottes et bigotes de l’aristocratie catholique viennoise. Sassi était promise à un riche et noble garçon qui lui avait été présenté un soir à l’opéra où l’on jouait l’œuvre d’un musicien avant-gardiste peu prisé de sa famille, un certain Richard Wagner.

C’est vers l’âge de vingt ans que Sassi découvrit Paris un matin de juin 1900 quand le lever du soleil donne des reflets argentés aux pavés de ses rues. Elle se rendait tous les jours à la Grande Galerie du Louvre où elle recopiait les peintures des Maîtres du Quattrocento découverts avec ses parents lors d’un séjour inoubliable à Florence. D’une gaité naturelle et d’une grâce exquise, Sassi séduisait les visiteurs émerveillés par les reproductions parfaites de cette belle jeune fille dont ils ignoraient les origines aristocratiques. Elle logeait en face du Louvre dans l’Hôtel Particulier du Prince de N., un diplomate en poste à Paris et cousin éloigné de sa famille. Des fenêtres de sa chambre, elle jouissait d’une vue imprenable sur le quai de la Mégisserie et la Seine. On ne pouvait rêver situation plus enchanteresse.

En août de cette année-là, la chaleur devint étouffante dans la capitale et ceux qui ne s’étaient pas réfugiés dans leurs résidences au bord de la mer en subirent  les conséquences éprouvantes pour tous les organismes, même ceux des plus jeunes personnes. Sassi n’avait jamais connu pareille canicule en Autriche où seules les périodes enneigées et glaciales perturbaient sa vie comme celle de toute la noblesse oisive de Vienne. Le docteur Sigmund F., un vieux médecin ami de ses parents, avait recommandé à la jeune fille de boire abondamment en de telles circonstances quand bien même elle n’en éprouverait pas le besoin. Sassi, obéissante et surtout prudente, se rendait donc plusieurs fois par jour à la buvette du Louvre dans les Jardins des Tuileries où elle consommait un sirop d’orgeat glacé comme le lui avait conseillé sa mère depuis son plus jeune âge en raison des vertus dermatologiques de cette boisson. Quoique fort accaparée par sa passion de la peinture, Sassi n’en dédaignait pas pour autant les attraits de la vie parisienne. Ses cousins l’emmenèrent souvent à des soirées données par la noblesse et la bourgeoisie de la capitale dans de vastes demeures où les salles de danse démesurées pouvaient accueillir plus d’une centaine d’invités avant que la canicule ne vint interrompre ces plaisirs charmants. Elle y avait fait la connaissance de jolis garçons subjugués par ses charmes physiques que son intelligence et sa culture rendaient encore plus irrésistibles.

C’est à la buvette qu’elle rencontra celui avec lequel elle tissa une relation pas seulement amicale comme elle le prétendit à ses parents pour les tranquilliser. Philippe Coutet (celui-là même qui donna son nom à un célèbre Passage couvert du huitième arrondissement) s’y désaltérait en compagnie de son meilleur ami, Marcel Proust. Ayant grandi tous les deux dans l’immeuble cossu où le père de Marcel, un médecin mondain à la réputation bien établie, avait son cabinet, ils se connaissaient depuis l’enfance. Avec les autres enfants de leur âge, ils firent « les quatre cents coups » au parc Monceau et alentour comme Coutet le raconta dans un roman éponyme adapté avec succès au cinématographe. Etudiants en classe préparatoire au lycée Condorcet, les deux inséparables étaient liés par une passion commune de la littérature. Philippe, plus respectueux que Marcel de la volonté de ses parents ou plus doué que lui en mathématiques (les avis divergent), intégra une prestigieuse école d’ingénieurs créée par Napoléon Bonaparte lui-même, le fameux Empereur des Français, ce qui mit en veilleuse un temps assez long tout de même ses talents littéraires. Il continua à voir Marcel chaque fois que ses déplacements professionnels en France et dans ses colonies éloignées le lui permettaient. Le petit Marcel, de son côté, se lança corps et âme dans la rédaction d’un roman-fleuve appelé à un succès universel qui ne se démentit jamais. Philippe ne sembla ressentir aucune jalousie et reconnut à son camarade un certain talent mais il doutait au fond de lui-même de sa réelle suprématie comme il l’évoqua dans un essai tombé dans l’oubli : « Moi et le petit Marcel, une saine émulation à sens unique ». Bénéficiant d’une longévité bien supérieure à celle de son célèbre acolyte asthmatique, il put se présenter vingt deux fois au Prix Goncourt. De guerre lasse, les membres du Jury finirent par le récompenser en 1938 pour un roman qui, il faut bien le reconnaître, n’était pas son meilleur. A sa décharge, il est vrai que « Les Bidasses en Folie » fut publié quelques mois avant le drame qui décima l’Europe entière.

Quand Sassi fit la connaissance de ces deux joyeux camarades, la notoriété littéraire de Marcel n’était pas encore venue ternir leur relation jusque là dépourvue de la moindre concurrence. Ils écrivaient jour et nuit et ils étaient heureux. Quant au pouvoir de séduction indiscutable de Coutet, il était néanmoins amplifié par la tendance homosexuelle de son ami qui lui facilitait la tache et lui offrait sur un plateau les essaims de jeunes filles venues leur demander des cours particuliers. C’est ce que raconte avec ironie son biographe en parodiant un adage célèbre : « A vaincre sans péril, on triomphe plus facilement ». La belle Sassi succomba elle aussi au charme du beau Coutet. Elle alla même au devant de ses souhaits les plus fous en lui offrant sa virginité le jour de leur première rencontre dans un bosquet sombre et peu accessible du jardin des Tuileries entre la buvette et la statue érotique que Maillol devait déposer là des années plus tard.

Comme nous le confirme cette cruelle tragédie, l’amour et la passion ne sont guère récompensés … La belle Sassi tomba enceinte des œuvres de Coutet obligé de partir dès le lendemain de son forfait pour la Terre Adélie, un territoire français d’outre-mer recouvert par les glaces dix mois par an où il avait été envoyé par l’administration clairvoyante de sa fameuse Ecole d’Ingénieurs bien qu’il n’y eut là-bas ni pont ni chaussée. Exil politique imposé par la Présidence de la République ? Punition de ses supérieurs exaspérés par ses débordements ? Vengeance sordide de son camarade Marcel jaloux de ses succès féminins ? Même son biographe ne parvint jamais à en connaître la vraie raison. Ce territoire inhospitalier n’étant desservi qu’une seule fois par an, la pauvre Sassi n’était pas près de revoir son Prince Charmant ; elle décida donc de se faire avorter.

Bien qu’ignorant le motif réel de son état de santé très affecté, son hôte avertit ses parents qui arrivèrent à Paris en décembre 1901. Elle n’osa pas avouer son geste à ses géniteurs morts d’inquiétude devant sa pâleur et sa faiblesse. Par chance, Coutet avait réussi à s’échapper de Terre Adélie en séduisant la cuisinière sénégalaise d’un sous-marin russe de passage à Port Martin à la suite d’une erreur de navigation. Dès son arrivée à Paris, il se précipita chez Marcel et ils se rendirent ensemble au chevet de Sassi encore marquée par sa récente  épreuve. La Princesse, mue par une indulgence bien dans l’esprit de sa noble lignée, sourit pourtant à son bourreau venu l’embrasser avant de tenter de s’enfuir à l’étranger. En effet, comme cela était spécifié par contrat avec son école d’ingénieur élitiste mais subventionnée par l’Etat, Il lui restait dix ans à effectuer au service de la France et il ne voulait en aucun cas retourner dans une contrée où même pendant l’été austral la température toujours inférieure à zéro l’empêchait de se faire bronzer sur la plage. Hélas pour lui, son départ illégal de Terre Adélie avait été signalé aux autorités qui s’étaient mises à sa recherche avec pour mission de le ramener mort ou vif dans son exil involontaire. Elles le retrouvèrent sans surprise à la terrasse ensoleillée du Cujas.

Appelée par le Prince de N. craignant que sa nièce ait été victime d’une agression dans les rues mal famées de la capitale, la police parisienne était à son domicile le jour où Philippe et Marcel, refusant de l’abandonner dans des circonstances aussi dramatiques, quittèrent Paris peu avant huit heures du soir à bord d’un navire de la Marine Nationale amarré quai François Mitterrand en face de son Hôtel particulier. Un gendarme bienveillant vint auprès de la Princesse lui témoigner sa compassion dont elle n’avait que foutre. A notre avis, le dialogue entre Sassi et ce jeune fonctionnaire a été inventé de toute pièce par le biographe officiel de Coutet, bien connu pour son amour du Beaujolais (le biographe, pas Coutet). Nous vous le livrons sans en certifier le moins du monde l’authenticité.

Par la fenêtre du grand salon, la Princesse Manoon de Hohenzollern regarda les feux de la goélette de la Marine Nationale disparaître dans la nuit. Un des agents du GIGN vint lui tenir compagnie.
— Voyez-vous, Princesse, dit-il au bout d’un instant, ce sont de jeunes artistes comme ceux-là qui me donnent confiance en l’avenir de notre littérature.
— Pour moi aussi, dit Sassi, c’est la même chose.

 

Une réflexion sur « RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (63) »

  1. Désolé de contredire cet auteur prestigieux , mais on nage en pleine invraisemblance ! D’après mes informations, Philippe Coutet était beaucoup trop âgé pour avoir pu être lycéen en même temps que Marcel Proust au lycée Condorcet.

    NB) dans le merveilleux fascicule illustré offert par notre École et que nous avons tous fait encadrer, on peut lire page 2058 que Philippe Coutet, né le 25 août 1856, était sorti brillamment 589 ème de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, Promotion « Joséphine 1878 ».

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